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De quoi parlons-nous quand nous parlons de “sourds” ?

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Écrit par Noé Kolanek
Publié le 8 février 2021

Chaque jour dans les rues de la capitale, plus de dix mille sons de klaxon retentissent de Rizoúpoli à Koukaki. Certains sont accompagnés d’un traditionnel « malaka » pendant que d’autres, à Monastiraki, sont étouffés par le bruyant marché aux puces. Plus au centre à Plaka, ce sont les cris de clients impatients d’entrer faire leurs "achats" qui monopolisent l’atmosphère urbaine.

Et dans chacune de ses avenues, le cœur de ville respire au rythme des battements de voix de sa population. Pourtant si on tend bien l’oreille, quelques passants demeurent silencieux en périphérie. Et ce n’est pas cette fois le rugissement de conducteurs pressés qui le camoufle. Il s’agit en réalité là de personnes qui, par surdité ou troubles de l’audition, ne se mêlent pas à la cacophonie athénienne. De plus, il est bien difficile de les dénombrer tant les estimations opérées par la municipalité manquent. Cela est d’ailleurs révélateur de la prise en compte parfois insuffisante d’Athènes à leur égard. Mais alors, à quoi ressemble dont le quotidien en 2021 de ces personnes pour qui la capitale n’est pas perçue du même air ?

Tout d’abord cela n’a concrètement rien n’à voir avec les conditions de vie que proposait la ville il y a à peine quelques années. Par son étroite participation aux côtés de l’UE au plan européen du handicap s’étalant sur 10 ans, la Grèce et donc Athènes a contribué à l’inclusion dans la société de chacun de ses individus. Pour cela, elle a multiplié les campagnes de modernisation sur la décennie dernière. Et 2021 sonne aujourd’hui comme un bilan puisque le plan européen 2010-2020 est désormais terminé.

Athènes semble ainsi différente. « Aujourd’hui, le respect du droit d'accès et de la qualité de vie sont particulièrement considérés » explique le maire de la commune, Costas Bakogiannis. D’après le politicien, les quartiers d’Athènes ont ainsi changé leur garde-robe pour rhabiller leurs rues de nouvelles infrastructures « visant à garantir l'accès et la participation sans entraves des personnes handicapées à tous les aspects de la vie quotidienne. » Par l’intermédiaire de ce projet, la métropole s’est en plus de cela pourvue d’un nombre croissant d’interprètes au fur et à mesure des années. Ce qui, à travers le temps, a permis aux individus atteints d’un trouble de l’audition d’être de plus en plus inclus au sein de la vie publique athénienne.

Des problèmes persistants

Cependant l’enrobage urbain de la capitale ainsi que ces évolutions additionnelles ne font pas tout. La grande considération envers le handicap auditif s’est en réalité démocratisée en ville il y a peu de temps. Pour le souligner, le langage des signes a par exemple seulement été admis en Grèce comme à Athènes en tant que langue officielle en 2017. Pour autant, l’évolution de la perception générale des personnes atteintes d’un trouble de l’audition a franchi un cap depuis l’apparition de la pandémie sanitaire.

Selon Simpsis Kostantinos, Président de la Fédération des sourds de Grèce, « de plus en plus de personnes dans la société ont réalisé l’importance des services mis en place pour nous l’année dernière. » Il indique également que la période actuelle est, bien sûr, très délicate, mais qu’elle a néanmoins permis aux citoyens grecs de devenir plus conscients de l’intérêt des interprètes, ces derniers apparaissant désormais de façon fréquente dans de multiples programmes TV. Par exemple, toutes les annonces sanitaires et émissions religieuses liées à la prière sont maintenant soit sous-titrées, soit traduites en direct par un interprète du langage des signes.

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Toutefois, les efforts réalisés à la fois par la Grèce et Athènes n’ont pas encore permis de combattre considérablement la précarité liée à cet handicap. Au sein du pays comme dans la capitale, des études internes font actuellement état d’un taux de chômage de 70% pour les plus jeunes personnes souffrant de surdité (18-30 ans). Simpsis Kostantinos explique notamment cette inaccessibilité au marché du travail par « l’évolution technologique récente » qui « robotisent les postes que les sourds occupaient beaucoup avant. » Ce qui, en finalité, constitue toujours pour ces individus une importante inégalité. La majorité d’entre eux vivent d’ailleurs en-dessous du seuil de pauvreté (moins de 200€ par mois selon le GSEE Labour Institute) et peinent à décrocher un emploi.

 Une amélioration lente mais perceptible

« Nous nous sentons quand même bien plus soutenus » défend Simpsis Kostantinos avant de compléter :      « Quand je vais par exemple faire les boutiques, on communique avec moi et me considère de plus en plus souvent. Si le vendeur qui s’occupe de moi parle doucement tout en articulant bien, j’arrive à lire sur ses lèvres et je peux essayer d’interagir avec lui.» Cela veut donc en fait signifier que la prise en considération remarquée à échelle nationale, comme via par exemple l’augmentation des programmes TV disponibles pour les sourds et malentendants, est également observable d’un point de vue local. En ville, le plan européen créé par l’UE a sans conteste encouragé les athéniens à considérer davantage ce handicap. « Cependant nous n’avons jamais été discriminés en quoi que ce soit » précise le Président de la Fédération des sourds.

En revanche, il y a encore du chemin à parcourir pour observer une totale considération de cet handicap. Dans la capitale, il est par exemple complexe pour les personnes sourdes ou malentendantes de communiquer avec certaines banques ou entreprises. Lorsque l’une d’entre elles souhaite prendre rendez-vous avec l’un des services de ces compagnies, un interprète lui est directement assigné sans pouvoir le connaître au préalable, tel un avocat commis d’office. Cela représente donc une difficulté pour eux puisque c’est cet inconnu qui va être en charge de faire le lien, à la fois avec la personne handicapée et le service, au moment du rendez-vous. Machinalement, ce genre d’entrevues fait peur aux individus souffrant d’un handicap auditif tant ils ne sont pas sûrs que leurs intérêts soient justement représentés.

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Pour combler cette crainte, la Fédération des personnes sourdes a saisi l’année dernière le gouvernement afin de trouver une solution. Des services spéciaux proposant des interprètes personnels existent ainsi depuis peu. Ils donnent aux malentendants et sourds la possibilité de rencontrer leur représentant avant de se rendre au rendez-vous à ses côtés. Cela permet de soulager les doutes des demandeurs d’interprètes en perspective du futur échange. De plus, la ville d’Athènes a mis en service en juillet dernier un ensemble de technologies d'accessibilité audio facilitant la vie des résidents touchés par ce handicap. Ils peuvent dorénavant bénéficier de conditions d’accessibilité optimales afin de communiquer avec le bureau municipal de la ville.

Alors certes, Athènes a dûment œuvré sur tous les plans afin de briser l’isolement social lié aux troubles de l’audition. Néanmoins, la grande précarité des sourds et malentendants demeurent un sujet brûlant. L’expression « marché du travail » semble d’ailleurs factice tant celui-ci parait être un oligopole plutôt qu’un marché à proprement parler. En 2021, les jeunes demandeurs d’emploi sourds se marchent tellement dessus qu’ils représentent aujourd’hui un taux deux fois plus grand que le taux de chômage des jeunes actifs… (70% contre 35.5% en 2019 selon infogrece.com) Et tant que cette courbe ne baissera pas considérablement, il est difficile d’imaginer leurs conditions de vie réellement transformés.

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