Le 25 juin sort en Pologne le 19e film de François Ozon, Été 85, distribué dans le pays par Against Gravity. Un film plein d’émotions qui décortique un amour adolescent tumultueux.
Le pitch d’été 85
À l'été 1985, en Normandie, Alexis, seize ans, obsédé par la mort, décide de naviguer en mer. Son bateau chavire et David, un jeune homme de dix-huit ans, lui vient en aide. S’ensuit une histoire d’amour et une relation compliquée entre les deux garçons. Certes, la majorité sexuelle dans les cas d’homosexualité était encore de 18 ans en France jusqu’en 1982 contrairement à la majorité sexuelle dans les cas d’hétérosexualité qui était de 15 ans. Certes, dans les années 80, l’homosexualité était plus mal vue qu’aujourd’hui et cela joue un rôle dans le film et dans le comportement des protagonistes. Mais malgré cela et même si le film est axé autour de cette histoire d’amour homosexuelle entre Alexis et David, le sujet principal est plutôt l’essence des amours adolescentes en général sans appuyer particulièrement sur la question de l’homosexualité.
Les amours adolescentes
Une des premières scènes du film, c’est quand Alexis a rendez-vous avec un ami qui doit décliner son invitation parce qu’il va passer l’après-midi avec sa copine, une jolie fille, qui plus est. On sent la déception d’Alexis et sa solitude qui lui éclate en pleine face. Alexis semble solitaire à cet âge où hélas, souvent, la vie manque de saveur, le quotidien est terne, l’on doit subir un environnement familial duquel on se sent si éloigné, le monde des adultes nous semble triste.
Pourquoi on aime quand on est adolescent ? C’est une question que le film traite sans pour autant donner une réponse. Mais y-a-t-il vraiment une réponse ? Ce qui plaît à Alexis chez David, c’est qu’il représente tout ce qu’il n’est pas : il est désinvolte, rebelle, détaché, profondément séducteur. Et ce qui plaît à David chez Alexis ? Peut-être que c’est le regard qu’Alexis pose sur lui, l’impression de se voir sublimé dans le regard de l’autre.
Aime-t-on souvent pour de mauvaises raisons ? Surtout quand on est adolescent ? Mais aimer au fond n’est-ce pas ce sentiment qui nous fait nous sentir plus vivant que jamais et y’aurait-il forcément des raisons rationnelles à chercher pour nous faire atteindre un état grâce auquel la vie prend toute sa saveur ? Surtout à un âge où les émotions sont exacerbées et où la fureur de vivre peut parfois atteindre des sommets.
La sublimation de la banalité
Le réalisateur François Ozon arrive bien à nous refaire sentir adolescents lorsque nous regardons son film. L’adolescence, au sens large, une période qui dure, disons de 13 à 20 ans, est une période où parfois des moments assez basiques revêtent un caractère magique. Parce que c’est la première fois que nous ressentons une sensation, une émotion, parce que nous avons l’impression d’avoir appris quelque chose, de vivre quelque chose d’extraordinaire, de nous construire. En cela, Felix Lefebvre, qui joue le rôle d’Alexis est particulièrement doué. Il joue particulièrement bien la capacité d’émerveillement permanent que son personnage ressent très souvent dans le film et nous la fait partager voire ressentir.
Mais déjà, le personnage de David, de deux ans plus vieux, qui a plus vécu et qui dispose déjà d’un certain côté blasé va, quant à lui, essayer de sublimer la banalité par des conduites à risque : notamment la vitesse avec sa moto, la fréquentation d’individus étranges ou une certaine frivolité dont il sait qu’elle pourra mettre en danger sa relation avec Alexis.
Les mythiques années 80
Pour le spectateur, la réalité du film sera encore sublimée par les mythiques années 80. Cette période où l’on achète en francs, où les codes vestimentaires des jeunes sont tellement reconnaissables et où surtout la musique nous interpellera en permanence. François Ozon n’y va pas avec le dos de la cuillère avec tous ces codes, notamment avec la musqiue. Il n’hésite pas à imiter une des fameuses scènes du film « La boum » où l’un des protagonistes danse en boîte de nuit avec sur sa tête un casque diffusant une musique bien plus douce.
Pourquoi les années 80 fascinent-elles tant ? On avait tendance à les appeler encore les « cabossées » il n’y a pas si longtemps. Début de la crise économique, explosion du Sida, montée du chômage, résignation généralisée face au modèle économique. Certains parlent aussi des « années fric », bref, a priori une décennie qui semble déjà bien loin de la précédente, en progrès permanent, tellement idéaliste et où tout ou presque semblait possible.
Et pourtant, les années 80, c’était « avant ». La dernière décennie « avant ». Avant Internet et les téléphones portables qui ont définitivement changé notre façon de vivre et notre rapport au monde. Les années 90, ce n’était pas encore « avant ». Oui mais les années 80, c’est un « avant » pas trop lointain, les années 70, ça fait déjà vieux, ne parlons même pas des années 60. Et puis, tous ceux de 35 ans et plus ont connu les années 80, ne serait-ce qu’en tant qu’enfant. De facto, c’est LA décennie qui cristallise le plus la nostalgie, comme on a pu le voir avec cette fameuse série Netflix « Stranger Things ».
Et pour François Ozon, c’est la décennie où il avait entre 13 et 23 ans, elle doit donc tout particulièrement lui parler.
Les moments où tout bascule
Enfin, c’est un film où l’on ne s’ennuie pas. Il y a sans arrêt de l’action, même des actions qui pourraient être banales, comme on l’a vu plus haut mais qui pourtant nous tiennent toutes en haleine. La critique est d’ailleurs très variée sur ce film, avec des avis le jugeant « correct mais pas extraordinaire » jusqu’aux plus dithyrambiques. Peu le trouvent franchement mauvais. Peut-être que la capacité à apprécier ce film tient au fait de se rappeler ou non ses émotions adolescentes. Et à la capacité de considérer que dans ce film il y a souvent des moments où tout bascule, où tout va basculer... ou pas. La capacité à sentir les personnages, sans arrêt au bord de la rupture... ou pas. Le fait de ressentir la violence des émotions ou de voir ce film comme « une histoire d’ados sympa sans plus ». Mais sans spoiler le film, ce qui est sûr c’est que les événements vont crescendo au fur et à mesure que le film avance.
Bref, un film que j’ai vraiment très apprécié, où on retrouve bien François Ozon, en termes de messages ou de procédés cinématographiques (flashback, brouillage de pistes, personnages au bord de la rupture, etc.) où l’on voyage dans le passé, le sien et celui du monde et où l’on est assailli par diverses émotions dont on ne sait parfois que faire. Car et c’est peut-être le bémol, on peut parfois avoir du mal à comprendre le message exact que le film veut nous faire passer. À moins peut-être que le but soit de nous immerger à nouveau dans nos émotions adolescentes, émotions où il n’y avait pas forcément toujours de grands messages à retirer, juste des choses à ressentir.