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SOIN ET APPARENCE #2 – D’où vient la beauté polonaise ?

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Écrit par Hervé Lemeunier
Publié le 16 mai 2018, mis à jour le 16 mai 2018

Les sondages sur Internet mettent plutôt en avant les Suédoises, Hongroises, Australiennes ou Brésiliennes, probablement du fait du plus grand nombre de personnes se rendant vers ces destinations touristiques. Il n’empêche, les expatriés d’une vie et touristes d’un week-end semblent bien souvent unanimes : la Pologne regorge de femmes magnifiques. De là à tomber dans le ravin intellectuel de la généralisation clichée, voire dans la vision arriérée et sexiste des « femmes d’Europe de l’Est » - dont la Pologne ne fait résolument pas partie -, il n’y a qu’un pas que le pied lourd de paresse intellectuelle accomplit sans hésiter. Mais comment expliquer, dans ce cas, l’air rêveur – ou envieux – des commentateurs revenus d’Outre-Oder ?

 

Car il y a des explications : « Les Polonaises prennent soin d’elles, ce sont vraiment des belles femmes », songe Enrico Schiavone, cette fois-ci ciseaux au poing. Qu’Enrico ne s’y trompe pas ; si la beauté reste subjective et propre à l’affectivité de chacun, les Polonaises tentent cependant de mettre toutes les chances de leur côté. Un art du style transformé, avec le temps, par une culture du paraître, de la bonne tenue et de l’attention aux nouvelles tendances. Mais pour lancer un courant, il faut des pionniers. Ca tombe plutôt bien, ils sont tous les deux polonais et ont mis tout le monde d’accord.

 

Antoni Cerplikowski : du petit coiffeur au grand Monsieur

 

Quel est le point commun entre Edith Piaf, Eleanor Roosevelt, Brigitte Bardot ou encore Joséphine Baker ? Toutes ces femmes de puissance ont dû passer quelques après-midi au numéro cinq de la rue Cambon, dans le 1er arrondissement de Paris. Si l’immeuble accueille aujourd’hui des coiffeurs de l’enseigne Jean-Louis David, il n’a pas toujours eu la cote et n’était occupé que par un jeune migrant polonais, il y a de cela 106 ans. A l’époque, le jeune Antoni Cerpilkowski a bien du mal à s’affirmer comme coiffeur incontournable dans la Ville Lumière, fleuron du stylisme et de la mode. Arrivé démuni à Paris une dizaine d’années plus tôt, en 1901, le natif de Sieradz ne s’est pas mis beaucoup de cheveux sous la dent, si ce n’est ceux de perruques dans les usines où il empilait des petits boulots. Une seule femme notable daigne lui confier ses cheveux, longs à l’époque : Eve Lavallière. Cette dernière, actrice de théâtre réputée de la Belle Epoque, doit incarner Jeanne d’Arc en cette année 1908. Cerpilkowski fait alors quelque chose d’inédit : il coupe les cheveux très courts en les superposant les uns sur les autres. La coupe à la garçonne est née.

 

Celui qui sera appelé Monsieur Antoine dans le « Tout Paris » doit cependant encore patienter une dizaine d’années avant de voir son audace récompensée. Au sortir d’une Première Guerre Mondiale qui a bouleversé les genres traditionnels dans des familles souvent orphelines de plusieurs générations masculines, la femme parvient à se frayer un chemin vivifiant vers la modernité et la liberté. La coupe à la garçonne offre alors, au propre comme au figuré, le visage idéalisé de la « Nouvelle Femme », celle contée par le très polémique Victor Margueritte dans ses œuvres La Prostituée et La Garçonne dans le début des années 20. La vie d’Antek prend une nouvelle tournure lorsqu’il peut enfin ouvrir un salon de l’autre côté de l’Atlantique, à New-York en 1925. La suite n’est que réussite : à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Empire du désormais célébrissime Monsieur Antoine est implanté sur tous les continents à l’exception de l’Afrique. Éteint en 1976 dans sa ville natale, Monsieur Antoine laisse derrière lui un héritage immense : la coupe à la garçonne, donc, mais aussi la coiffure spécialisée pour les « stars » et les débuts de la Haute-Coiffure, ainsi que la popularisation du stylisme capillaire. Ce qui mérite bien un statut de légende, lorsque son non moins fameux élève Alexandre de Paris rapporte au cimetière de Passy la main droite de son maître adoré.

 

Helena Rubinstein : la De Vinci du cosmétique

 

Si l’on célèbre Antek pour sa main droite, la relique de Helena Rubinstein devrait probablement être son cerveau. Née en 1872, 12 années seulement avant le grand coiffeur, Helena partage les mêmes déboires de jeunesse que lui. Fille juive de parents pauvres dans une Cracovie à l’époque sous tutelle austro-hongroise, Rubinstein se voit rapidement contrainte de quitter le peu que la misère cracovienne avait bien daigner lui laisser pour vivre chez un oncle australien, lorsqu’elle doit fuir un mariage arrangé avec un riche veuf. Qu’importe, Helena a déjà toute la fortune du monde qu’elle tient dans la petite valise suspendue à son bras lors de la traversée pour l’Australie. Dans cette valise se trouvent des onguents et crèmes pour le visage, pensés par un ami chimiste. Suffisant pour que Helena Rubinstein, convaincue que la beauté était le plus grand pouvoir féminin dans une société qu’elle juge profondément machiste, se lance à son tour dans la création de produits de soin.

 

D’abord aidée par un pharmacien du village où elle réside, Rubinstein se décide, à 30 ans, à enfin sauter le pas en commercialisant sa crème Valaze. Le succès ne se fait pas attendre, les clientes australiennes sont conquises : elles ont en effet en leur possession ce qui sera la première crème hydratante jamais créée. C’était déjà beaucoup pour une seule femme, mais la – très – petite Polonaise (1m47) ne s’arrêtera pas là. Attachée à l’idée d’une beauté féminine qui devrait rester éternellement jeune, Rubinstein sera également à l’origine du premier institut de beauté (1902), de la classification des types de peau (1910), du premier mascara water-proof (1939), ou encore du premier soin anti-âge (1956). Rubinstein passera une vie entière à révolutionner le monde du cosmétique, qu’elle avait de toute façon elle-même inventé. A bout de souffle, après une course contre le temps et la vieillesse qui l’aura menée vers la gloire et le faste sur tous les continents et dans tous les salons mondains parisiens, Helena Rubinstein s’éteint en 1965 à 94 ans, avec en guise de postérité le surnom … « Madame ».

 

Un « Monsieur » et une « Madame », donc. Et de l’union des deux inventeurs accoucha la Femme moderne, invulnérable et indépendante. Les Polonaises ne règnent pas sur la Toile ; elles ont mieux que ça. Cet héritage culturel, acquis au moins depuis le début du XXe siècle, fait la part belle à l’apparence soignée, au style, mais finalement surtout à l’audace et à la confiance en soi. La place centrale de la Pologne dans le bloc soviétique concernant les secteurs de la parfumerie et du cosmétique semble dès lors tomber sous le sens. Tout comme une ultime observation d’Enrico Schiavone : « C’est vrai que les Polonaises font très attention à elles et sont toujours très apprêtées. Cela doit venir d’avant la guerre : le cosmétique y grouillait beaucoup, à cette époque. »

 

 

Publié le 16 mai 2018, mis à jour le 16 mai 2018