Un nouveau code de conduite promu par la junte militaire au pouvoir en Thaïlande vise à inculquer l'amour de la monarchie ainsi que le respect des autorités aux des écoliers du pays. Une manière, selon les critiques, d'affirmer l'autorité du pouvoir, mais également d'abrutir le système scolaire.
Chaque matin, les élèves de l'école pour filles de Satriwithaya, dans le coeur historique de Bangkok, affluent dans l'entrée de leur établissement en chantant l'hymne royal du pays.
"Je me prosterne, corps et âme devant sa majesté", entonnent-elles en rangs ordonnés.
Une scène maintes et maintes fois répétée à travers un pays où le roi Bhumibol Adulyadej, 87 ans, jouit d'un dévouement inconditionnel, sculpté par le statut de demi-dieu que lui confère le culte de la personnalité.
Mais à présent, un nouvel élan de patriotisme forcé est instauré dans les écoles, au travers d'une propagande menée par la junte au pouvoir, qui souhaite rallier l'opinion publique à son coup d'état.
Depuis la rentrée scolaire, qui a eu lieu en novembre, chaque élève âgé de huit à dix-huit-ans est censé maîtriser les "douze commandements", que les généraux au pouvoir souhaitent inculquer à la jeunesse.
Ceux-ci prennent la forme de maximes à la gloire du Roi Bhumibol ? le plus ancien souverain en exercice du monde ? et en faveur de l'obéissance envers l'establishment royaliste, qui regroupe aussi bien l'armée que l'élite bangkokoise.
"Adore la nation, la religion et Sa Majesté le Roi", établit le premier commandement, qui reflète ainsi les trois piliers essentiels de la société thaïlandaise.
Dans son discours du 11 juillet 2014, le général Prayuth Chanocha, chef de la junte au pouvoir, a annoncé les 12 principales valeurs thaïlandaises censées s'inclure dans les réformes de l'éducation: |
Le septième incite les élèves à "bien comprendre la démocratie conduite par Sa Majesté le Roi", en écho au coup d'état de mai qui a vu l'accès au pouvoir du gouvernement en place ? alors que le dernier leur demande de se mettre au service de la nation avant de servir leur propre intérêt.
Mais tous les étudiants ne sont pas d'accord avec ce "remodelage" par la junte de la société thaïlandaise depuis ses salles de classe.
Certains d'entre eux y voient un véritable lavage de cerveau, qui vise à priver une génération entière de tout sens critique.
"Forcer tous les étudiants à adhérer aux mêmes valeurs ne correspond pas à une éducation du XXIe siècle", affirme une étudiante du groupe Éducation pour la libération de Siam, qui engage le débat sur les réseaux sociaux. "On ne peut pas vivre dans une société de robots programmés avec un seul et même logiciel", confie-t-elle à l'AFP sous couvert de l'anonymat.
Définir la "thaïté"
La notion d'identité thaïlandaise, bien que toujours vague, se voit aujourd'hui renforcée, après une décennie de combats politiques qui ont considérablement divisé la société du pays.
Ainsi, le dévouement au roi reste lui infaillible. Ce dernier est considéré comme une force unificatrice qui a su perdurer au long d'un règne de six décennies, pourtant tourmenté par l'instabilité politique et les coups d'Etat répétés.
"Il est au centre de la vie des Thaïlandais", raconte Napatsorn Bunyaphate, 15 ans, qui étudie à l'école Satriwithaya.
Des valeurs royalistes incarnées au travers d'une campagne cinématographique organisée début décembre à l'occasion de laquelle une douzaine de courts-métrages ont été projetés gratuitement dans de nombreuses salles du pays (voir aussi notre article Hitler dans un film de propagande de la junte en Thaïlande).
Le maître à penser de ce projet n'est autre que Prayuth Chan-O-Cha, l'ancien chef de l'armée devenu Premier ministre, qui dit avoir été forcé de prendre le pouvoir après plusieurs mois de manifestations antigouvernementales ayant fait une trentaine de morts et des centaines de blessés.
Prayuth a instauré la loi martiale, réduit au silence ses dissidents, et supervisé une vague d'inculpations et de condamnations pour lèse-majesté - crime pouvant être puni jusqu'à 15 ans d'emprisonnement.
De nombreux manifestants anti-coup d'Etat ont été arrêtés. Parmi eux, en novembre, plusieurs étudiants qui avaient arboré un salut à trois doigts, inspiré du film de science fiction Hunger Games, et devenu un véritable symbole de résistance.
L'enseignement supérieur 87ème sur 144 pays
L'armée est accusée par ses détracteurs d'utiliser le rôle d'ultime défenseur de la monarchie comme une excuse pour se s'agripper au pouvoir dès lors qu'elle se sent menacée par l'avènement de la démocratie.
Aidée de ses alliés au sein de l'élite bangkokoise, elle est farouchement opposée à la famille de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont les différents partis politiques ont remporté toutes les élections nationales depuis 2001, grâce au large soutien des régions pauvres mais populaires du nord et du nord-est.
Analystes et associations de défense des droits de l'homme accusent Prayuth de mener une campagne maladroite de contrôle de la pensée. Ils estiment également que jouer ainsi avec un système d'éducation déjà très faible risque de miner les perspectives politiques et économiques du royaume.
Bien qu'elle consacre près de 20% de son budget à l'éducation -l'un des plus hauts taux de la région- la Thaïlande fait pâle figure dans les classements internationaux de mesure des performances des systèmes éducatifs, en comparaison avec ses voisins.
Selon un indice du Forum économique mondial, elle figure à la 87ème place sur 144 pays dont le système d'enseignement supérieur a été étudié. Malgré les aspirations à la réforme, la méthode d'apprentissage "par coeur" reste la base du système éducatif thaïlandais.
"Le seul mot d'ordre est de ne pas remettre en question l'autorité, et cela se ressent dans le système éducatif", explique le Dr Atipong Pathanasethpong, qui enseigne à la Khon Kaen University dans le nord-est du pays. "La junte ne fait qu'aggraver les problèmes", ajoute-t-il.
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