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XXIX. MT. FUJI SKYLINE – Gotemba (Shizuoka)

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Écrit par Wotan Jhelil
Publié le 23 octobre 2021, mis à jour le 23 octobre 2021

Dernier réveil, fatigué de mon voyage. Au milieu de la forêt givrée de la route 152, mon corps est à bout. C’est mollement que je bois mon infusion en profitant de sa chaleur jusqu’à ce qu’elle devienne tiède. Encore quelques rares gorgées d’eau et je reprends la route pour la dernière fois. L’avantage, c’est que mon sac est plus léger…

 

DU BLANC AU NOIR

Titubant sur les premières centaines de mètres, le choc du pied contre le goudron étant peu agréable, je rattrape progressivement un rythme soutenu, évitant toutefois les portions trop grises de la route ayant gelé pendant la nuit. Je leur préfère les parties plus blanches et enneigées sur lesquelles j’avance à pas prudents. Mon objectif final était d’atteindre Gotenba rapidement en redescendant par le sommet du mont Fuji, mais avoir fait demi-tour me force à contourner la montagne pour descendre la route 152, où je ferai du stop.

La route redevient noire aux alentours des 1 700 mètres d’altitude, la neige peinant à se maintenir hors de la forêt, verte de feuillage, mais à la canopée d’un bleu froid tacheté de nappes d’un blanc tiède. Les ormes nus, encore fournis de quelques feuilles orange, bordent la route de leurs troncs squelettiques, ponctuant parfois le paysage de leurs maigres silhouettes affaissées sur le sol au fil des intempéries. Les biches sont nombreuses et farouches, surprises tous les deux cents mètres à mon passage de marcheur silencieux, trop concentré à éviter de chuter sur une plaque de verglas pour tenter de les approcher plus que de raison.

descente mont fuji

CROISEMENT VERS LA TERRE

Je trouve sur une vieille souche à la tête arrachée une casquette abandonnée depuis plusieurs mois. Elle arbore un dragon d’or aux griffes roses, sur un fond de fleurs de cerisiers et de nuages stylisés d’un kitsch éblouissant. Je passe une baraque en planches de bois à l’attention des visiteurs : l’eau est coupée mais des toilettes sèches sont ouvertes.

Encore quelques kilomètres et je rejoins enfin le carrefour de la route 180 marquant les 1 400 mètres et surtout le retour à la civilisation. Bien qu’il soit agréable de s’éloigner quelque temps pour renouer avec la vie sauvage et sortir de sa zone de confort, je ne suis pas réellement capable de vivre éternellement seul et loin de tous. Me détournant de la zone fermée de la montagne, je pars vers Gotenba bien décidé à commencer l’auto-stop. Au début sans succès, j’enchaîne machinalement les kilomètres dans l’espoir qu’une voiture s’arrête à mon niveau, mais les véhicules sont rares, et ceux suffisamment vides pour se permettre de m’emmener encore plus.

 

AU PIED DE LA MONTAGNE

J’arrive à un point d’observation du mont Fuji sur la forêt enneigée à encore une quinzaine de kilomètres de la ville. Le magasin-restaurant est fermé – décidément ma malchance se poursuit – mais il y a tout de même quelques touristes venus profiter de la vue hivernale. La plupart sont photographes ou du moins sont équipés pour la profession, leurs voitures étant remplies de matériel très encombrant. Des touristes chinois s’arrêtent sur le parking, mais ils ne prennent jamais d’auto-stoppeurs. Il y a aussi quelques motards venus se garer quelques instants au pied de la montagne, déjà bien loin par rapport à la veille. De là où je suis, je vois encore ses cryptomérias blancs se distinguer les uns des autres dans le pelage clairsemé des forêts d’argent du volcan d’hiver, suivant les courbes voluptueuses de ses dômes volcaniques que je m’efforçais d’affronter à bras-le-corps, plongeant dans les vergetures glacées et fragiles de ses cratères au cœur des nuages.

point de vue mont fuji

Je remplis ma bouteille au robinet des toilettes routières, au cas où la chance ne tournerait pas de la journée et je bois goulûment de bonnes rasades glacées qui me donnent mal au crâne. Pour me faire plaisir et compenser mon erreur, j’achète des boissons chaudes au distributeur automatique et vais m’installer à la table d’un abri de bus : un véritable bonheur ! Le thé au lait sucré me redonne un peu d’aplomb. Voici plusieurs jours que je manquais de sucre alors ce regain soudain d’énergie et de chaleur sirupeuse est tout à fait le bienvenue. Je bois également une canette de chocolat chaud à la température idéale pour être bue d’une traite. Après cette bonne pause, je repars dans l’espoir de trouver un chauffeur voulant bien m’emmener.

 

VOITURE POUR GOTENBA

Les passants sont toujours rares et peu disponibles. Un convoi militaire me dépasse, trop pressé pour ralentir, la base de Gotenba étant à peine dix kilomètres plus bas… Je marche le pouce en l’air, tournant des pieds pour avancer à reculons à l’approche d’un véhicule. Finalement, je ne me retourne même plus, levant le pouce machinalement au bruit des moteurs. Soudain, j’entends le vrombissement caractéristique d’une voiture ralentissant sa course : une Toyota familiale beige s’arrête et baisse sa vitre. À l’intérieur, un homme dans la soixantaine aux cheveux teints et sa femme, visitant des amis sur Gotenba, m’interpellent :

« On vous emmène quelque part jeune homme ?

– Avec plaisir ! »

Ils m’aident à ranger mon sac dans le coffre et m’invitent à m’asseoir sur la banquette arrière.

 

La porte se referme et la voiture démarre, faisant défiler à toute allure le paysage que, pendant trois semaines, je parcourais au rythme de mes pas.

 

Merci à Wotan d’avoir partagé ce voyage pas banal avec Lepetitjournal.com Tokyo. Depuis cette excursion entre lac Biwa et mont Fuji, le marcheur a repris la route, n’hésitez pas à le suivre sur les réseaux pour en savoir plus sur ses nouvelles aventures.

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