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HOMOSEXUALITE – La Pologne est-elle homophobe ?

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Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 1 juin 2017, mis à jour le 13 décembre 2023

La Pologne fête demain, samedi 3 juin, la Gay Pride pour sa 17ème édition, un événement très attendu par la communauté LGBT*. Car même si la parade principale, qui se tient à Varsovie, reste encore relativement petite en termes d'effectif, elle prend tout son sens d'un point de vue politique. En effet, d'après une récente étude, la Pologne ferait partie des pays les plus homophobes d'Europe. Alors qu'en est-il réellement ? Quel est le ressenti de la communauté LGBT* en Pologne ? Lepetitjournal.com/Varsovie a mené l'enquête.  

 

Une Gay Pride bien plus politisée qu'en France

La Gay Pride de Varsovie ou plus communément appelée dans le pays « Parada Równo?ci », que l'on peut traduire en français par la « Parade de l'égalité », se tiendra ce samedi 3 juin dans la capitale pour sa 17ème édition. Cette marche des fiertés regroupe chaque année près de 2.000 participants dans le but de défendre les droits des homosexuels en Pologne, qui sont bien loin d'être acquis.

« ce qui change surtout ici c'est l'ambiance. Je pense que la Gay Pride est beaucoup plus politisée en Pologne qu'en France par exemple. Pour avoir déjà participé à celle à Paris, c'est très festif avec beaucoup de gens dénudés et extravagants. A Varsovie, ces personnes-là sont souvent dissimulées en fin de cortège. Il est certain qu'en Pologne la Gay Pride est beaucoup moins libérée. Car, nous nous devons de conserver une bonne image pour continuer à diffuser un message de lutte contre la discrimination durant cette parade ».

Il  ajoute également qu'il y a des règles plutôt strictes à respecter durant la marche : « en Pologne, boire de l'alcool en public c'est interdit. En tant qu'organisateurs, nous rappelons aux participants de l'événement qu'il faut adopter une attitude correcte en ne buvant pas d'alcool ou en ne se dénudant pas. Le tout est d'éviter des débordements avec la police, qui est là pour nous protéger et avec qui nous voulons garder cette bonne entente ». 

©photo officielle de la Parada Równo?ci 2015

Il faut savoir que le niveau de sécurité de la Gay Pride s'est renforcé au fil des années. D'autant plus après son interdiction en 2004, lorsque Lech Kaczynski était alors maire de Varsovie.  Ce n'est qu'en 2011 que la manifestation a repris vie mais sous un fort encadrement policier : « il y en a énormément, je dirais qu'ils sont proches de 1.000 chaque année pour environ 30.000 participants. D'ailleurs, il m'est arrivé de rencontrer des Français durant la parade qui étaient étonnés de voir autant de policiers pour un tel événement ! », explique Kelly Gaillard. En général, la Gay Pride de Varsovie n'a jamais connu de réels débordements mais les organisateurs préfèrent ne prendre aucun risque : « cette année, la parade se fera plus tôt que prévue, le samedi 3 juin, car nous ne voulions pas que les dates coïncident avec le match de football du 10 juin entre la Pologne et la Roumanie. Les hooligans s'en prennent souvent physiquement aux homosexuels. Nous voulions donc éviter toutes formes de conflits ce jour-là », nous confie Kelly Gaillard. Effectivement, la Gay Pride divise toujours autant : entre ceux qui apportent leur soutien sans pour autant faire partie de la communauté LGBT, ceux qui y sont formellement opposés  et ceux qui estiment qu'il n'est pas nécessaire d'afficher ses préférences sexuelles d'une manière aussi explicite. Mais Kelly Gaillard essaie de rester positif malgré les préjugés qui sont régulièrement véhiculés au sujet de la Gay Pride : « Le problème récurrent est le traitement médiatique qui est fait de cette parade. Souvent les médias publics comme privés ne vont montrer que la partie extravagante de la marche et en faire une généralité.  Ce qui va conforter une nouvelle fois les préjugés voire la haine de certains à notre égard en continuant à nous caricaturer? Mais je reste persuadé que la Gay Pride en Pologne est un bon moyen de prouver à la société polonaise qui nous sommes vraiment et que l'on est parfaitement « normaux » !»

 

Quels droits pour les homosexuels en Pologne ?

D'après une étude récente réaliséepar l'Institut ILGA-Europe, la Pologne se trouve en tête des pays les plus homophobes en Europe, concernant le respect de l'égalité des droits et de la liberté des personnes non-hétérosexuelles.

Selon Agata Chaber, président de l'ONG « Campaign against homophobia » (en polonais, Kampania Przeciw Homofobii - KPH), qui lutte contre l'homophobie et agit pour faire valoir les droits des homosexuels en Pologne: « les homosexuels n'ont clairement aucun droit dans le pays. La seule protection récente que nous avons obtenue est dans le domaine du travail depuis notre adhésion à l'Union Européenne en 2004. La loi interdit toute discrimination en matière d'emploi fondée sur l'orientation sexuelle».  Autrement dit, il n'y a aucune législation en Pologne qui protège les personnes LGBT contre les discriminations de la vie quotidienne, en dehors de l'emploi. L'union, de quelque nature qu'elle soit entre un couple de même sexe, n'est également pas reconnue juridiquement. Le 26 mai 2015, le Parlement a rejeté un projet de loi sur l'union civile, refusant de se pencher plus sérieusement sur la question. Il en est de même pour l'adoption entre couples homosexuels, qui est interdite en Pologne. « Si nous voulons nous marier, nous le faisons à l'étranger. Pareil pour l'adoption, mais aucun de ces droits ne sera reconnu sur le sol polonais », explique Agata Chaber. Quant aux crimes ou discours de haine contre les homosexuels, ils semblent être largement sous-estimés par les autorités polonaises. Bien qu'il n'y ait pas de statistiques officielles fiables, la Campagne contre l'homophobie (KPH) a enregistré au moins 50 crimes haineux homophobes en 2014 (même si le chiffre est plus élevé en réalité), contre 8 cas enregistrés par l'équipe de la défense des droits de l'Homme du Ministère de l'intérieur polonais? « Si vous voulez déposer une plainte pour crime de haine contre les homosexuels, elle ne sera pas retenue comme telle mais comme une simple agression. Dans certains cas, ce sont mêmes des officiers de police qui peuvent tenir des propos homophobes », dénonce le président de KPH.

Un fait divers récent illustre parfaitement le manque de considération de la part du gouvernement à ce sujet. Dans la ville de Szczecin, un jeune homme gay de 20 ans a été battu à mort après avoir quitté un club gay en janvier 2014. Son corps a été retrouvé sur un chantier de construction voisin avec son visage couvert de bleus et son pantalon tiré vers le bas. L'homme est finalement mort noyé dans une flaque d'eau. Les autorités ont ignoré la possibilité que le meurtre ait pu être motivé par de l'homophobie. Le tribunal a par conséquent traité l'attaque comme un crime ordinaire.

Selon un rapport de 2015 d'Amnesty Internationale, «Targeted by hatred, forgotten by law », sur les crimes de haine en Pologne non reconnus par la loi, le gouvernement ne fait preuve d'aucune volonté pour élaborer des politiques efficaces afin de prévenir, enquêter et poursuivre les responsables de ces crimes homophobes.
 
Evolution des mentalités dans une société encore divisée
 
De nos jours, près de la moitié de la population polonaise perçoit l'homosexualité de façon négative, d'après un récent rapport de la Fondation Stefan Batory, en collaboration avec le Centre de Recherches sur les préjugés de l'Université de Varsovie. Cette partie de la population est elle-même divisée en deux groupes ; le premier témoigne d'une approche moraliste, selon laquelle être homosexuel est un péché. Le second pense que les homosexuels ne sont pas réellement discriminés et que s'ils vivent de mauvaises expériences dans leur quotidien, ils en sont en partie responsables. Ce même rapport de la Fondation Stefan Batory met en lumière aujourd'hui une division de la Pologne à ce sujet entre une frange conservatrice et une partie plus ouverte face à la question de l'homosexualité, notamment représentée par les jeunes. Cette scission s'est d'autant plus accentuée depuis l'arrivée au pouvoir du PiS en 2015 : « depuis leur élection, les discours haineux et homophobes au sein de la société polonaise se libèrent plus facilement. De plus en plus de personnes s'autorisent  à tenir des propos homophobes en public car ils savent qu'ils ne seront pas sanctionnés par la loi. De ce fait, il y a une division flagrante de la population et une forte augmentation de la violence », déclare Agata Chaber. En plus du gouvernement qui exerce une forte influence sur l'opinion publique, la place de l'Eglise prédomine toujours autant au sein d'une société majoritairement catholique et conservatrice : « Nous avons déjà été confrontés à des parents qui voulaient emmener leur fils de 18 ans, homosexuel, chez le médecin en urgence pour soigner sa « maladie ». Ce genre de discours existe encore malheureusement », nous confie Yga Kostrzewa, activiste et porte-parole au siège LGBT « Lambda Warszawa ».  Yga Kostrzewa poursuit en soulignant le manque d'éducation sexuelle à l'école dans le pays qui ne favorise pas le changement de mentalité : « l'éducation sexuelle existe à l'école mais n'aborde jamais la question de l'existence de l'homosexualité. Cela engendre une forte méconnaissance et par la suite une vision plus ou moins stéréotypées si les enfants sont mal informés en dehors de l'école ». Cependant, la société évolue et les grandes villes en sont les premiers témoins : « A Varsovie par exemple, il est plus simple de vivre son homosexualité que dans les petites villes de Pologne. Beaucoup de personnes viennent s'installer ici après avoir fait leur « coming out » pour s'épanouir et vivre plus librement leur sexualité. Dans la capitale, les gens sont plus ouverts d'esprit et tolérants même si les groupes d'hooligans en ville restent omniprésents et sont encore à l'origine de nombreux cas d'agressions », explique Agata Chaber. Même si les grandes villes permettent une expression plus libre à la communauté homosexuelle, de récents exemples sont aussi le signe d'une inflexion différente dans les petites villes : en 2014,  Robert Biedro? est le premier maire gay du pays, à S?upsk, une commune de près de 100.000 habitants. Et janvier dernier,  ?ukasz W?odarczyk, devient à son tour maire à Bobrowniki, une ville de 800 habitants au Nord de la Pologne. Sans oublier qu'en 2011, Robercie Biedroniu et Anna Grodzka deviennent les premiers parlementaires de Pologne issus de la communauté LGBT. Aussi, les membres de la communauté LGBT de Varsovie restent positifs pour l'avenir des homosexuels en Pologne : « nous parvenons tout de même à avancer en obtenant notamment le soutien de la communauté catholique progressiste, qui est en faveur du mariage pour tous, par exemple. Donc je suis personnellement optimiste pour l'avenir des droits des homosexuels en Pologne, même si nous avons énormément de chemin à parcourir et que cela peut prendre encore plusieurs années », conclut Agata Chaber.

 

Témoignage : « Pour vivre heureux, vivons cachés »

 

Je m'appelle Tomasz. J'ai 28 ans. Je me suis installé à Varsovie il y a dix ans maintenant. Je vivais dans une petite ville avant et j'ai fait mon coming out là-bas. A la suite d'un chagrin d'amour j'en ai parlé à ma mère et ma famille l'a relativement bien accepté.

Cependant, comme je ressemble plus physiquement à un garçon hétérosexuel, mon quotidien est plus simple. C'est pour cela que je n'ai jamais eu de réels problèmes dans la rue ou je n'ai jamais été vraiment discriminé?

A Varsovie, il y a énormément d'hétéronormés (personnes qui suivent les valeurs ou les codes hétérosexuels dominants dans la société) qui se fondent dans la masse et qui passent inaperçus. Dans le cas contraire, si vous êtes un homme gay et que vous êtes ne serait-ce qu'un peu efféminé, vous n'êtes pas à l'abri de vous faire harceler ou tout simplement agresser physiquement par ceux qu'on appelle les « hooligans ». Il s'agit souvent du même profil : ils sont chauves, très robustes, à tendance nationaliste? Vous êtes des proies faciles pour eux. Si vous tenez la main de votre partenaire ou que vous l'embrassez dans un espace public, c'est la même chose, vous prenez des risques. Encore heureux, ce n'est pas interdit, mais il vaut mieux éviter ce type d'attitude pour ne pas s'attirer des problèmes avec certains, surtout en sortant de soirée, quand ils sont trop alcoolisés ! J'ai notamment eu une relation pendant quatre ans avec quelqu'un. Nous habitions ensemble, mais nous ne nous sommes jamais donnés la main et encore moins embrassés dans la rue. Mais je n'en ressens pas le besoin car je pense que cela ne regarde que ma vie privée. J'ai grandi ainsi, c'est-à-dire en sachant qu'en Pologne, c'est très mal vu? J'imagine qu'on s'habitue à vivre comme ça, ça devient presque normal, c'est notre quotidien. Mais il est clair que je ne vois pas mon avenir en Pologne. J'espère un jour vivre à Paris ! C'est mon souhait le plus cher pour trouver enfin le véritable amour et me marier !

 

 


LGBT* : Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres

 

Eloïse Robert (lepetitjournal.com/Varsovie) - Vendredi 2 juin 2017

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Publié le 1 juin 2017, mis à jour le 13 décembre 2023