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Rimbaud à Java - Une histoire méconnue

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Écrit par Valérie Pivon
Publié le 2 mars 2023, mis à jour le 4 décembre 2023

Mai 1876, le démon de l'errance saisit à nouveau Arthur Rimbaud. Il s'enrôle dans l'armée coloniale hollandaise et embarque direction l'île de Java. Il débarque le 22 juillet à Batavia, déserte le 14 août 1876 et réapparait à Charleville le 31 décembre de la même année. Ce qu'il fit durant ces 4 mois et demi reste un mystère. L'écrivain américain Jamie James, installé à Bali et passionné de Rimbaud depuis l'enfance, se transforme en véritable enquêteur. Il en tire un essai évocateur et passionnant  sur le passage de Rimbaud à Java.

 

A 21 ans, Arthur Rimbaud est fatigué de sa vie et décide d'arrêter sa carrière littéraire alors qu'il a déjà publié « Une saison en enfer », inspirée de sa liaison tumultueuse avec Paul Verlaine. À ce moment-là, il rencontre très certainement un recruteur qui le convainc de rejoindre l'armée coloniale hollandaise. Ce qui est tout de même un paradoxe pour celui qui écrivit le poème anti-militariste « Le dormeur du val ». Il signe donc un contrat pour six ans et reçoit 700 florins, ce qui le rend plus riche qu'il n'avait jamais été. À l'époque, l'armée coloniale hollandaise compte dans ses rangs 1093 Français, mais aussi des Suisses, des Belges, des Italiens, des Autrichiens, des Russes et des Allemands. Le but de cette armée est de combattre la rébellion armée du Sultanat d'Aceh. Les généraux de Batavia prédisent une pacification rapide. Cela prit finalement 40 ans, 100 000 tués et des milliers de blessés.

 

Rimbaud à Java

Rimbaud débarque donc le 22 juillet 1876 à Batavia. Jamie James dans son récit décrit l'environnement de l'époque : « la traversée de Batavia se fit au son des tambours. Les troupes passèrent devant les entrepôts de la VOC, Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales. Les soldats montèrent dans des trams à chevaux et furent stationnés près de la gare de Jatinegara. Ils se reposèrent une semaine puis reprirent l'entrainement. À cette époque, Batavia est sans doute la ville la plus cosmopolite du monde. On y retrouve la population de tout l'archipel, mais aussi des planteurs et commerçants venus d'Europe, des États-Unis, des Indiens, des Arabes, des Chinois, des Amérindiens venus du Mexique et du Pérou. »

Rimbaud est assigné au bataillon de fusiliers de première infanterie basé à Salatiga, situé en altitude à une soixantaine de kilomètres de Semarang. Le 30 juillet, Rimbaud embarque avec sa compagnie sur un bateau à vapeur, le «Fransen Van de Putte». La traversée jusqu'à Semarang prendra 2 jours. À l'époque, Semarang est la deuxième ville de Java, c'est une très jolie ville avec de nombreuses allées ombragées. Les soldats sont transférés jusqu'à la gare de Kedung Jati, puis prennent le train jusqu'au petit village de Tutang. De la gare de Tutang jusqu'au campement de Salatiga, les soldats marchent 8 km. Ils traversent des villages avec des maisons en bambou, découvrent les rizières, marchent le long de lacs remplis de carpes. Le campement est constitué de plusieurs baraquements. Rimbaud partage une pièce avec 5 autres soldats. Il ne se présentera jamais comme écrivain, ceci étant derrière lui. Il est désormais soldat.

 

L'ambiance au campement est plutôt laxiste, l'opium circule librement, la consommation d'alcool est encouragée afin de donner du courage aux jeunes recrues et pour traiter également les problèmes de digestion. Le 15 août, un prêtre jésuite célèbre la messe de l'Assomption, Rimbaud n'y assiste pas. Il a déserté seulement deux semaines après son arrivée. Il ne fut certes pas le premier à fuir l'armée hollandaise.

 

Mystère sur le retour rocambolesque

L'alerte n'est donnée que le 16 août ; dans sa fuite, Rimbaud a sans doute revêtu son costume blanc afin de passer inaperçu. Il a abandonné ses vêtements qui seront vendus au profit d'un orphelinat. S'il est retrouvé, il risque une très lourde peine de prison, voire la peine de mort. Plusieurs hypothèses ont été émises. Paterne Berrichon, le beau-frère de Rimbaud, qu'il n'a par- ailleurs jamais rencontré, se proclame son biographe. Il assure que l'écrivain s'est caché dans la jungle où des orangs-outans lui auraient appris à survivre. Affirmation farfelue, il n'y a pas d'orangs-outans sur Java. L'hypothèse retenue par plusieurs experts serait que Rimbaud aurait embarqué sous un nom d'emprunt sur un bateau Écossais, le «Wandering Chief», le 30 août. Ce bateau chargé de sucre arrive le 6 décembre en Irlande. Ce qui laisse ensuite 3 semaines à notre jeune poète pour rentrer à Charleville.

 

Des aventures de Rimbaud en Afrique et au Moyen-Orient, nous savons beaucoup de choses, ne serait-ce qu'avec son abondante correspondance. En revanche, de son passage sous les tropiques indonésiens, aucune trace. Si ce n'est un poème, Démocratie, écrit sans doute deux ans avant son départ en Indonésie. À travers les vers « poivrés et détrempés », on trouve une référence à l'ile de Sumatra, à ses poivriers et son climat équatorial.

 

En 1997, l'ambassadeur de France, Thierry de Beaucé, souhaita rendre hommage à Rimbaud. Une plaque commémorative fut scellée sur le mur d'une résidence de la municipalité de Salatiga.

 

L'essai « le voyage perdu » de Jamie James est publié aux éditions du sonneur. La version anglaise, « Rimbaud in Java-the lost voyage » aux éditions Didier Millet, est disponible chez Periplus.