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IX. EIGENJI – Inabe (Mie) | Notes sur les chemins d'automne

aventure dans la campagne japonaiseaventure dans la campagne japonaise
Écrit par Wotan Jhelil
Publié le 15 mai 2021, mis à jour le 15 mai 2021

Nous voici déjà au 9e épisode des aventures qui mènent Wotan du lac Biwa au mont Fuji. Après la solitude et le temps incertain des montagnes, qu'elles nouvelles rencontres et surprises attendent notre marcheur ?

De l’autre côté du tunnel, j’entre enfin dans la pointe nord de la préfecture de Mie. Après quelques minutes, j’arrive à un camping arborant dès l’entrée l’écriteau « Tatouages interdits », une règle utilisée dans la majorité des lieux de baignades pour éloigner les yakuzas, représentant la grande majorité des Japonais tatoués, bien que certains établissements préfèrent négocier des horaires aménagés pour éviter les problèmes. Me vient alors l’envie très forte de me laver. Je me mets en quête d’un onsen, bain public japonais issu des sources chaudes très fréquentes dans un territoire volcanique. Mais il me faudra atteindre la prochaine ville, à une dizaine de kilomètres, avant d’espérer pouvoir en trouver un. Je rattrape un homme qui m’indique la bonne route.

vers Inabe dans la prefecture de Mie

BAIGNADE LOINTAINE

Au loin je peux apercevoir Inabe, très dense, très grise, en contraste total avec ce que j’ai pu voir de Shiga. Pour l’instant dans sa périphérie, j’en profite pour cueillir une bigarade sur une branche dépassant d’un jardin, orange amère un peu jaune qui me reste sur le ventre…
J’arrive au premier feu qu’il m’ait été donné de voir depuis deux jours et j’entre pour de bon dans la ville. Une voiture de police passe à ma hauteur et revient quelques minutes plus tard pour vérifier mon identité. Un contrôle de routine pour les étrangers hors des clous. Ils s’enquièrent ainsi de mes papiers, retracent mon parcours et s’assurent de mon état de santé pour éviter tout risque. Les policiers me disent que le onsen est encore loin, peut être encore huit kilomètres pendant lesquels je retourne dans la campagne pour remonter vers le nord de la ville.
Les champs sont d’un vert gourmand, radieux sous le soleil. Un charme bucolique se dégage de ces cultures, séparées par une fine route goudronnée au-dessus de laquelle passe une voie ferrée. Un train jaune poussin bordé d’un orange assez vintage roule tranquillement dans un bruit métallique d’une douce nostalgie pastorale.

champs de la prefecture de Mie
champs de la prefecture de Mie
train vintage prefecture de mie au Japon

JUSQU'AUX VESTIAIRES

Je compte les ponts et les rivières avec un agacement certain avant d’enfin atteindre le onsen, juste à côté d’un 7-Eleven où je passerai la nuit. Les premières minutes ne sont pas vraiment convaincantes pour débuter un bain. Je ne comprends rien de ce que je dois faire et l’accent inconnu du service ne me rend pas la tâche facile. Mon japonais n’étant pas des meilleurs, un changement de prononciation et d’intonation a pour effet de me perdre rapidement.
On me dirige vers un homme, Takashi. Petit, l’air aimable, parlant anglais… et français, avec le même accent que Masayoshi Yamada, un sculpteur de silhouettes humanoïdes en lourds fils de fer que j’assistais parfois pour installer son exposition lors de la Biwako Biennale. Nous échangeons avec un intérêt certain : « J’ai vécu huit ans en France, en tant que technicien chez Toyota. »

Il m’explique ce que je dois faire. J’achète un ticket à la borne automatique et le donne à l’hôtesse, puis me dirige vers les vestiaires, non mixtes bien sûr, quoique ce fut le cas jusque dans les années cinquante dans beaucoup d’endroits. Mais l’occupation américaine a apporté son lot de règles de vie. Cependant, comme c’est aussi dans les pays nordiques, certaines habitudes sont restées et c’est donc tout nu que nous partageons les vestiaires avant de partir au bain. Nicolas Bouvier explique très bien ce changement dans la pudeur entre les hommes et les femmes pendant les années soixante-dix, et bien qu’il existe toujours des différences fondamentales de moeurs avec l’Occident malgré la mondialisation, les changements semblent s’opérer assurément et les différences ressortent moins flagrantes qu’à la génération précédente :

« Autrefois tout le monde se baignait ensemble, et cette paroi est une concession faite à l’Occident puritain à l’époque où le Japon désirait si fort lui plaire. Elle est superflue. Le Japonais n’est pas troublé par le nu au bain ; il en a trop l’habitude, et si, exceptionnellement, il est troublé, eh bien ! où est le mal ? »1

 

VAPEUR ET SUMO

Il faut commencer par se laver à l’aide d’une douche et d’une bassine avant de prendre un bain à quarante degrés, puis un bain extérieur fumant à quarante et un, creusé parmi les pierres, dans lequel les habitués, souvent des cinquantenaires, se réunissent pour suivre un tournoi de sumo sur l’écran plat fixé au mur.
Certains se cachent le sexe avec la petite serviette utilisée pour se laver avant de le découvrir pour poser la serviette sur leur tête une fois dans l’eau. Personne ne parle, les baigneurs étant trop occupés à regarder la préparation des rikishi, les lutteurs. Avant de s’affronter, ils chassent les esprits et purifient le terrain en frappant violemment du pied et en jetant des poignées de gros sel aux points cardinaux. Puis ils se purifient eux-mêmes en buvant et crachant une eau consacrée. Ces trois actes forment le rituel du shikiri, indispensable avant chaque combat et de loin la partie la plus longue du spectacle. Les rikishi prennent place sur le dohyô, l’arène carrée du sumo. Ils n’ont qu’un cercle de quelques mètres délimité par des ballots de paille pour combattre, l’objectif étant l’éjection de l’adversaire de ces limites ou sa perte d’équilibre. Enfin, ils se jettent l’un sur l’autre dans un choc terriblement violent : c’est l’atari. Après quelques secondes, l’un des combattants plie et le combat se termine. On se doute que sans le shikiri, l’intérêt pour la discipline ne serait pas tel qu’il est aujourd’hui. Avec ses traditions très strictes, le sumo représente plus qu’un sport : il véhicule des valeurs bien spécifiques.Philippe Pelletier l'explique ainsi : « Outre le caractère spectaculaire et sportif de cette lutte, très technique malgré les apparences, son succès s’explique par une référence directe et explicite à la tradition : la dimension sacrée, les rites, les gestes, la purification, la symbolique, le tabou sur les femmes, les costumes, la coutume orale. »2 Les combats s’enchaînent pendant quelques dizaines de minutes avant de laisser l’antenne à une compétition de tennis.

Il y a également un sauna dans lequel certains, rouges comme des écrevisses, doivent être depuis une bonne demi-heure. Comme le disent certains Japonais, le sauna est un sport qui demande une pratique régulière si l’on veut garder le niveau. Je me contente de trois séries de trois minutes avant de faire un rapide passage dans le bain à quinze degrés. Je conclus cette agréable expérience par une douche tiède et pars rechercher mes affaires, que Takashi avait mises de côté pour moi : « Tiens, prends ma carte, en cas de besoin tu peux me contacter à ce numéro. Et tiens, voici mon autre carte, celle de mon association de scoutisme. »

 

LA PEAU ENCORE TIÈDE

L’air extérieur me paraît étrangement bien plus doux, bien que de la vapeur se dégage de ma peau pendant plusieurs minutes. C’est que j’ai emmagasiné suffisamment de chaleur pour en émettre à mon tour à travers ce début de nuit de fin novembre. Bashô décrit cette sensation aussi ancienne que l’existence d’individus capables de profiter des sources d’eaux chaudes :

 

« Un restant de chaleur des eaux thermales –

Ma peau deviendra froide

ce soir »3

autel en bord de route japonaise

Je me rends ensuite au 7-Eleven, encore réchauffé par l’eau du bain et commence les négociations habituelles avec le vendeur, plutôt ravi de mon passage. Sans assez de clients pour être occupé, mais trop stressé pour se détendre, il peine à communiquer calmement, qui plus est avec un étranger, et s’emmêle plusieurs fois les pinceaux. J’ai beaucoup de mal à le comprendre et il ne fait pas vraiment d’efforts, mais je parviens à l’intéresser avec mon histoire et à négocier une place sur le parking pour poser le camp.

 

1 Nicolas Bouvier, Chronique Japonaise, Saint-Amand-Montrond, Payot & Rivages, 2001, p. 137 40 41

2 Philippe Pelletier, La Fascination du Japon, idées reçues sur l’archipel japonais, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012, p. 174

3 Matsuo Bashô, Seigneur ermite. L’intégrale des Haïkus, trad. Makoto Kemoku & Dominique Chipot, Paris, Points, 2014, haïku n°546

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