Derrière l'apparence paisible et docile que peuvent renvoyer les Thaïlandais, se cachent des statistiques surprenantes. La Thaïlande affiche le deuxième taux le plus élevé de meurtres par arme à feu d'Asie du Sud-est. Et pour cause, entre 6 et 10 millions d'armes à feu circuleraient dans le royaume
Quand les coups de feu ont retenti, les touristes devant la boutique de bijoux de Rungrat Rungsuwan sur l'île de Koh Samui ont paniqué. Venus visiter le "pays du sourire", ils ont découvert une autre facette de la Thaïlande : son attrait pour les armes.
"Quand les gens se sont rendus compte que c'était des coups de feu, ils ont pris peur et ont commencé à courir. Quelques personnes sont venues dans mon magasin pour se cacher", raconte la vendeuse de cette petite île très touristique du sud de la Thaïlande.
A quelques mètres de là, ce 6 mars dernier, Panas Khao-Uthai, un homme d'affaires de la région, gisait, le corps criblé de six balles tirées à bout portant par deux assassins qui étaient venus régler en plein jour un litige commercial d'après la police.
Même si les étrangers sont souvent épargnés, il se passe rarement une semaine sans que la Une des journaux fasse état d'un nouveau meurtre par armes à feu.
Récemment, un homme a tiré sur sa petite amie en plein centre commercial. Un autre a été exécuté à la sortie de son appartement après une dispute avec un agent de sécurité. Un riche magnat a été tué par son conseiller, et un chauffeur de bus a tué un passager qui critiquait régulièrement sa façon de conduire.
"Il y a une culture des armes. Une culture très militaire en Thaïlande, de l'uniforme, de la puissance virile, de l'ordre", détaille un policier occidental en poste à Bangkok.
Le gouvernement thaïlandais ne fournit pas de chiffres précis sur le nombre de meurtres chaque année, hormis dans le sud du pays où une insurrection musulmane locale a fait plus de 6.400 morts lors des dix dernières années.
'Leader mondial des meurtres liés aux armes à feu'
Selon le site Gunpolicy.org qui recense des statistiques globales sur les armes, géré par l'Université de Sidney, la Thaïlande a le taux le plus élevé de meurtres par armes à feu en Asie du sud-est après les Philippines avec 3,48 meurtres pour 100.000 personnes, trois fois plus que son voisin cambodgien.
D'après les statistiques du ministère de l'Intérieur, quelque 6,1 millions d'armes à feu circulent dans le pays pour une population de 67 millions de personnes. Gunpolicy.org évalue plutôt ce chiffre à 10 millions, en prenant en compte un marché prospère d'armes illégales.
La Thaïlande égale ainsi les Etats-Unis. "La Thaïlande a une ardente culture des armes équivalente à celle des Etats-Unis et elle est devenue un leader mondial dans les meurtres liés aux armes à feu", affirme un rapport du Bureau pour la Sécurité diplomatique du département d'Etat américain.
Malgré ce contexte, aucun débat autour du contrôle des armes à feu n'a émergé dans la société thaïlandaise.
Pour Kasit Piromya, ex-ministre des Affaires étrangères, cela s'explique par le concept bouddhiste et hindou du karma. "La vie est déterminée par votre karma. Quand vous mourrez, vous mourrez. Nous acceptons la mort calmement comme une partie de la vie", explique-t-il.
En théorie, la Thaïlande a une législation stricte et toutes les armes doivent être recensées. Les sanctions pour port illégal d'arme sont sévères. Mais en pratique, la loi est facilement contournée.
"Nous n'avons pas de vraie réglementation", confesse Ponrthip Rojanasunand, directeur de l'Institut Thaïlandais des sciences médico-légales. Par conséquent, "il y a des armes non autorisées partout dans le pays."
"Je veux que toutes les armes soient enregistrées", affirme à l'AFP Akaradet Pimolsri, le directeur de la division d'élite pour la suppression du crime, unité de commando de la police thaïlandaise, qui attend l'installation prochaine d'une base de données contenant toutes les "empreintes balistiques".
Fin juillet l'AFP a accompagné Akaradet et 200 de ses commandos dans un raid dans la province d'Uthai Thani, dans le centre, connue pour être une plaque tournante du crime organisé.
Les officiers, armés de fusils d'assaut, fusils de chasse et d'armures n'ont pas réussi à mettre la main sur les deux suspects du meurtre d'un policier en 2011. Mais 20 pistolets, des munitions et des gilets pare-balles ont tout de même été saisis.
A Koh Samui, après le meurtre de l'homme d'affaires, près de 100 armes ont été saisies, selon Akaradet. Trois mois plus tard, les touristes ont réinvesti le restaurant où avait eu lieu la fusillade. "C'était la première fois que je voyais quelque chose comme ça", a confié Laurent Haroutinian, manager français du restaurant. "J'espère que c'était la dernière".