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« L’art et le cinéma ont une relation très fluide »

Emma Jameson Auckland Art GalleryEmma Jameson Auckland Art Gallery
Emma Jameson lors de notre rencontre à la Auckland Art Gallery
Écrit par New Zealand French Film Festival
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 27 avril 2018

Dans le cadre du french film festival, nous avons eu le plaisir de rencontrer Emma Jameson, conservatrice à la Auckland Art Gallery. C’était l’occasion pour nous de nous replonger dans la catégorie Iconis Artist présentée lors du festival, en nous attardant notamment sur le peintre français Gauguin qui a immigré dans le Pacifique en 1891 et sur la relation qu’entretiennent l’art et le cinéma.

 

L’Alliance Française Film Festival vous a choisi pour présenter le film Gauguin, partie intégrante de l’événement spécial dédié aux artistes iconiques et l’art dans le cinéma. C’est un projet spécial, qu’est-ce que cela représente pour vous ? 

Pour moi c’était un réel privilège et un honneur d’être invitée en tant que présentatrice de ce film et de l’événement du French film festival. Simplement par que, d’un point de vue personnel, ma famille va au French Film festival depuis des années. Mais aussi parce que je sais l’importance de festival, pas seulement pour la culture française, mais aussi pour la culture néo-zélandaise. Donc pour moi, oui, c’était absolument un honneur. 

 

En France, Gauguin est considéré comme l’un des peintres les plus importants. Qu’est-ce que vous pensez de son œuvre mais aussi de lui en tant qu’artiste ? 

D’un point de vue esthétique, je trouve les œuvres de Gauguin vraiment belles, très colorées. Il recréé des rêves à travers la représentation de paysages. Il peint le monde autour de lui de la manière dont il a envie qu’il soit et cela se ressent énormément dans son travail. Concernant sa personnalité et le contexte dans lequel il peignait, je pense que son histoire est vraiment intéressante aussi. Il essayait toujours de récréer ce paradis, la vie qu’il voulait mener. Il pensait vraiment obtenir cela dans le Pacifique mais il n’a pas réussi. Il espérait aller à Tahiti et trouver un nouveau paradis solitaire mais en fait des gens étaient installés là depuis des années. A travers ses peintures, il a essayé de faire de sa vision du Pacifique une réalité. 

 

oeuvre Gaugin
Arearea by Paul Gauguin

 

Le film raconte son voyage à Tahiti, est-il connu ici dans le Pacifique et plus précisément en Nouvelle-Zélande ? 

Oui bien-sûr, même son travail avant sa venue ici est très connu dans le Pacifique. La période où il était à Tahiti a une résonnance locale pour nous. En Nouvelle-Zélande, nous sommes dans le Pacifique donc son travail ici a une certaine signification pour nous en termes de pensée critique et de la conscience historique que l’on peut avoir aujourd’hui. 

 

Comment est-il perçu dans le film à travers son œuvre mais aussi à travers sa personnalité ? 

Le film retransmet bien la passion qu’il avait pour le Pacifique et la relation très forte qu’il entretenait avec cette partie du globe. C’était sans aucun doute une partie intégrante de sa carrière puisqu’il a su y trouver de l’inspiration, notamment au niveau des couleurs. Le film traduit bien cette ferveur et son amour pour les paysages. On retrouve également sa relation avec la jeune Tehura qu’il a rencontré à Tahiti et qui est devenue en quelques sortes sa muse puisqu’on la retrouve dans de nombreux tableaux. 

 

Nous avons dit que Gauguin était très connu en France, mais quelques aspects de sa vie sont moins connus en Europe, comme par exemple sa relation amoureuse, le film d’Edouard Deluc n’évoque pas l’âge de Gauguin ni celui de Tehura. Elle avait 13 ans et il en 43. Selon vous, est-il possible de faire la distinction entre l’homme et l’artiste ?

 Je pense que c’est une question très intéressante. Certains pensent que la beauté externe reflète la vertu de l’homme, que la moralité est totalement intégrée à l’art, l’art devrait refléter l’âme. Pour d’autres la moralité et la peinture devraient être totalement séparées l’une de l’autre. Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Je pense que ce qui est vraiment important lorsque l’on regarde une œuvre de Gauguin, c’est que l’on soit conscient de ce qu’il s’est passé que ce soit à travers le contexte socio-historique mais aussi sa vie personnelle. A partir de là, nous devons essayer d’interroger ce que cela signifie aujourd’hui. Dans une période post-coloniale, nous devons être plus au courant de la manière dont les gens du Pacifique sont dépeints dans l’art. Nous pouvons utiliser Gauguin comme la point de départ à cette réflexion. 

 

Barbara Almaric
Jeanne Balibar dans le film Barbara réalisé en 2017 par Mathieu Amalric


Gauguin, Rodin, Barbara ou Dalida, beaucoup de films joués au French film festival sont des biopics d’artistes connus. Quelle est la relation actuelle entre l’art et le cinéma ? 

C’est une relation très fluide et pour moi le film Barbara représente bien cela. Je n’avais pas entendu parler de Barbara avant de voir le film, je dois l’avouer. Comment faire un film en utilisant un chanteur et ses différentes représentations ? C’est là toute la question. On retrouve des caractères similaires dans les deux arts : raconter une histoire à travers l’aspect visuel. En plus de ça, il y a beaucoup d’artistes qui travaillent ensuite dans l’univers du cinéma.

 

Le cinéma est le septième art. Qu’est-ce que le cinéma apporte à l’art et inversement ? 

C’est une relation très intéressante. Par exemple, le film sur Van Gogh raconte l’histoire de sa vie en recréant ses peintures, prises individuellement elle construisent le film. Nous avons aussi en ce moment à la Art Gallery une exposition intitulée Manifesto. Elle raconte l’histoire des manifestes d’artistes. Beaucoup de choses se croisent, il y a de nombreuses références à d’autres formes de média qui vont faire que l’histoire va être comprise, perçue et qui vont permettre de communiquer sur le monde dans lequel nous vivons. 

 

Est-ce que le cinéma est capable de promouvoir l’art à un plus large public ? 

Oui je pense qu’il peut être utilisé pour communiquer sur des histoires d’artistes de plusieurs manières. Par exemple, les films que nous montrons au French film festival se plongent vraiment dans la personnalité des artistes. Ces histoires émotionnelles, personnelles peuvent rentrer directement en résonnance avec ce que vit le spectateur et puis, le film peut permettre de comprendre comment cela se retranscrit dans le travail artistique. Mais je pense que plutôt qu’à une plus grande population, le cinéma permet de rapporter à l’histoire à différentes sections de la population et engager les personnes de façons variées peut-être.

 

affiche french film festival 2018
Affiche french film festival 2018 


Par exemple Godard parle de 1968 en France et de la révolution sociale. Pensez-vous que de parler d’une personne célèbre peut être une manière de parler aussi des faits sociaux ? 

Oui, absolument. Je pense que Gauguin en est un exemple très intéressant. Avec sa vie à Tahiti, le spectateur est obligé de réfléchir au contexte social. A travers la fascination du personnage on apprend qu’il y avait une réelle utopie concernant le Pacifique. On comprend alors comment les Français et les Européens en général voyaient et voient le Pacifique. Ce que j’ai trouvé très intéressant quand je faisais des recherches sur Gauguin, c’est le fait que même dans son propre contexte les gens débâtent sa perception du Pacifique et des femmes ici. Certains critiquent la manière dont Gauguin dépeint le Pacifique parce qu’il perpétuait ce discours colonial. D’autres pensent que Gauguin challengeait les stéréotypes déjà établis. Je pense que même le film sur Gauguin, qui ne rentre pas directement dans ces problématiques, ouvre la voie à la réflexion sur ces questions de société. On peut alors se demander ce qui a et ce qui n’a pas, influencé sa pratique. 

 

Comme on peut le voir la langue française, la gastronomie ou le cinéma sont plutôt bien réputés ici, en Nouvelle-Zélande. Diffuser des films comme Gauguin, Rodin ou Barbara, est-il une manière de promouvoir d’autres arts auprès des Kiwis ? 

Je pense oui. C’est une manière d’ouvrir une porte où les kiwis peuvent avoir un large aperçu de la culture française qui va stimuler leur attrait pour celle-ci. Par exemple, si vous entendez parler français à l’écran, vous pouvez vous dire « ah j’ai envie d’apprendre cette magnifique langue et aller à l’Alliance française ! ».

 

L’année dernière Rodin’s le baiser était la pièce centrale dans The Body une exposition composée de nus, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? 

C’était un moment très excitant pour la Auckland Art Gallery. C’était la première fois que son art voyageait en dehors de l’Europe. Nous nous sommes donc sentis très privilégiés d’être un des deux endroits dans la région océanique pour exposer son travail (qui était avant à Sydney Art Gallery of New South Wales). C’est une sculpture monumentale, elle est plus grande que moi et pèse extrêmement lourd. Nous l’avions placé au centre de la galerie donc les gens pouvaient en faire le tour. Les visiteurs étaient complétement fascinés et captivés par l’extraordinaire capacité de Rodin à capturer les mouvements et les sensations de la chair humaine. Cela donne vraiment vie aux deux personnages représentés, Pablo et Francesca. C’était donc un moment très spécial pour nous.

 

Finalement, est-ce qu’on peut dire que le cinéma est un autre genre de peinture ? 

Je ne dirais peut-être pas de peinture mais une nouvelle forme de média, une nouvelle forme d’art. Beaucoup de gens voient le cinéma comme une extension artistique, où on atteint l’inspiration. Par exemple pendant les années folles en Europe entre 1930 et 1940, le cinéma représente la parfaite extension de cette période. Les artistes pouvaient exprimer leurs visions idéalistes du monde dans différents formats. 

 

Pour finir, est-ce que vous avez d’autres projets pour cette année avec l’Alliance française ? 

Oui j’espère, nous avons une relation très forte avec l’Alliance française. Pendant les 4 dernières années, nous avons collaboré avec eux. Donc je suis sûre que dans le futur nous retravaillerons ensemble et avec un peu de chance, ce sera sur le French festival de l’année prochaine ! 

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