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SEXISME - Le cinéma espagnol passe-t-il le test Bechdel, le grand examen anti-macho ?

Écrit par Lepetitjournal Valence
Publié le 20 janvier 2014, mis à jour le 10 novembre 2023

Depuis deux mois, les films ne sont plus classifiés seulement par la violence ou par le sexe qu´ils comportent comme c´était la coutume. Une nouvelle classification par genre, inspirée d´une remarque de la dessinatrice américaine Alison Bechdel, vient d´être adoptée en Suède. En quelques semaines, cette catégorisation s´est implantée, avec grand succès, dans beaucoup de salles cinématographiques du monde entier et dans de nombreux festivals. Un test qui aspire à tirer la sonnette d´alarme sur les inégalités de sexe dans l´industrie cinématographique et surtout dans la société.  Les femmes ne sont-elles, d´après le cinéma, que l´appendice de l´homme, la fiancée du héros ou la potiche à la maison ? En quoi consiste le test Bechdel ? Mesure-t-il vraiment le degré de sexisme dans les films ? La polémique est servie.


Les origines du test Bechdel
Le système de cette nouvelle classification par genre, mise en place en Suède, a ses origines aux Etats-Unis. En 1985, la dessinatrice de bande dessinées Alison Bechdel s´est rendu compte que tous les films qu´elle allait voir avaient comme protagonistes des hommes ou des femmes ne parlant que d´hommes. Après cette constatation, elle plaça dans ses dessins, un peu par plaisanterie, deux femmes qui se proposaient d´aller voir un film mais qui constataient qu´il n´y en avait aucun répondant aux critères suivants : qu´il y ait au moins deux femmes nommées, dans le film ; qu´elles parlent entre elles (quand on dit parler, cela signifie une vraie conversation, de plus de trois phrases et pas un simple "Bonjour. Ça va ? " ou "Au revoir") et, finalement, que le sujet de la conversation ne soit pas un homme (que ce soit un amoureux, un frère, un ami?).

C´est à Stockholm que Ellen Tejle, la directrice de Bio Rio, une petite salle de cinéma d´auteur décida, il y a quelque temps, d´inventer à partir de l´idée de Bechdel une classification et un logo. "Nous avons voulu faire quelque chose pour dénoncer que les femmes sont invisibles dans le cinéma (et pourtant elles représentent 50% de la population). Ce test, ce logo, cette classification nous paraissait quelque chose de concret", a déclaré Tejle. Après avoir vérifié que très peu de films passaient le test, et d´avoir constaté des données effrayantes telles que seulement 30,8% des acteurs qui apparaissaient dans les films américains en parlant, en 2010, étaient des femmes ou qu´un tiers de ces-dernières sortaient en partie nues ou dans des poses provocatrices, Tejle pensa que c´était le moment de créer un test qui mesure le sexisme dans les films. L´initiative a eu un énorme succès et depuis deux mois à peine, de nombreux cinémas du monde entier contactent la suédoise pour se joindre au projet. Des salles en France, au Royaume Uni, en Irlande, en Slovénie et aux Etats-Unis ont déjà sollicité les labels "Bechdel test approved " pour les coller dans leurs cinémas et prévenir les spectateurs degré de sexisme dans les films qu´ils vont voir.

Pour en savoir plus sur les films qui passent ou non le test de Bechdel, en internet, on trouve "The Bechdel Test Movie list", ou il y a une liste de films qui sont jugés en fonction de ces critères (les 3 conditions, précédemment citées). Vous pouvez même en ajouter vos propositions. Voici quelques exemples :

Quelques films très connus qui ne passent pas le Test de Bechdel :
"Avatar" : Des femmes apparaissent en même temps à l´écran mais n´ont pas de vraie conversation entre elles (plus de 3 phrases). De plus, quand elles le font, une seule fois dans le film, elles parlent d´un homme.
"Citizen Kane" : Un des classiques de l´histoire du cinéma échoue au test. Quelques femmes parlent entre elles une seule fois mais c´est à propos d´un homme.
"La guerre des étoiles" : La trilogie originale ne passe pas le test. Il n´y a que trois personnages féminins et qui ne parlent pas même entre elles.
"Intouchables" : Le plus grand succès du cinéma français ne passe pas le test. Pas de conversations féminines.
"Rien à déclarer" : Un autre carton du cinéma français, avec Dany Boon, échoue au test.
"Gravity" : Un des films candidats aux oscars 2014 ne passe pas le test. Pas de dialogue entre femmes.
"Les amants passagers" (Pedro Almodovar) : ne passe pas le test.
"Ismael" : film espagnol à l´affiche actuellement (interprété par Sergi López) : ne passe pas le test. Deux femmes parlent mais d´un homme (dans ce cas-là, d´un garçon).

Quelques films qui passent le Test de Bechdel :
"Le Parrain" : Curieusement, la deuxième partie de la trilogie passe le test car il y a un dialogue entre Connie Corleone et sa mère (sans référence à des hommes).
"Les femmes du sixième étage" : Plusieurs femmes parlent entre elles et pas toujours sur des hommes.
"Tomboy " : Passe le test.
"Polisse" : Passe le test.
?La vie d´Adèle" : Passe le test.

Le cinéma espagnol : une affaire d´hommes?
Malheureusement, le cinéma semble, en général, une affaire d´hommes. A Hollywood, on constate que ce sont les hommes qui contrôlent l´industrie cinématographique devant et derrière la caméra.  Pourquoi Angelina Jolie, l´actrice la mieux payée en 2013, ne touche-t-elle "que" 24,1 millions d´euros tandis que son équivalent masculin, Robert Downey, Jr. en perçoit 54,8 ? Pourquoi en 2012, seulement 9% des 250 films ayant fait le plus d´entrées aux Etats-Unis sont-ils réalisés par des femmes ? Pourquoi durant 85 ans, n´a-t-on vu que quatre fois une réalisatrice être nommée à l´Oscar et une seule d´entre elles l´obtenir (Kathryn Bigelow en 2010 pour "The Hurt Locker") ? Dur à accepter. Mais, Hollywood n´est pas une exception. Sans aller plus loin, l´Espagne présente un bilan peu favorable. Les hommes réalisent 92% des films et 61, 8% des personnages principaux sont masculins. Dans beaucoup de long-métrages, les femmes sont presque invisibles ou représentent un pourcentage ridicule par rapport au total des personnages. Dans "Zipi y Zape" (2013), film destiné aux enfants, il n´y a qu´une femme (ne passe évidemment pas le test). Dans d´autres cas, comme "La mauvaise éducation" de Pedro Almodovar ou "Alatriste" de Agustín Diaz-Yanes (d´après le roman de Pérez-Reverte), les femmes n´existent pas. Almodovar, considéré le cinéaste "féminin" par excellence du cinéma espagnol, très penché vers les sujets des femmes, en général, échoue ici. La raison est facile à trouver : 92% des films espagnols sont réalisés par des hommes qui choisissent  principalement des personnages masculins. Sans oublier que ceux qui donnent l´argent pour faire du cinéma en Espagne sont majoritairement des hommes de plus de 60 ans qui ne sont guère intéressés par les problèmes féminins. Si on prend les cinq films les plus nommées aux Goya 2014 (les César espagnols), aucun ne passe le test Bechdel. Et encore, faut-il s'estimer contents car une des nommées comme meilleure réalisatrice est une femme, Gracia Querejeta ("15 años y un día"). C´est mieux que rien ! Mais, en tout cas, le cinéma espagnol, comme la plupart des autres cinématographies, ne passe pas le test Bechdel.

Partisans et détracteurs du Test Bechdel
Cette nouvelle classification connaît beaucoup d´adeptes ainsi que des détracteurs. Ceux qui la défendent, la justifient car ils pensent que l´inégalité se trouve dans la société et dans l´industrie cinématographique elle-même et que le cinéma n´est qu´un triste reflet de cette situation. Une situation qu´il faut donc dénoncer. Quand on analyse le test de Bechdel, la question n´est pas seulement si des femmes apparaissent ou pas (il peut y avoir des films sans femmes dont le scénario est largement justifié, sans être sexiste pour cela) mais surtout comment est perçu le rôle de ces femmes. Le test prétend évaluer si le film reflète leur personnalité d´une façon intelligente et complexe, si elles existent par elles-mêmes ou si leur existence n´a une valeur qu´en tant que "jouets" des hommes.  Quand on voit des femmes-pantins apparaître uniquement pour nous révéler des choses sur les personnages masculins, il est sûr que le film ne passera pas le test. Il est important que les femmes aient de vraies conversations dans les films dont le sujet ne tourne pas uniquement autour des hommes. Très souvent, on entend des paroles futiles, voire niaises (et cela, quand les femmes ont droit à la parole). Dans "Les Schtroumpfs", par exemple, on écoute parler les personnages féminins en deux occasions : "Quelle jolie robe" et "Je n´ai jamais eu d´amie fille" et dans "Harry Potter et les reliques de la mort", la femme dit "Dont´touch my daugter, bitch". "Ne touche pas à ma fille, salope"). Il faut montrer au cinéma des personnages féminins plus sérieux, plus construits qui puissent améliorer la représentation que nous nous faisons des femmes et lutter contre le stéréotype sexiste. D´autre part, si les femmes constituent la moitié de la population, on ne comprend pas pourquoi elles doivent être moins présentes quantitativement et qualitativement que les hommes à l´écran. Une explication possible est que, malheureusement, la majorité des producteurs, scénaristes et metteurs en scène sont des hommes.

Ceux qui critiquent le test alertent contre de possibles censures. Ils pensent que la qualité des films peut s´en ressentir car si les cinéastes s´autocensurent pour raconter des histoires très féminines au détriment de la qualité et de la cohérence du film, cela peut être nuisible. D´autres parlent de stratégie publicitaire, de féminisme exagéré? Il est vrai que beaucoup de films d´une grande qualité cinématographique ne passe pas le test et ne sont pas forcément sexistes pour autant. D´autres, en revanche, le passent mais ne valent rien. De plus, des paradoxes surgissent puisque tous les films faits par des réalisatrices "féministes" comme Marguerite Duras ou Chantal Akermann ne passeraient pas le test. En outre, la seule réalisatrice gagnante de l´Oscar, Kathryn Bigelow, a réalisé un film qui serait recalé, tandis qu´un homme, Abdel Kechiche a signé "La vie d´Adèle", un long-métrage qui, lui, passerait l´examen avec bonus.

On est, donc, face à un test peu "scientifique" et qui a une valeur relative et pas toujours en rapport avec la qualité de l´?uvre. Mais, en revanche, ce qui est clair, c´est qu´il s´agit d´une initiative ou d´une expérience qui veut alerter et dénoncer la situation d´inégalité de la femme dans la société actuelle. Le message, dans ce cas-là, est fait à travers le cinéma, ce qui n´est pas sans intérêt car c´est une des manifestations culturelles les plus accessibles et populaires qui existent. Si un demi jeu, sous forme de test, a causé tant de polémiques et de bruit, c´est surement parce que la plaie du sexisme est toujours ouverte.

Carmen PINEDA (www.lepetitjournal.com - Espagne) Jeudi 15 janvier 2014
Collaboratrice comme critique de cinéma dans plusieurs magazines : "Estrenos", "Interfilms" et "Cinerama". Envoyée spéciale à des festivals de cinéma en France pour les journaux "Diario 16" et "El Mundo". Jury du Prix du CEC (Círculo de Escritores Cinematográficos) au Festival international de Cinéma de Madrid (1997). Actuellement membre du CEC et critique dans cinecritic.biz et lepetitjournal.com


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Publié le 20 janvier 2014, mis à jour le 10 novembre 2023

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