Match, Meetic, Tinder font partie des innombrables services qui ont fleuri sur la toile. Arrivés tout droit des Etats-Unis au milieu des années 1990, ces sites et applications comptent désormais plusieurs millions d’utilisateurs. Comment expliquer le succès de ces services ? Et que changent-ils à l’amour ?
Lepetitjournal.com/stockholm s’est entretenu avec Marie Bergström, sociologue et chercheure suédoise à l'Institut national d'études démographiques (INED). Elle est l’auteure du livre « Les nouvelles lois de l’amour ».
Marie Bergström, présentez-vous à nos lecteurs...
Je suis sociologue et chercheuse à l’INED depuis maintenant cinq ans. Je suis suédoise d’origine, j’ai grandi en suède et j’ai étudié le français au lycée. Je suis partie en France après le bac pour une année sabbatique, ce qui est assez classique pour apprendre le français. Et j’y suis restée environ 20 ans. J'ai vécu la moitié de ma vie en Suède et l’autre moitié en France.
Comment est venue l'idée de cette recherche ?
C’est à l’origine ma thèse de doctorat en sociologie consacrée à l’usage des sites de rencontres en France. C’est une recherche que j’ai commencé il y a plus de 10 ans car ensuite j’ai continué à l’INED. Je fais de la veille scientifique sur cette pratique.
Le point de départ du livre est que ces services-là sont toujours restés tabous. C’est l’étonnement qui permet de nourrir mon travail est de comprendre pourquoi quelque chose de marginalisé est devenu une pratique courante.
Rencontre en ligne : de quoi parle-t-on ?
On parle des sites et des applications qui sont spécifiquement dédiés à la rencontre de partenaires intimes. Des services spécialisés pour se connecter à des espaces spécifiquement dédiés. C’est cela qui est nouveau.
Avant il n’y avait jamais eu de lieu dédié à la rencontre, historiquement les rencontres étaient liées à la sociabilité ordinaire. Concrètement on va dissocier les rencontres des autres pratiques sociales : il y a des lieux pour travailler, des lieux pour sortir, pour voir des amis et maintenant des lieux pour faire des rencontres.
Quelle évolution avez-vous constaté avec le temps ?
Les tous premiers usagers ont eu lieu en 2007 et c’est sûr que les entretiens que j’ai pu faire plus tard n’ont rien à voir en termes d’acceptation de la pratique. C’est à dire que les personnes qui formaient des couples avec quelqu’un rencontré sur ces services au milieu des années 2000 ne disaient pas qu’ils s’étaient rencontrés via ce site, pas tellement sur le fait que ce ne soit pas romantique. C’est que ça jetait un doute sur la relation en fait. On ne voyait pas comment dire cela aux parents, aux enfants parce que ça voulait dire que ce n’était pas une vraie relation d’amour. Je pense qu’aujourd’hui c’est toujours plus romantique de rencontrer quelqu’un en vacances ou dans d’autres cadres. Mais il n’y plus de stigmatisation.
Je pense qu'aujourd'hui c'est toujours considéré plus romantique de rencontrer quelqu'un en vacances ou dans d'autres cadres. Mais il n’y plus de stigmatisation.
Quelles différences observez-vous entre la France et la Suède ?
Il me semble que la réception de ces services a été bien plus critique en France qu’en Suède. Je pense que l’usage de ces services étaient une nouveauté et a plus bouleversé les codes de la rencontre en France.
En France, il y a une forte importance de l’ambiguïté. En Suède, les gens aiment bien les codes, les repères. On aime moins le flou.
Comment expliquer le succès de ces services ?
Je pense qu’il a deux niveaux d’explication tous deux très importants :
Un, plus macro qui a trait aux transformations très importantes des parcours amoureux et sexuels de ces dernières décennies. Il y a une complexification des parcours c’est à dire chez les jeunes on se met en couple plus tard et donc on reste plus longtemps célibataires. Les sites et les applications sont les lieux pour ces expérimentations.
Un autre facteur est qu’on se sépare de plus en plus et en fait ce qu’on voit très nettement c’est qu’après une séparation, beaucoup de gens souhaitent se remettre en couple. En France, deux ans après une rupture, la moitié les gens sont déjà remis en couple. Avec cette problématique qu´à 30 ans, 40 ans, 50 ans ce n’est pas évident de trouver quelqu'un parce que toutes les personnes autour de soi sont déjà en couple. Utiliser les sites permet d’aller au delà de son entourage. C’est ce que j’appelle la privatisation de la rencontre.
Un élément qui est pour moi très important est de dire : si les sites et applications fonctionnent aujourd’hui, bien qu’ils n’existaient pas mais avaient des équivalents dans les années 50-70, c’est qu’aujourd’hui on a des parcours amoureux qui sont hachés où il y a des périodes de célibats qui se sont prolongés et tout ça se sont des tendances et des évolutions démographiques et sociologiques qui favorisent l’émergence des services de rencontre. Donc c’est une toile de fond qui est très important à avoir en tête.
Qu'est-ce que ces sites et applications changent en matière de scénarios amoureux ?
Le fait que ça se déroule loin du groupe, de l’entourage.
Ce qui change principalement c’est qu’il y a une forme d’accélération des rencontres. Le fait que ça se déroule dans les lieux où on sait pourquoi on est là et un peu loin des regards. Ce qu’on sait, ce qu’on voit notamment avec les grandes enquêtes très clairement c’est que ce sont des rencontres qui deviennent souvent sexuelles et rapidement sexuelles et de fait ça favorise plutôt des relations non conjugales, c’est à dire qu’il y a beaucoup de rencontres éphémères qui se nouent.
Il y a eu beaucoup de discussions, débats sur ça en France avec cette idée que c’est un signe consommateur à l’amour, ou une espèce de révolution sexuelle. Mais pour moi c’est pas du tout ça, c’est très lié au contexte de la même manière qu’on sait que pendant les vacances il y a des histoires qui ne durent pas forcément. Les sites ont un peu ces mêmes effets.
Pensez-vous que ce nouveau type de rencontre vienne à remplacer les schémas plus conventionnels de séduction ?
Il n’y a pas de réponses uniques. Il y a des groupes pour qui ces services sont devenus très importants et il en a d’autres pour qui c’est souvent moins le cas.
C’est presque essentiellement une question d’âge. La réponse courte c’est non.
Disons dans la plupart des pays c’est dans le top 5, mais ce n’est pas forcément le premier.
Les jeunes rencontrent surtout leur premier conjoint ailleurs que sur ces services mais parce que justement les jeunes ont plein de lieux de rencontres.
Alors les couples en deuxième union, qui se forment après une séparation à 45, 50, 60 ans, là les sites et applications sont devenus très importants. Et ça vaut pour les USA, l’Allemagne et la France, les couples formés en ligne sont principalement des remises en couple.
Et petite nuance, pour les gays et lesbiennes c’est de loin le mode de rencontre le plus courant des couples.
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris en faisant cette recherche ?
Une des choses qui continue à me frapper, et c’est peut-être plus spécifique pour la France du coup, c’est une forme de fascination pour ces sites et applications. Au début, j’ai cru que c’était le fait de la nouveauté mais cela ne peut plus être le cas. Il y a toujours une attention médiatique assez forte et je pense qu’au fond il y a un peu une crainte et un spectre qui persiste. Il y a toujours cette crainte qu’ils viennent casser quelque chose, d’affaiblir des choses. Et je trouve que cette crainte-là est toujours très présente en fait. On est toujours dans des discours assez polarisés qui sont soit enthousiastes et technophiles ou complètement catastrophiques.
Quels sont les principaux retours positifs et négatifs des utilisateurs et utilisatrices ?
Ce n’est pas possible de donner une réponse globale. Il y a vraiment des différences sociales, des différences entre groupes. Un des efforts du livre est de montrer cette diversité d’usage, que les gens ne font pas la même chose mais aussi montrer que tout le monde n’a pas les mêmes chances, les mêmes possibilités, n’a pas les mêmes probabilités de rencontrer quelqu’un.
Il y a des personnes qui sont très déçues de ces applications. La déception est forte du fait qu’il ou elle ne rencontre pas La personne pour se remettre en couple alors que d’autres personnes sont plutôt favorisées, ont beaucoup de contacts. Encore une fois ce n’est pas uniquement des inégalités individuelles il y a des inégalités de classes, de genres, d’âges et en tant que sociologue un des grands objectifs de mon travail est de montrer ces inégalités. Tout le monde n’a pas les mêmes chances de rencontres.
Ce qui est assez cohérent entre différentes enquêtes et recherches conduites dans différents pays c’est que pour les couples qui se forment sur internet, il y a une forme d’accélération. Ils ont plutôt tendance à cohabiter plus tôt à se remarier plus tôt que d’autres couples. S’inscrire sur ce service c’est une démarche assez volontariste. On y va pour rencontrer quelqu’un.
Lorsque ça marche les gens avancent plus vite ensemble. Ensuite il n’y a pas vraiment d’étude qui permettent de démontrer que les couples qui se rencontrent sur internet se séparent plus. J’ai en tête une étude américaine qui montre l’inverse. Peut-être d’ici quelques années on pourra en dire un peu plus.