A l'initiative de l'association d'amitié franco-espagnole Diálogo, était organisé mardi soir une conférence portant sur l'image de l'Espagne véhiculée par les médias français. Un sujet passionnant, qui intéresse notamment le ministère des Affaires étrangères espagnol, soucieux des valeurs associées à la "marque Espagne". Trois professionnels du secteur ont apporté leur point de vue sur la question.
(Photo lepetitjournal.com)
Salle comble pour le colloque Diálogo. Le public est venu nombreux pour suivre les réponses apportées par Fernando Iturribarría, correspondant du journal El Correo à Paris, Pierre Rousselin, directeur adjoint du Figaro, et Frédéric Josué, directeur marketing de Havas Media France. C'est ce dernier qui a eu l'honneur d'ouvrir les débats, avec une analyse "clinique" du traitement de l'actualité espagnole par les médias français. Journaux papier et online, supports télévisuels, Twitter, dépêches AFP... Havas Media a passé au peigne fin un large spectre de supports. On retiendra de cette analyse que l'Espagne partage, à peu de références près, la première position avec l'Allemagne, concernant le nombre de fois où le pays y est évoqué. Au total, 56.463 références, soit 24 % du total des contenus significatifs. Loin devant l'Italie, l'Angleterre, la Belgique ou les Pays-Bas, l'actualité de ce côté-ci des Pyrénées passionne la presse française. Les deux thématiques les plus récurrentes au cours de ces derniers mois ont été la "crise", dans 60% des cas et la "victoire", dans 30% des contenus.
L'Espagne évoque "quelque chose"
Fernando Eguidazu, directeur des relations économiques internationales au ministère des Affaires étrangères espagnol, modérateur du débat, ne s'y trompe pas : "L'Espagne dispose d'une image : il y a des pays qui n'en ont pas", rappelait-il, mettant en évidence l'importance de disposer -ou non- d'un rayonnement international. On peut donc se réjouir : l'Espagne évoque "quelque chose" dans l'inconscient collectif, notamment chez les Français. Ce "quelque chose" aura largement évolué au cours de l'histoire. Ainsi, Pierre Rousselin évoquait dans les grandes lignes, les différentes perceptions qu'ont pu avoir les Français de leur voisin d'outre-Pyrénées : forte notion de la dictature sous Franco, scepticisme quant à la capacité démocratique lors de la transition, enthousiasme pour la créativité et le dynamisme du boom des années 90... La crise et ses fantômes a bouleversé l'image particulièrement positive que s'est forgé le pays de Cervantès en France, au cours des deux dernières décennies. Deux "Unes" de Libération illustrent assez bien comment l'image du pays a pu se dégrader en 2012 : "SOS Espagne" titrait le quotidien en juillet dernier, puis "Perdidos" quelques jours plus tard. Si vos amis en France s'inquiètent quant à votre capacité de survie au milieu du chaos ibère, vous trouverez peut être ici des éléments d'explication à leur alarmisme.
Pédale douce donc sur les commentaires négatifs
En dépit de ces exemples extrêmes, la presse française resterait assez modérée quant à son traitement de la crise espagnole, à la différence de la presse britannique par exemple, beaucoup plus contondante. Pour Fernando Iturribarría, correspondant d'El Correo à Paris, cela s'expliquerait notamment par une certaine appréhension de "l'effet domino", les Français percevant l'Espagne comme le dernier rempart contre la crise. Si l'Espagne s'effondre, la France serait la prochaine nation à bien pouvoir tomber aussi. Pédale douce donc sur les commentaires négatifs. Le même correspondant mettait mardi dernier en relief d'autres thématiques régulièrement abordée par les médias français, qui participent en outre à véhiculer une image négative de l'Espagne. La grogne des buralistes du Sud confrontés à l'achat massif de cigarettes de l'autre côté de la frontière, ou le succès des lupanars de la Jonquère constituent certes des sujets de reportages vendeurs, mais ils s'avèrent peu flatteurs pour le pays concerné. L'extradition d'Aurore Martin aura également fourni matière à disserter sur la manière dont est perçue la question basque en France, pas toujours au diapason de la réalité espagnole.
30% de victoire
Heureusement, il nous reste le sport. Et là, si les Espagnols sont imbattables, les Français sont généralement fair-play. "La victoire des sportifs espagnols est traitée dans la presse française avec des éloges qui mettent en avant des valeurs fortes, comme la cohésion, la fraternité ou le travail", commentait-ainsi Frédéric Josué, estimant que "c'est le résultat des investissements du gouvernement espagnol dans le sport qui porte ses fruits". Et d'ajouter : "Cette 'victoire' est perçue bien souvent comme un remède à la crise, dont les Français ne disposent pas". Quid de l'affaire des Guignols (plus d'informations ici, ici et ici) ? "Il s'est agit principalement d'une affaire hispano-espagnole", estime Fernando Iturribarría. "On a d'ailleurs souvent ignoré la tradition satyrique française dans le traitement de cette information". Si les moqueries des Guignols restent donc anecdotiques, plus que l'envie, c'est plutôt l'affect qui semble diriger la manière dont les Français traitent les événements d'Espagne, aux yeux du même Iturribarría. "Il y a une identification assez étrange avec l'Espagne", ratifie Pierre Rousselin, "qui n'existe pas avec d'autres pays".
Story telling
Finalement, on l'aura compris, tout pourrait se résumer à une façon de raconter les choses. Pour Pierre Rousselin, l'Espagne doit désormais inventer un nouveau "story telling" : comment le pays réussit à sortir de la crise, par exemple. Une nouvelle histoire à raconter, un mythe à développer, dans lequel les journalistes auront, c'est sûr, leur mot à dire.
Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Jeudi 17 janvier 2012
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Relire notre interview de Sylvia Carrasco, directrice générale de Diálogo, à propos de cette conférence
Plus d'informations sur l'association Diálogo : http://www.dialogo.es/fr/







