

Après des études en droit et en commerce, Lotfi Hamadi a dirigé plusieurs établissements nocturnes à Paris, Tunis et Montréal. Etabli au Canada, il devient Directeur de Projet pour l'une des plus importantes chambres de commerce, puis il rentre dans le monde de l'audiovisuel en participant à la création d'une télé universitaire
Au moment de la révolution, il décide de retourner dans son pays natal et fait une escale à Paris afin de retrouver sa famille. Pour participer à la relance économique de son pays et soutenir la démocratisation par la création d'emplois, il monte un projet touristique autour du village de Kesra, et le présente à Dominique Cantien, afin qu'elle l'aide en mettant à contribution ses relations. Il profite de cette rencontre pour être formé au vrai monde de l'audiovisuel. Fort de cette expérience, il occupe dès son arrivée à Tunis la fonction de Directeur des programmes d'une des cinq nouvelles chaînes de télévision.
Nous l'avons rencontré sur le tournage d'une nouvelle série humoristique, dont le thème central est le monde du football. Rami Jridi, gardien de l'équipe nationale tunisienne en sera l'une des vedettes.
Lepetitjournal.com : Quels sont les changements post-révolution dans le domaine de la télévision ?
Lotfi Hamadi : La télé en Tunisie, désormais libre, bien qu'existant depuis des dizaines d'années en est encore à ses premiers balbutiements. Les patrons de chaînes se trouvent partagés entre le besoin d'attirer des téléspectateurs et la crainte de ne pas froisser une population devenue sensible au contenu des programmes depuis, entre autres, l'affaire de Persepolis. Pourtant c'est à la télé dans un pays post révolutionnaire d'offrir une nouvelle approche de la vie sociale et du divertissement. Ce rôle est parfois mal compris et il en résulte une tendance aux talk-shows provocateurs ou émissions de télé-réalité étalant les misères sociales ou sentimentales, sans débats sur les problèmes de fond. Une sorte de voyeurisme assouvi par une marchandisation de la pauvreté d'une part, et d'autre part la prolifération de micro trottoirs qui permettent a des citoyens ivres de colère et de liberté d'expression de se plaindre sans que le média qui leur tend le micro ne propose par la suite de débats ou d'émissions par rapport aux situations évoquées.
Vous défendez un nouveau concept pour réhabiliter la télévision tunisienne, qu'en est-il
Tout d'abord offrir des émissions créatives, distrayantes et utiles, qui ne se perdent pas dans les travers de la télé réalité, mais qui doivent constituer la télé du réel : divertissements novateurs, présentés par de nouvelles têtes ainsi que de véritables sujets et talk show variés, organisés de façon intelligente et dynamique, en évitant les plateaux d'experts qui "s'écoutent parler".
La programmation est tout aussi importante que la qualité des émissions. Aujourd?hui, on peut constater la fracture entre les chaînes de télévision et le profil des téléspectateurs, qui se distingue selon chaque moment de la journée. En zappant, on peut trouver des films violents en fin d'après midi ou des micro-trottoirs en prime-time ! Ce type de programmation "sauvage" ne peut pas fidéliser le téléspectateur, ni donner une bonne visibilité aux produits présentés dans les spots publicitaires.

La révolution de l'audiovisuel ne se pourra tant que les chaînes de télévision ne décideront pas de collaborer avec les jeunes producteurs et réalisateurs en soutenant leurs créations. Aujourd'hui, la tendance est à la production en interne quitte à ruiner de bon concepts, ou de les refuser tout simplement.
Je propose une stratégie réaliste et pratique consistant à faire appel à toutes les jeunes boites de production afin de varier l'offre télévisuelle et d'enrichir la créativité de la programmation. C'est réalisable en prenant en charge les coûts de production des pilotes pour, une fois les annonceurs trouvés, confier la production en externe. Cette nouvelle approche permet à ces jeunes sociétés d'obtenir une aide suffisante afin de tourner les pilotes avec lesquels elles iront rencontrer les agences de communication et les annonceurs. Il s'agit là d'un vrai partenariat production /diffusion, basé sur le partage du fruit de la vente des spots publicitaires (avant et après l'émission), et le meilleur moyen de soutenir les jeunes producteurs et réalisateurs tunisiens.
Comment vérifiez vous tout le potentiel de votre concept ?
Je suis déterminé à bousculer les codes d'un paysage audiovisuel trop psychorigide pour attirer ne serait-ce que la population tunisienne, qui aujourd'hui a une préférence pour les chaînes étrangères. Afin que nul ne nous oppose un décalage entre le contenu des programmes et la demande télévisuelle, nous allons constituer des groupes de téléspectateurs témoins dans chaque gouvernorat de la république, nous permettant de connaître le jugement des personnes intéressées, et ce pour chaque pilote.
Enfin, une télé généraliste ne saurait prétendre être un média tunisien si elle se limite aux tunisiens de Tunisie, en oubliant d'attirer à elle les étrangers qui travaillent ici ou encore en se coupant des tunisiens expatriés. Pour cela, il sera possible à l'avenir de regarder en "replay" les émissions sous titrées en français, via internet.
Mon ambition est de faire de la chaîne, la première vraie chaîne de télévision tunisienne qui répondra aux attentes de téléspectateurs et qui créera de l'envie. Pour se faire, il faut une vraie grille de programmation qui ne soit pas une addition de rediffusions et surtout des programmes riches et variés.
Propos recueillis par Isabelle Enault (www.lepetitjournal.com/tunis.html) lundi 27 février 2012
Certaines informations sur les chaînes, les séries et les tournages sont confidentielles, nous avons donc omis volontairement quelques précisions.













