Créé fin 2013 au sein de la chambre de commerce franco-thaïe (FTCC) à l'initiative de deux expertes du luxe, le comité Luxe&Lifestyle se donne pour objectif de rassembler les principaux acteurs du secteur en Thaïlande autour d'activités d'échange et d'information en vue de constituer une force de proposition vis-à-vis des autorités locales. Marie Lucchini et Sukanya Uerchuchai nous en disent davantage sur ce qui pourrait devenir un vrai lobby du luxe en Thaïlande
Marie Lucchini et Sukanya Uerchuchai sont toutes deux consultantes en affaires basées à Bangkok. Marie est française, elle est arrivée il y a deux ans de Russie où elle a vécu 18 années pendant lesquelles elle a travaillé pour des grandes marques comme Guerlain ou encore Rémy-Cointreau ? elle a notamment durant cette période participé à l'ouverture de la première boutique Guerlain à Moscou et à la formation de plusieurs centaines de personnes à la vente de produits de luxe. Sukanya Uerchuchai est pour sa part une figure thaïlandaise connue depuis longtemps au sein de la communauté d'affaires franco-thaïlandaise puisqu'elle a dirigé la FTCC de 2001 à 2007 avant de créer sa société de consultance Asia Advanced Strategy.
LEPETITJOURNAL.COM - Qu'est-ce qui a amené à la création de ce comité Luxe&Lifestyle?
Marie LUCCHINI ? Lorsque j'ai été élue au Conseil d'Administration de la FTCC il y a tout juste un an et que j'ai rejoint "avec grand plaisir", d'autant que j'avais déjà travaillé à Moscou pour divers comités de la Chambre de commerce franco-russe, je me suis dit que cela pourrait être intéressant de continuer ici. J'y ai tout d'abord découvert les différents comités existants et tous les services rendus aux membres, me suis proposée de les aider, notamment au sein du Comité RH [Ressources Humaines, ndlr]. Puis je me suis dit qu'il me fallait apporter une activité nouvelle qui puisse enrichir les activités de la chambre. Et assez naturellement, compte tenu de mon background dans l'industrie du luxe, je me suis posée la question : et pourquoi pas le luxe? J'ai commencé à enquêter, à regarder, rencontrer des acteurs de ce secteur par le biais de mon activité de coach en entreprise et, très vite, je me suis rendue compte que ces personnes, qui incarnent pour moi l'une des plus belles choses que la France a à montrer et à offrir dans le monde entier, ne se connaissaient, ni ne travaillaient forcément ensemble. Et surtout qu'il n'y avait pas de structure spécifique pour les rassembler autour de nombreux sujets sur ce marché.
J'ai la chance d'avoir à mes côtés Sukanya qui connait très bien depuis de nombreuses années la chambre. Elle connait aussi pour beaucoup de monde, et a l'expérience du marché thaïlandais. Nous sommes donc très complémentaires toutes les deux.
En discutant avec les uns et les autres, nous nous sommes vite rendus compte qu'il y avait beaucoup de sujets. Des questions liées au contexte, au développement de la Thaïlande, à la mise en place de l'ASEAN, des problèmes de législation, de fiscalité, etc. Nous avons donc pensé qu'il serait intéressant de proposer aux acteurs du secteur du luxe une plate-forme, un forum, dans lequel tous pourront apporter leurs expériences, partager des informations, travailler avec des experts pour avancer sur leurs sujets d'actualité. La base de ce projet est le partage d'autant que certains groupes sont là depuis longtemps alors que d'autres s'implantent tout juste.
LEPETITJOURNAL.COM - Qu'offrent les événements du comité aux membres et non-membres de la chambre?
Marie LUCCHINI - Nous allons organiser un certain nombre d'événements et de réunions afin de permettre aux professionnels de l'industrie du luxe et du lifestyle de se rencontrer, de partager, mais aussi de discuter autour de sujets qui les intéressent. Les thèmes sont nombreux, et nous nous sommes donc dit avec Sukanya que le meilleur moyen d'être certaines de répondre à leurs besoins et de leur apporter concrètement quelque chose, était d'organiser des enquêtes "live" auprès des participants en leur demandant de choisir des sujets parmi ceux que nous leur suggérons en fonction des préoccupations que les uns et les autres ont au préalable fait remonter en entendu et d'en suggérer de nouveaux.
Le dernier évènement en novembre avait par exemple pour titre "Thailand as a shopping destination" et posait très clairement la question: "comment la Thaïlande, doit penser ou repenser la façon dont elle veut se positionner par rapport à ses concurrents, notamment Hong Kong et Singapour, pour être la destination shopping qu'elle veut être?". Elle en a les moyens, elle se donne les infrastructures, le marché est très dynamique et il reste encore un certain nombre d'obstacles, notamment la multiplicité des points de vente, des malls qui s'ouvrent et qui posent le problème pour les marques des choix stratégiques de leurs futures implantations à Bangkok et dans les "nouvelles destinations" potentiellement luxe comme Phuket, Koh Samui, Chiang Mai et qui ouvrent de nouvelles perspectives de développement.
Nous sommes heureuses de compter déjà une vingtaine de membres, et le premier événement a rassemblé une cinquantaine de participants, ce qui est très encourageant pour la suite! Nous préparons un prochain événement qui sera consacré au marketing digital ? stratégies et mise en place - dans le luxe en Thaïlande. C'est un sujet qui intéresse particulièrement et nous allons tenter de répondre au mieux à toutes les questions qui se posent autour de ce sujet.
LEPETITJOURNAL.COM - Quelles sont les problématiques principales récurrentes qui se posent aux secteurs concernés?
Marie LUCCHINI - Il y a beaucoup de questions qui se posent, notamment sur le contexte, le développement de la Thaïlande, la législation, les sujets liés aux droits d'importation, la protection de la propriété intellectuelle, pour ne citer que ceux-là. Le comité a pour ambition d'apporter des réponses aussi concrètes que possible à ces questions en proposant à des experts de ces sujets d'intervenir lors des évènements pour apporter leur éclairage et de répondre aussi clairement que possible aux questions qui sont posées par les participants.
Pour revenir sur les droits d'importation par exemple ? sujet auquel nous consacrerons un évènement cette année ? en Thaïlande, ces droits et taxes pèsent très lourd sur le prix final des produits dans les points de vente et pénalisent les marques de luxe par rapport à Hong Kong et Singapour qui n'ont pas du tout les mêmes taxes. Et du coup, une partie de la clientèle thaïlandaise achète à l'étranger alors qu'elle a ici tous les produits sous la main. Il y a un important travail d'information et de lobbying à faire pour faire évoluer la situation. Comment le faire? Chacun de son côté? Non. Seul, on n'a bien entendu pas l'impact nécessaire et c'est compliqué. C'est l'un des challenges du comité : constituer avec un maximum d'acteurs de l'industrie du luxe et du lifestyle une voix que l'on puisse porter, avec le soutien de la Chambre, de l'Ambassade de France notamment, afin de lui donner une représentativité suffisante pour qu'elle soit entendue.
LEPETITJOURNAL.COM - Concrètement, comment cela pourrait se passer, auprès de quelle autorité, à quelle occasion?
Sukanya UERCHUCHAI - Nous profitons par exemple des négociations sur les accords de libre-échange entre l'Union Européenne et la Thaïlande. C'est le moment où les grandes marques ont une réelle occasion de se rassembler et de travailler ensemble afin de prendre position, apporter leur point de vue, travailler sur les sujets importants qui les intéressent avec les autorités. Nous avons une carte à jouer ici pour créer ce lobby du luxe en Thaïlande. Il y a déjà eu des initiatives du même type, il y a une dizaine d'années déjà, alors que la Thaïlande annonçait son ambition de devenir un hub de la mode. Le comité de "Bangkok Fashion City" auprès du Ministère de l'Industrie ainsi que les grandes marques de luxe avaient travaillé ensemble sur l'idée d'assouplir les taxes à l'importation sur les produits de luxe. Pour permettre à l'ensemble des acteurs d'avancer sur ce sujet, l'UE, Le Service Economique de l'Ambassade de France, UbiFrance, nous avons besoin de cerner les sujets au plus près, de pouvoir apporter une vision claire et des positions quant au marché, aux perspectives et au fonctionnement de l'industrie du luxe et du lifestyle en Thaïlande. Avec la mise en place de l'ASEAN, c'était le moment idéal pour créer ce comité et répondre à cet objectif, convaincre les autorités que l'ouverture du marché, la concurrence, la baisse des droits de douane ne représentent pas un risque pour les acteurs locaux, mais au contraire une opportunité.
Marie LUCCHINI - Nous aimerions faire passer l'idée, qui a été clairement démontrée par de nombreuses études faites sur le sujet, que les revenus fiscaux de la Thaïlande n'ont pas à perdre mais au contraire à gagner à réduire les droits d'importation. Ce qui ne serait plus capté à ce stade, le serait largement au niveau de la TVA et autres impôts collectés sur les revenus générés par le marché du luxe localement.
Concernant la dynamique et le développement du marché du luxe et lifestyle en Thaïlande, notre objectif est de consolider un certain nombre d'éléments statistiques, possiblement de mutualiser un certain nombre d'informations de l'ensemble des acteurs de ce secteur afin de créer une vision, un baromètre de l'évolution du secteur du luxe et lifestyle, sans bien évidemment toucher aux informations stratégiques et confidentielles propres à chaque marque.
LEPETITJOURNAL.COM - Quels sont les sujets du moment que vous évoquez?
Marie LUCCHINI ? Nous souhaitons représenter tous les secteurs du luxe. Concernant les marques françaises, il s'agit de la mode, des accessoires, de la cosmétique, de la joaillerie, la bijouterie ou encore l'hôtellerie de luxe, etc. Nous avons appelé le Comité "Luxury and Lifestyle" car le lifestyle est une tendance qui est en train de se développer et, petit à petit, demande aux marques de revoir certains modes de fonctionnement. Le consommateur aime le luxe, mais aujourd'hui, il demande encore plus. Il ne veut plus juste acheter un produit de luxe mais veut vivre une expérience avec les marques qu'il choisit, une expérience qui s'inscrit dans un style, une qualité de vie, une image. Il s'agit de tout un débat autour de l'évolution et de comment proposer les produits, les présenter, en parler, comment les faire interagir avec les acheteurs via notamment de nouveaux médias, mais aussi dans les boutiques. Autant de questions que nous allons aborder et qui sont au c?ur des stratégies de communication et de développement des marques.
Il y a aussi le sujet du marketing digital [l'objet du prochain événement le 27 mars, ndlr], qui est vraiment un tournant dans la façon dont les marques sont de plus en plus appelées à communiquer, interagir, créer et maintenir un lien avec leurs clients, et qui amène les entreprises à adapter leurs messages, les supports utilisés vis-à-vis des jeunes générations notamment pour continuer à entretenir leur lien privilégié avec eux.
LEPETITJOURNAL.COM - Quels sont les sujets que vous voudriez, dans le futur, aborder?
Marie LUCCHINI - Il y a beaucoup de sujets possibles. Nous en avons listé quelques-uns et encore une fois ce sont des idées qui sont venues au fil des conversations et brainstormings avec les membres du comité. On essaie de se réunir régulièrement avec les membres du comité pour travailler ensemble sur ces questions et allons organiser quatre évènements cette année. Un autre sujet qui revient très souvent est celui des ressources humaines. En Thaïlande, il n'y a pas suffisamment de ressources disponibles sur le marché du travail. Il n'y a pas non plus assez de professionnels ayant les formations nécessaires pour être opérationnels très rapidement dans les métiers du luxe. Il y a aussi une très grande volatilité compte tenu du dynamisme du marché de l'emploi thaïlandais.
LEPETITJOURNAL.COM - Y a t-il une grande différence sur le marché du travail comparé à quelques années auparavant?
Sukanya UERCHUCHAI ? Le marché a beaucoup changé. Les jeunes générations ont beaucoup plus la fibre entrepreneuriale. Dans ma génération, l'idée était de trouver un bon emploi, de travailler avec un grand groupe et d'y faire une partie de sa carrière. Aujourd'hui, les valeurs ont changé dans la société thaïlandaise. De plus en plus, les jeunes diplômés commencent leur carrière dans une entreprise, avec l'intention ensuite de monter leur propre société.
Marie LUCCHINI - Les chiffres disent qu'environ 49% de la population thaïlandaise est auto-entrepreneur. Cela signifie que la moitié des actifs sur le marché du travail ne sont pas intéressés par les emplois offerts par les entreprises qui veulent embaucher. Dans le pourcentage restant, une partie est constituée par des personnes qui ne sont pas encore prêtes, qui ne parlent pas anglais par exemple ou n'ont pas les niveaux de formations requis. En conséquence, il ne reste qu'un nombre très insuffisant de la population active possible pour les entreprises. Dans un tel contexte, rien d'étonnant de constater une telle volatilité. La complexité de l'offre en termes de salaires, avantages, formations, plans de carrière, etc. que les entreprises sont de plus en plus amenées à proposer à leurs employés est de plus en plus sophistiquée pour fidéliser les équipes au maximum.
Autre trait spécifique aux marchés en plein boom, comme la Thaïlande, les jeunes professionnels sont souvent persuadés que le fait de changer d'entreprise rapidement constitue un atout pour leur CV. Ils recherchent une évolution rapide en termes de titres, de salaires. C'est un peu une course à la consommation carriériste qui se caractérise rarement par une évolution de poste et de responsabilités au sein de leur entreprise, mais des changements très rapides d'entreprises. Ces jeunes professionnels ne se rendent pas forcément compte qu'ils ne prennent pas suffisamment le temps d'apprendre et d'assimiler tout ce que leur poste et leur entreprise a à leur transmettre pour leur assurer une évolution de carrière construite. De cette façon, beaucoup en arrivent à détruire la qualité de leur profil.
LEPETITJOURNAL.COM - Quelles sont les problématiques clés en ce qui concerne la qualité du personnel?
Marie LUCCHINI ? La première est le recrutement. Vient ensuite la fidélisation. Il faut garder les gens suffisamment longtemps pour avoir le temps de leur transmettre, via les formations, le savoir nécessaire pour délivrer aux clients finaux la qualité de service, d'accueil, et autres qu'ils sont censés recevoir dans les boutiques. Le monde du luxe demande des formations très spécifiques. Vendre des objets de luxe nécessite une démarche, une approche des clients particulière. Un client qui entre dans un magasin de luxe vient rêver, s'offrir un voyage, il vient réaliser un rêve qu'il a souvent préparé. Evidemment, l'expérience qu'il en attend, en dehors de la qualité du produit, de sa beauté, de la marque, c'est de vivre quelque chose de différent, d'avoir une expérience, de partager un peu de ce rêve qu'offre la marque. Il veut être considéré, accueilli, conseillé, écouté. Il veut vivre un moment particulier, privilégié jusqu'au moment où il quittera l'univers privilégié de la boutique, de la marque en emmenant avec lui son achat qui prolongera ce rêve, ce voyage. C'est un peu comme cela que je décrirais l'expérience du luxe. Cela, ça demande beaucoup de savoir-faire de la part du personnel dans les boutiques. On est très loin d'un simple acte de vente.
LEPETITJOURNAL.COM - Quels sont les atouts et faiblesses des produits français?
Marie LUCCHINI - Il n'y a que des atouts! (rires)
Sukanya UERCHUCHAI - Les produits français sont très appréciés en Thaïlande. Avec mes expériences dans la communication et les relations publiques, je peux dire que l'une des faiblesses se situe au niveau de la promotion et de la publicité. Cela vient peut-être des contraintes liées à la centralisation des décisions relatives à la communication au niveau des sièges des groupes. Certaines campagnes ou messages pourraient peut-être gagner en étant plus locales.
Marie LUCCHINI ? Il y a en Thaïlande une concurrence énorme de marques du monde entier, sans parler des marques émergentes des pays de la zone, coréennes, chinoises, etc.
Nous avons en France un savoir-faire extraordinaire. Une excellence qui remonte à des générations, reconnue mondialement. Ceci dit, je crois que nos produits français vont être de plus en plus challengés par de nouvelles marques venues de pays "nouveaux", qui ont beaucoup d'énergie et qui veulent se faire leur place sur le marché du luxe. Les marques traditionnelles vont donc être amenées à se battre, s'adapter pour conserver leur place et continuer d'attirer de nouveaux clients avec des attentes et des modes de consommation et d'expression différents de leur clientèle traditionnelle.
LEPETITJOURNAL.COM - Quid des entreprises ou marques thaïlandaises qui visent le marché français, votre comité est-il sollicité et en mesure de répondre à ce genre de démarche?
Marie LUCCHINI ? Cela fait également partie de nos objectifs à terme. Nous souhaitons bien entendu développer la dynamique franco-thaïe. Pour l'instant le comité regroupe essentiellement des marques françaises. Nous avons commencé à contacter un certain nombre de marques locales. Elles ont aussi beaucoup à apporter et à partager. Pour ce qui est du développement de leurs activités sur la France, nous n'y avons pas encore vraiment réfléchi en dehors de les inviter à se joindre à nous au sein du comité, de participer aux évènements que nous organisons dans un premier temps. Par ailleurs, il existe aussi un certain nombre de relais efficaces, notamment le service Promosalons de la FTCC qui accompagne depuis des années les entreprises Thai aux salons professionnels en France, le réseau français des chambres de commerce et beaucoup d'autres structures. Donc, si nous avons des demandes spécifiques des entreprises Thai, nous sommes d'emblée en mesure de les aiguiller vers les ressources adéquates.
Pour contacter Marie LUCCHINI et Sukanya UERCHUCHAI, cliquez ici ; Voir aussi le site Internet de la FTCC
DEJEUNER-CONFÉRENCE - "Challenges of the Digital Marketing in the Luxury and Lifestyle Sectors"
Une formation franco-thaïlandaise du luxe Cérémonie de remise de diplômes à la première promotion du MBA "Management du Luxe" de l'école Luxellence-IFA, le 13 février à la Résidence de France, à laquelle étaient notamment conviées Marie Lucchini et Sukanya Uerchuchai LIRE AUSSI Notre article du 7 mars 2014 Notre article du 12 février 2014 Notre article du 29 janvier 2014 Notre article du 17 décembre 2013 |
Propos recueillis par Pierre QUEFFELEC (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) mercredi 19 mars 2014