En quoi le mouvement surréaliste thaïlandais des années 70 s'est-il inspiré du célèbre mouvement artistique européen d'après guerre ? Un professeur thaïlandais de l'Université de Silpakorn creuse admirablement la question dans un ouvrage traduit en français intitulé Influence en Thaïlande du surréalisme européen et disponible gratuitement sur Internet
Influence en Thaïlande du surréalisme européen est traduit en français et disponible gratuitement sur Internet
Influence en Thaïlande du surréalisme européen du professeur Sodchuen Chaiprasathna, de l'école des Beaux-Arts de Silapakorn est enfin disponible gratuitement en français sur Internet. Ce livre captivant pour qui veut pénétrer l'univers artistique thaïlandais contemporain et saisir les particularités de sa période surréaliste, avait paru pour la première fois en 1984, en langue thaïe.
Avec le concours du professeur Jean Marcel, Ajarn Sodchuen, livre donc aux francophones une réédition de son travail. La professeur de lettres françaises analyse la façon dont les artistes du royaume se sont inspirés dans les années 1970 des ?uvres surréalistes de Dali, Picasso ou encore Magritte pour exprimer leurs propres revendications, sans pour autant adopter la philosophie du mouvement. "Les Thaïlandais ont utilisé les techniques du Surréalisme européen, affirme Ajarn Sodchuen, mais ils sont restés totalement imperméables à sa philosophie".
Philosophie anti religieuse
Développé après la première Guerre mondiale en Europe, le Surréalisme occidental se faisait l'écho d'une philosophie anti religieuse dans un contexte où la bourgeoisie et la religion étaient accusées d'avoir participé aux énormes pertes engendrées par les conflits. Mais, dans les tableaux de Kiettisak Chanonnart ou d'Angkarn Kalayanapong, on ne trouve point de sujet anti religieux, de théorie révolutionnaire ou encore de référence freudienne. Une indifférence à l'essence du mouvement artistique européen qui s'explique, selon les deux universitaires, par la différence de contexte historique ainsi que par la force de la culture thaïlandaise. "La culture thaïe est très forte, explique Jean Marcel qui a adopté la Thaïlande il y a plus de 20 ans. Cette force l'empêche d'absorber telles quelles les influences extérieures. Au contraire elle les broie pour mieux les assimiler". Et Ajarn Sodchuen de reprendre : "Les Thaïlandais ont été simplement attirés par l'aspect rêveur, onirique, irrationnel et mystérieux du Surréalisme européen".
Prostitution par téléphone
Les 26 artistes thaïlandais réunis dans l'ouvrage ont donc simplement repris les caractéristiques visuelles du Surréalisme pour dénoncer des maux propres à leur contexte. "Alors beaucoup plus contestataire que maintenant, la jeunesse thaïlandaise des années 70 critiquait ouvertement la politique du royaume, le développement de la prostitution, la guerre du Vietnam ou encore les problèmes environnementaux, racontent les deux professeurs."Ainsi, dans La Call Girl (1969), explique le livre, Somchai Hatthakitkoson évoque par exemple à la fois sa pitié et sa répugnance vis-à-vis des femmes thaïes qui se prostituent par téléphone : un téléphone se trouve sous un lit fiché dans le ventre ouvert d'une jeune femme, dont le bas du corps est en métal.
Près de quarante ans plus tard, le Surréalisme a néanmoins perdu de sa superbe et les étudiants des Beaux-Arts y ont de moins en moins recours. D'autres tendances prennent le dessus. "La culture pop inspire davantage"?, soupire Adjarn Sodchuen.
Caroline TRONCHE. (www.lepetitjournal.com Bangkok) mercredi 17 octobre 2007
Pour télécharger l'étude http://www.thapra.lib.su.ac.th/e-book.
A propos des auteurs
Sodchuen Chaiprasathna est professeur titulaire de littérature française à l'université Silpakorn de Bangkok. Plusieurs fois boursière du gouvernement français et du Thailand Research Fund, elle a publié en thaï des études sur le surréalisme en France et en Thaïlande et sur Baudelaire poète et critique d'art. Elle prépare actuellement un livre sur Malraux ministre et sa politique culturelle. Alors ambassadeur de France en Thaïlande, Laurent Aublin a remis au professeur Sodchuen le titre de Chevalier dans l'Ordre des Palmes académiques en septembre 2005.
Jean Marcel est professeur retraité de l'université Laval au Québec. Médiéviste et écrivain, il a publié une trentaine de livres dans les genres les plus divers (romans, essais, études savantes, traductions). Il vit en Thaïlande depuis vingt ans et a été nommé expert académique de l'université Chulalongkorn de Bangkok.