

Pour certains, Charles de Gaulle est un aéroport parisien, mais pour les habitants de Varsovie il s'agit d'abord d'un des plus importants carrefours de la ville. Retour sur les aventures polonaises de celui qui incarne encore ici une certaine grandeur française. [archive 2011]
(Photo 1 par Karl Demyttenae?re, 2 Toukhatchevski - wikicommons, 3 wikicommons)
Du haut de ses 3m70, Charles de Gaulle domine le croisement entre la Nowy ?wiat et l'Aleje Jerozolimskie. Semblable à celle s'élevant place Clémenceau à Paris, cette imposante statue de bronze, signée Jean Cardot, est au c?ur de Varsovie. Une place d'honneur due au combat permanent du Général pour une Pologne indépendante : en 1920 comme officier, les armes à la main, puis en 1945 et 1966 comme Chef du Gouvernement ou Président. Mais il y a plus que de la politique entre la Pologne et De Gaulle.
La vie d'un jeune capitaine à Varsovie
En 1919, après deux ans et huit mois de captivité en Allemagne, le capitaine De Gaulle est envoyé d'office suivre un cours de commandement de compagnie à Saint-Maixent. Peu satisfait de cette situation, l'officier obtient son transfert comme instructeur auprès de l'Armée polonaise autonome. Celle-ci commence à quitter la France pour la Pologne. Elle est alors composée de 70.000 polonais et de 6.000 français.
Après un court passage à la forteresse de Modlin, De Gaulle gagne ses quartiers définitifs à Varsovie. Il occupe une chambre au 35 de la rue Nowy ?wiat, déjeune au mess de l'hôtel Polonia et a ses habitudes au club des officiers de la rue Zielna. Il mange régulièrement au restaurant « Lifewekiego » et fréquente la haute société de Varsovie, très vite fascinée par le flegme du militaire français.
Après un bref retour en France, De Gaulle revient à Varsovie. Il accompagne la délégation française envoyée en juin 1920 pour soutenir et conseiller les troupes polonaises. Celles-ci doivent faire face à une terrible menace : les 800.000 hommes de la Ière Armée Soviétique. Leur chef Toukhatchevski déclare : « La route de l'incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne ! », le ton est donné... Ironie de l'histoire, cet aristocrate russe rallié à la Révolution est un ancien compagnon de cellule de De Gaulle. Durant la Première Guerre mondiale, ils furent tous deux détenus dans la forteresse allemande d'Ingolstadt. Toukhatchevski parvient à s'en évader à la fin de l'été 1917, contrairement à De Gaulle (malgré ses cinq tentatives).
C'est seulement en juillet 1920, après une longue période d'attente, que les officiers français en Pologne sont autorisés à rejoindre le front et à combattre. Et pour cause, la situation semble désespérée : l'ennemi est aux portes de Varsovie. C'est alors que la double man?uvre polonaise intervient. Pi?sudski mène une contre-attaque fulgurante du Sud vers le Nord, surprend et écrase les forces bolcheviques. De Gaulle en personne participe à ces opérations, ce qui lui vaudra une citation supplémentaire et la « Virtuti Militari ». Alors qu'il avait vécu le triomphe de 1918 en prisonnier exilé, il peut à présent se réjouir d'une victoire en soldat.
Pour les officiers français, la guerre est finie. Pourtant, De Gaulle reste à Varsovie jusqu'en janvier 1921. Durant son séjour, près de dix-huit mois au total, il savoure particulièrement ses visites chez le pâtissier Antoni Wies?aw Blikle, dont la patronne, née Bouquet, est française. Le fringant officier y fréquente à l'heure du thé la comtesse Czetwertynska et savoure les fameux « p?czki ». Alors âgé de vingt-neuf ans, le jeune homme ne se préoccupe guère de mariage. Ceci malgré l'insistance de sa mère qui le bombarde de lettres et cherche à lui présenter une cousine. Des amis polonais, au début de 1921, ont même mis à l'épreuve son flegme en poussant dans ses bras une jeune et belle polonaise? Mais, imperturbable, le jeune officier garda son sérieux et ne succomba pas à ses charmes. Peut-être car, en novembre 1920, il avait rencontré durant sa permission à Paris une jeune Calaisienne, une certaine Yvonne Vendroux.
En 1967, devenu Président de la République, De Gaulle envoie un de ses ministres en mission en Pologne pour préparer sa propre visite officielle. A son retour, l'ancien capitaine glisse entre deux phrases sur un ton sibyllin : « On a dû vous parler de moi à Varsovie? ». Sur son visage, un petit sourire, pour une grande confession : la Pologne garde une place particulière dans le c?ur du grand Charles.
Le retour du Général? en Pologne
Du 6 au 12 septembre 1967, De Gaulle se rend donc en visite officielle en Pologne. Il y est déjà très populaire. En raison de son passé d'officier ? Pas seulement : à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il fut l'un des seuls chefs d'Etats occidentaux qui refusa de reconnaître le régime installé en Pologne par Staline. Son intransigeance a alors tranché avec le pragmatisme de Churchill, vécu comme une trahison par beaucoup de Polonais.
Durant cette visite historique, De Gaulle va se rendre à Gda?sk et la reconnaitra comme une ville polonaise. Il défend aussi sa vision de l'Europe allant de l'Atlantique à l'Oural, devant écarter les divisions artificielles créées par les grandes puissances. En dépit des réserves de Gomulka (premier secrétaire du Parti Ouvrier Unifié Polonais à l'époque), il invite les polonais à « voir loin » et « grand ». De Gaulle espère voir la Pologne devenir la « trouble-fête » du Pacte de Varsovie, l'équivalent de la France au sein de l'Otan. Mais c'est en Roumanie que cette politique d'indépendance vis-à-vis de l'URSS trouvera un écho plus important.
« Vive la Pologne ! Notre chère, noble et vaillante Pologne ! »
C'est avec ces mots que le Général de Gaulle dit adieu à Varsovie en 1967. La visite en Pologne débouchera sur cinq accords franco-polonais. Pour le dîner officiel au palais de Wilanów, où son lit spécialement rallongé trône toujours, De Gaulle a fait appel à Jerzy Bilkle. Le fils du pâtissier qu'il a connu autrefois élabore ainsi pour le déssert un gâteau blanc à la pâte d'amande : le « gâteau du Général ». Aujourd'hui encore, cette patisserie connaît un certain succès. De Gaulle occupe encore une place importante pour les Polonais, ne serait-ce que dans leurs assiettes?
Karl Demyttenae?re (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) mercredi 16 février 2011
Pour en savoir plus :
- une vidéo de l'INA montrant l'immense mobilisation polonaise.
- un article extrêmement détaillé sur De Gaulle pendant la guerre russo-polonaise.







