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Hachiue, la nature en résistance

À Tokyo, Osaka et autres villes, le béton dévore la moindre parcelle de nature. Par-ci par-là, dans l’enceinte des temples et des sanctuaires, des jardins privés et des parcs, subsistent quelques arbres - derniers témoins d’un paysage que l’urbanisation efface inexorablement.

© Adina Mazzoni-Cernus, Fukooka & Kyoto 12.2023© Adina Mazzoni-Cernus, Fukooka & Kyoto 12.2023
Écrit par Adina Mazzoni-Cernus
Publié le 1 mai 2025, mis à jour le 9 mai 2025

 

« On a appris en 2021 que la ville de Tokyo abattrait près de d’un millier d’arbres séculaires pour redessiner le quartier de Meiji Gaien. Tout cela pour élargir la route et créer un centre commercial dans une ville qui ne manque ni des unes ni des autres. Mais elle manque vraiment d’arbre. » déplorait Alex Kerr dans Japon caché (éditions Nevicata).

Face à la disparition progressive des espaces verts, les habitants expriment leur attachement à la nature à travers les hachiue. Plongeons au cœur de cette tradition ancestrale et explorons son évolution, notamment en milieu urbain.
 

 

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© Ayako Murata Botaworks


Contexte historique et culturel

Les hachiue sont des plantes cultivées en pot, aussi bien en intérieur quen extérieur. On les trouve sur les balcons, devant les maisons ou nichées au coin des ruelles, apportant une touche de verdure aux espaces urbains contribuant ainsi au bien-être des habitants.

La tradition des plantes en pot remonte à Heian (794-1185) où les jardins se trouvaient principalement dans les temples bouddhistes. Cette pratique s'inscrit dans une croyance selon laquelle les hommes, après leur mort, pouvaient se réincarner en animaux, minéraux ou en végétaux.

À cette époque, il était courant dassocier une personne aux plantes ornant lentrée de sa maison. Un exemple célèbre se trouve dans Le Dit du Genji Genji Monogatari de Murasaki Shikibu : Dame Fujitsubo « La Dame aux Glycines », surnommée ainsi en raison du pot de glycine placé devant son pavillon.
 

Cette coutume prend son essor à l’époque Edo (1600-1868) avec les ruelles étroites roji, les plantes en pot ont remplacé les jardins de devant niwasaki.

« Elles créent un entredeux, protègent l'intimité dans des situations de promiscuité et forment une transition entre l'espace public, la rue et l'espace privé, la maison. Cette limite, parfois réduite et symbolique, relève à la fois de la sphère publique et de la sphère privée. » extrait Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS éditions, Sylvie Brosseau « Hachiue »

 

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© Adina Mazzoni-Cernus, Kyoto 12.2023.jpg

 

Évolution des espaces de vie

La pratique du hachiue reflète la relation des Japonais avec les saisons, leur sensibilité esthétique, et leur quête de nature dans les espaces confinés.

« Ces plantations font tout simplement partie de la vie quotidienne, les pots sont des éléments ordinaires du paysage commun. Cependant, quelques arrondissements de Tokyo commencent à montrer des signes de reconnaissance et d'intét : culturels et touristiques à Sumida-ku, la climatique à Taitō-ku. Un changement d'attitude est perceptible à travers de nombreuses publications: recueils de photographies qui diffusent un autre regard, celui des artistes japonais ou étrangers, articles dans des magazines ou des journaux, travaux des chercheurs montrant un intét renouvelé sur l'histoire des formes et pratiques urbaines, comme l'horticulture urbaine ou les sociabilités, guides touristiques qui proposent des itinéraires, projets d’architectes. » extrait Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS éditions, Sylvie Brosseau « Hachiue »

Malgré la forte urbanisation de Tokyo, la nature parvient à s’épanouir dans de petits interstices, portée par un climat humide favorable. Fascinée par ces îlots de verdure et les hachiue, la géographe et photographe Ayako Murata les a documentés pendant dix ans. En 2020, elle a publié un ouvrage rassemblant ses observations, révélant ces deux formes d’intégration de la nature dans le paysage urbain.

L'intét pour la forme (le paysage, les fleurs dans la rue) ouvre une réflexion aussi sur le fond (le mode de vie qui produit ce paysage), qu'énonce l'expression hikarakuyō 飛花落葉 : « les fleurs se dispersent, tombent les feuilles » (tout est destiné à disparaître). La conscience du caractère fragile, éphémère de toute chose reste présente, exprimée dans un microcosme. C'est une vision du monde qui transparaît.
Extrait Vocabulaire de la spatialité japonaise
CNRS éditions, Sylvie Brosseau « Hachiue »

Ainsi, dans un Japon où les arbres disparaissent sous la pression de lurbanisation, les hachiue apparaissent comme une forme de résistance silencieuse, un geste quotidien pour ramener un fragment de nature dans les interstices du béton. Bien plus quun simple ornement, ce lien intime entre les citadins et leurs plantes en pot témoigne dun profond besoin de réancrage au vivant, et dune volonté de réinventer, à petite échelle, une harmonie entre ville et nature.

Sous les pots, la révolte !

 

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Sources : Japon caché, Alex Kerre, Éditions Nevicata

 

japon caché

 

Vocabulaire de la spatialité japonaise, Philippe Bonnin, Masatsugu Nishida, Shigemi Inaga, CNRS éditions

 

CRNS

 

Tempura Magazine n°3 du 30 sept. 2020 : LES JAPONAIS FACE À LEUR NATURE

Article page 49 : Tokyo, mise au vert par Clémence Leleu, photos Ayako Murata

 

tempura mag

 

Photo de couverture : © Adina Mazzoni-Cernus, Fukooka & Kyoto 12.2023

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