Le Trophée Entrepreneur des Trophées des Français de l’ASEAN, parrainé par EDHEC Business School, est attribué à Léa Klein, qui cherche à donner du sens à l’entrepreneuriat en Asie du Sud-Est.


Léa Klein est une Strasbourgeoise de 33 ans. Son CV étudiant est pour le moins rempli : école de commerce, master en finance, master en économie du développement. Puis elle a effectué pas moins de sept stages, ne sachant pas vraiment ce qu’elle veut faire de tous ces diplômes. Elle est passée par une agence immobilière de New York, une société de trading, une agence de marketing en Suisse et en a retiré la certitude que le milieu professionnel exclusivement tourné vers le capitalisme n’était pas fait pour elle. C’est lorsqu’elle atterrit aux Nations Unies, à Genève, pour y préparer des rapports concernant les financements de projets économiques dans des pays en développement qu’une petite lumière s’allume.
Je suis tombée amoureuse de l’entrepreneuriat social
Elle doit un autre éclair au programme Enactus, présenté dans son école. Il s’agit d’accompagner des étudiants à monter des projets d’entrepreneuriat social. Elle se lance avec des amis pour aider le Burkina Faso. « Je suis tombée amoureuse de l’entrepreneuriat social, je l’ai enseigné, j’ai accompagné des étudiants. Jacques Attali cherchait des jeunes de moins de trente ans qui puissent faire des propositions à François Hollande pour rendre l’économie française plus inclusive. J’ai participé à l’initiative et c’est ainsi que j’ai rencontré le fondateur de makesense. »

Qu’y a-t-il derrière les mots ?
« Depuis 10 ans, makesense crée des outils et des programmes de mobilisation collective pour permettre à tous et à toutes de passer à l’action et de construire une société inclusive et durable », peut-on lire sur le site de l’organisation.
Des mots. Mais qu’y a-t-il derrière, que veulent-ils vraiment dire ? Nous avons demandé une petite explication de texte à Léa Klein.
lepetitjournal.com : Pouvez-vous nous expliquer concrètement le rôle de makesense ?
Léa Klein : Souvent, les gens ne se font pas confiance. Ils se disent que tout seuls, ils ne peuvent rien contre les inégalités. Nous sommes là pour leur faire comprendre qu’on est des milliards et que chacun, plus un, plus un, peut transformer une collectivité en contre-pouvoir. En donnant la bonne information à chacun, il n’y a pas de raison que les gens ne puissent pas passer à l’action.

Vous avez débuté votre action de terrain à Manille, seule, il y a dix ans. Comment les choses se sont-elles passées là-bas ?
Notre mission consiste à outiller les citoyens et leur permettre de passer à l’action sur des enjeux systémiques, à les former à s’organiser en groupe. À Manille, j’ai débuté dans une ferme, à l’extérieur de l’agglomération, où une ONG construit des maisons à bas prix pour des populations qui vivent dans la rue. Il s’agit d’utiliser l’entrepreneuriat social pour les sortir de cette situation de grande précarité. Nous travaillons toujours avec les autres, ceux qui connaissent déjà le terrain.
Nous faisons de l’accompagnement philanthropique
Vous aimez le verbe « cocréer ». Que signifie-t-il pour vous ?
Nous avons un rôle d’incubateur, c’est à dire que nous aidons des projets à émerger. Nous avons une approche très humble quand nous arrivons quelque part. Personne ne nous connaît. Nous allons donc voir les autres incubateurs mais je me suis rendue compte qu’ils travaillaient un peu tous sur les mêmes projets. Nous avons donc mis en place des programmes qui accompagnent la création d’entreprises à impact comme le développement de l’énergie solaire pour les zones non électrifiées ou la conception de cups menstruelles, accompagnée de cours d’éducation au sujet dans les écoles.

Vous rémunérez-vous sur le succès des réalisations ?
Non, nous faisons de l’accompagnement philanthropique. Nous donnons des bourses, nous aidons à faire naître les projets. Ensuite, les entreprises nouvellement créées rejoignent les autres incubateurs qui les aident à réaliser des levées de fonds. Notre modèle économique n’est pas basé sur le profit mais sur les subventions et les partenariats.
Il faut donner une voix aux moins favorisés, aux femmes, aux jeunes
Suite de l’explication de texte. Vous parlez de « changement local, inclusif et systémique ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
Je ne suis qu’une facilitatrice. Les personnes impactées, les communautés défavorisées, doivent faire partie de la décision. On ne peut plus mettre simplement des bandages sur les problèmes. Par exemple, donner des bourses scolaires ne suffit pas. On doit créer un nouveau modèle. Il faut plus de professeurs dans les écoles rurales. Les diplômés des grandes universités doivent aller enseigner dans les zones rurales, comme c’est le cas aux Philippines. On les paie un peu mieux et un tel engagement est très bien vu dans un parcours.
Comment « agir sur les systèmes » ?
Il s’agit de travailler, notamment, sur l’économie circulaire. Developper la filière du recyclage, c’est très bien. Mais créer des modèles économiques qui permettent d’éviter la création de déchets, c’est mieux. Louer ou réparer plutôt qu’acheter, voilà l’une des solutions vertueuses. Quant à la transition, elle ne doit pas être qu’écologique ou environnementale mais aussi sociale. Il faut donner une voix aux moins favorisés, aux femmes, aux jeunes. Ils sont d’ailleurs nombreux à porter les projets que nous aidons.
Vous êtes aujourd’hui lauréate d’un trophée dans la catégorie « entrepreneur ». Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Qu’on monte une ONG ou une start-up, on est entrepreneur. L’entrepreneur est bêtement celui qui entreprend, qui agit. makesense est un collectif qui a monté des bureaux un peu partout dans le monde. Chacun, sans être dirigeant, est un entrepreneur. C’est ce pouvoir du collectif qui m’a donné une grande confiance en moi pour me lancer.
Plus de 20 millions de personnes touchées
En 2021, Léa Klein a quitté Manille pour Singapour, le meilleur endroit en Asie du Sud-Est, selon elle, pour trouver des fonds. Depuis ce nouveau bureau, elle a développé des programmes régionaux, notamment en Indonésie et en Thaïlande. Elle a également créé une plateforme régionale baptisée « job that make sense », qui aide aujourd’hui plus de 15.000 chercheurs d’emploi par mois.

Depuis trois ans, elle a identifié des leaders de communautés digitales et les a approchés pour qu’ils aident à engager la conversation sur la transition énergétique. L’objectif consiste à faire d’un sujet éloigné un sujet quotidien, à ne pas en parler que lorsqu’il y a un problème. Puis elle a monté une équipe en Thaïlande où elle est arrivée il y a un an. Depuis le début de leur action en Asie du Sud-Est, son équipe et elle ont accompagné la création d’une cinquantaine d’ONG et d’entreprises sociales et touchent, grâce à leur réseau, plus de 20 millions de personnes.
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