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Pologne: Manifestations monstres contre l’interdiction de l’avortement

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Piekło kobiet : l'enfer des femmes. Un des slogans des manifestants
Écrit par Cédric Tavernier
Publié le 26 octobre 2020, mis à jour le 27 octobre 2020

Le 22 octobre, le tribunal constitutionnel polonais a estimé que l’avortement en cas de malformation du foetus était inconstitutionnel. Depuis, des manifestations monstres secouent le pays.

 

La révolte gronde

A l’heure où cet article est écrit, le 26 octobre au soir, une grande partie de la capitale polonaise est bloquée par de gigantesques manifestations. Mais si à Varsovie, la révolte gronde, c’est aussi le cas dans les plus grandes villes du pays comme Gdansk, Cracovie, Lodz, Rzeszow et bien d’autres depuis l’annonce du tribunal constitutionnel. Au total, des dizaines de milliers de personnes manifestent dans tous le pays. Les slogans sont « J’aimerais avorter de mon gouvernement » ou « l’enfer des femmes » (Piekło kobiet en polonais).

Il est intéressant de remarquer que cette interdiction de l’avortement, qui à chaque fois qu’elle a été tentée, a généré de fortes protestations intervient à nouveau juste au moment où les manifestations sont interdites à cause du Covid-19.

D’ailleurs, dimanche a eu lieu également une manifestation contre les restrictions liées au Covid-19, notamment la brutale et inattendue fermeture des restaurants et des cafés. Dans les deux cas, la police n’a pas hésité à envoyer des gaz lacrymogènes et certains cas de brutalité policière ont été relevés. Cette semaine seront prévues et des manifestations contre les restrictions (dont de nouvelles seront annoncées jeudi) et des manifestations contre l’interdiction de l’avortement.

 

Loi sur l’avortement en Pologne avant le 22 octobre

L'accès à l'IVG en Pologne depuis 1993 est limité à trois cas. Il est autorisé par un juge jusqu'à la 12e semaine si l'enfant est le fruit d'un viol ou d'un inceste. Un médecin peut également donner son accord les cinq premiers mois en cas de malformation du fœtus - c'est ce cas qui est aujourd'hui frappé d'interdiction - et sans aucun délai si la santé de la mère est en danger. La Pologne était déjà après Malte le pays de l’Union Européenne où la loi sur l’avortement était la plus restrictive.

 

Historique

Mais la loi n’a pas été toujours aussi restrictive. En 1956, la Pologne communiste autorisait l’avortement pour toutes les femmes « ayant des conditions de vie difficiles » ce qui de facto libéralisait l’avortement pour toutes les femmes.

Après la chute du régime communiste, l'Eglise Catholique s'empare du sujet et s'entend avec l'État sur une loi plus répressive. Un acte « sur le planning familial, la protection du fœtus humain et les conditions d’interruption de grossesse » est voté le 7 janvier 1993.

 

Depuis 2015 une volonté permanente de durcir la loi

Depuis l'arrivée au pouvoir en 2015 du parti conservateur Droit et Justice (PiS), la loi menace d'être durcie. Deux propositions ont déjà été étudiées en ce sens. La première datant de 2016 souhaitait la suppression du droit à l'avortement en cas de malformation du fœtus. À noter qu'il s'agit de 98%  des 1.100 avortements légaux annuels dans le pays.  Une grande vague de protestations dites « noires » en raison de la couleur des vêtements portés par les manifestants a cependant mené au rejet de la proposition par le Parlement. L’immense majorité des Polonais a toujours été contre le durcissement de la loi.

En 2018, le PiS tente à nouveau de lutter contre ce qu'il qualifie « d'eugénisme ».  Une peine d'emprisonnement de cinq ans est alors prévue pour les médecins et les patients ayant recours à l'IVG. Les nombreuses manifestations mènent de nouveau à l'abandon de la loi.

Le gouvernement est néanmoins parvenu à affirmer ses positions autrement : il supprime en 2016 le programme de financement de la fécondation in vitro. Symbole encore plus fort, la pilule du lendemain devient accessible uniquement sur prescription médicale depuis 2017.

 

La question plus épineuse de l’interprétation de la constitution

Une constitution est censée être le bien le plus précieux d’une démocratie. Elle est censée organiser, limiter les pouvoirs et définir les règles du jeu de la gestion d’une nation. On a compris son importance quand récemment une des lois les plus liberticides jamais votées en Occident, la fameuse loi Avia a été reléguée aux poubelles de l'Histoire par le conseil constitutionnel français. Pour changer la constitution, selon les pays, un référendum ou une majorité qualifiée au parlement sont nécessaires. Ainsi, une constitution bien écrite doit en théorie éviter qu’un parti mal intentionné au pouvoir puisse faire n’importe quoi.

Il y a hélas deux problèmes. Le problème est quand la constitution est violée sans que les garants de cette constitution ne réagissent. En France, la constitution de la Ve République qui donne pourtant plus de pouvoir à l’exécutif qu’aucune autre dans le monde occidental, est régulièrement violée. Comme quand la guerre a été déclarée à la Syrie sans consultation du parlement.

Le deuxième problème nous vient de la cour suprême des Etats Unis qui depuis les années 60 se fait un plaisir d’interpréter la constitution comme bon lui semble selon que sa majorité soit démocrate ou républicaine. Cette "mode" a atteint l'Europe depuis un certain temps. Ainsi le même texte semble exprimer des choses très différentes selon la sensibilité politique qui l’interprète. Et quand on en arrive là, on est droit de se demander si nos systèmes politiques ne sont pas devenus réellement totalement malades.

 

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