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FRANÇOIS DEVOS – "Je suis là pour que l’objet continue son chemin dans la vie"

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Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 22 novembre 2017, mis à jour le 11 février 2015

François Devos nous ouvre les portes de son « cabinet de curiosité », comprenez sa galerie d'art, située dans la Vieille ville de Varsovie. Français, voyageant en Pologne depuis 13 ans et installé à Varsovie depuis 9 ans, il est le seul antiquaire expert agréé par la Fédération Nationale d'Experts Professionnels Spécialisés en Art (FNEPSA) en Pologne. «La tête dans les étoiles mais les pieds sur terre», François Devos nous fait partager sa passion de toujours et nous plonge dans le monde du marché de l'art et des antiquités en Pologne.

LPJ : Pouvez-vous nous raconter votre parcours et nous dire ce qui vous a conduit à ouvrir une galerie d'antiquaire en Pologne ?
FD : Adolescent, je suivais ma mère partout en France dans les brocantes et ai donc attrapé très jeune « le virus » des antiquités. Je me suis familiarisé dès l'âge de 16 ans avec le monde du marché de l'art. Je suis diplômé de l'Institut d'Etudes Supérieures des Arts à Paris et ai ensuite suivi une spécialisation dans l'orfèvrerie et les arts de la table, ce qui m'a valu un poste de  documentaliste international du musée Bouilhet-Christofle. Puis, voulant vivre d'autres aventures, je suis allé travailler dans les premières start-up de courtage en oeuvres d'art sur internet puis en tant que documentaliste pour des grands marchands d'art. J'ai été professeur pendant 6 ans environ au sein de Christie's Education. Mais mon rêve était d'ouvrir ma propre galerie. Comme je suis marié à une Polonaise, et que nous avons fait le choix de vivre en Pologne, j'ai décidé de franchir le pas à Varsovie. Voilà maintenant 7 ans que j'ai ouvert ce que j'appellerai un local « écrin » (car il ne fait que 18 m2 !), où je me concentre sur des objets historiques. C'est une sorte de cabinet de curiosité en plein centre-ville!

D'où viennent les objets de votre galerie? Trouve-t-on encore des antiquités en Pologne ?
Les objets que je vends proviennent essentiellement de collections privées et de ventes aux enchères, partout en Europe. Je possède un réseau que j'ai constitué depuis mes 16 ans. Les marchands d'art étrangers m'appellent désormais le « Polonais » ! Même si la Pologne fait partie des pays où j'achète des antiquités, il est certain que le marché y demeure très restreint, et cela est dû à son histoire. Il faut remonter à l'échec de l'insurrection de 1831: les collections d'art polonaises sont expédiées hors des murs de Pologne et notamment en France. Le marché a alors commencé à se développer en dehors du pays. Plus tard, les nazis et les Russes ont subtilisé ou détruit les grandes collections nationales et privées, même si beaucoup de musées ont essayé de les cacher. Les communistes ont achevé « le travail » par la suite en empêchant le renouvellement des collections privées. Tout ceci a effacé une histoire, une mémoire et donc une éducation. Il ne faut pas oublier que la Pologne était une grande nation artistique. La présence du grand peintre vénitien Canaletto à Varsovie au XVIIIe siècle en est un parfait témoignage.

Existe-t-il un marché de l'art en Pologne ?
Oui, mais autour de l'art pictural essentiellement, car lorsque le pays s'est ouvert dans les années 1990, le marché s'est construit sur la base d'objets représentant un investissement simple et sûr. Or, la cotation des peintures est quelque chose de très normé et précis, contrairement à l'achat d'un meuble qui demande plus d' « éducation ». Pour le reste, on ne peut parler aujourd'hui que d'un marché de l'art polonais en Pologne. 80% des oeuvres de grands Polonais sont en effet vendues hors du pays. L'explication est la suivante : la première décennie après 1989 s'est traduite par une volonté d'obtenir des gains rapides, et la perte de connaissances et d'éducation a conduit à une frénésie d'achats peu sélective. La liberté d'investissement et les transactions totalement anonymes attiraient les nouveaux riches au goût conventionnel et conservateur qui achetaient avant tout de l'art polonais, dont les autres pays ne voulaient pas. Aujourd'hui, parmi les antiquaires et marchands d'art présents en Pologne, peu sont de réels connaisseurs, et ils n'ont pas pignon sur rue. J'ai pu voir des collections extraordinaires, ici, ce qui me donne foi en ce pays, mais c'est pour le moment une infime minorité.

Qui sont vos clients ? Y a-t-il une sensibilité des Polonais pour les antiquités ?
Il peut s'agir de l'amateur qui a un coup de coeur comme du grand collectionneur. Mais de façon générale, les antiquités ne font pas encore partie des « priorités » des Polonais, même si on assiste à l'émergence d'une catégorie d'esthètes. Mes clients sont aussi des touristes « avertis » ou professionnels. Mais rarement de simples promeneurs sans un réel intérêt pour les antiquités. Par ailleurs, je ne travaille pas pour les musées. J'ai une vision assez personnelle de mon travail : je fais des choix qui sont les miens, selon mes goûts sans avoir à répondre à certains prérequis que peuvent avoir les musées.


Vous faites partie d'une profession qui n'a pas toujours bonne réputation. Il est courant d'entendre que les escrocs y sont nombreux. Quelle devrait être la déontologie de l'antiquaire ?
« Un antiquaire est un escroc inscrit au registre du commerce » : je m'amuse à répondre par cette phrase de Belmondo dans un de ses films quand on me demande quelle est ma profession. Car en effet, il y en a. Selon moi, un vrai antiquaire est quelqu'un qui a la tête dans les étoiles mais les pieds sur terre. Les pieds sur terre, car son rôle est de connaître l'histoire de chaque objet qu'il vend et celle de sa restauration (s'il y en a une), et sa stratégie commerciale et marketing doit répondre à trois critères : du beau, du bon et du vrai. Dans mon cas, je suis expert auprès de 2 fédérations (la FNEPSA et la CEDEA*)  et je m'engage donc à assurer tout ce que je dis par écrit pour 12 ans face à un tribunal français. En Pologne, je suis pour le moment le seul à pratiquer cela, de manière agréée. La tête dans les étoiles car l'approche à ce métier est quelque peu sentimentale. Je crois en l'âme d'un objet et pour en accueillir un dans ma galerie, il faut qu'il me « parle ». Des artisans ont passé du temps à le façonner, ils y ont donné tout leur amour et je considère devoir faire la même chose! Je suis là pour qu'il continue son chemin dans la vie. D'ailleurs, je préfère vendre un objet en baissant son prix à un acheteur qui en tombe amoureux, plutôt que de le vendre à quelqu'un qui privilégie l'accumulation et l'investissement sans amour ni connaissance.

A propos, comment sont fixés les prix chez un antiquaire?
Chez un vrai professionnel, c'est le prix d'achat qui détermine le prix de vente. Mais bien entendu, le juste prix requière une connaissance du prix du marché, mondial, européen et local. Cependant, pour une pièce exceptionnelle il n'y a pas de prix. Il y a bien sûr le prix d'achat, mais aussi l'émotion de l'antiquaire et le temps passé à la recherche documentaire pour prouver qu'il s'agit d'un modèle digne de ce nom.

Comment un néophyte peut-il faire un bon achat sans pour autant craindre une « arnaque » ?
A défaut de connaître l'antiquaire, il faut toujours que ce soit une goutte d'eau dans le budget, de façon à ce que vous ne regrettiez pas l'achat, avoir confiance en soi et surtout que l'objet plaise. Il convient cependant d'être vigilant en cas d'argenterie et de bronze en Pologne : ce sont les deux domaines où il existe le plus de faux!

Quel a été votre moment le plus émouvant dans votre métier d'antiquaire?
C'est cette console (cf photo ci-contre) que j'ai découverte au milieu d'un marché de professionnels en France, où il y avait tout et rien. Tout le monde s'était précipité à l'ouverture des portes, passant devant cette console d'applique sans y prêter la moindre attention. C'était un objet dans "son jus" (j'aime les objets non rénovés) qui portait en elle les marques du temps et je me suis souvenu que je l'avais vue quelque part! Et pour cause, elle a été dessinée par Germain Boffrand au début du XVIIIe siècle, pour le duc Léopold de Lorraine, au château de Lunéville. Il y en avait quatre, deux seulement ont été retrouvées et je possède donc l'une d'elles, alors qu'elle aurait sa place dans un musée!

Quels sont vos projets ?
J'aimerais faire créer une fédération d'experts en oeuvres d'art et en assurance en Pologne. Car c'est aussi à cette condition que les grandes collections locales pourront être montrées et que le marché pourra commencer à jaillir. A titre personnel, je souhaiterais ouvrir également une entité d'art contemporain, car j'aime aussi le design et le mélange des styles. Améliorer la décoration de ma galerie fait aussi partie de mes projets, mais je me dis que finalement le côté bazar arrangé fait partie du charme d'un antiquaire!


* Confédération Européenne des Experts d'Art

Galeria Sobanski-Devos / Antykwariusze
Antiquités & Objets d'Art
Stare Miasto / Ul. Piekarska 6/27
Tél : +48 22 412 0333
kontakt@antykwariusze.com
www.antykwariusze.com
Blog : http://sobanskidevos.blogspot.com/

Ouvert du mardi au samedi de 11h à 18h

Propos recueillis par Laura Giarratana (lepetitjournal.com/Varsovie) 

 

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Publié le 22 novembre 2017, mis à jour le 11 février 2015