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Lilian Thuram, ambassadeur de la lutte contre le racisme à Stockholm.

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Lilian Thuram, Docteur Honoris Causa de l’Université de Stockholm depuis 2017 - Photo : Lefalher
Écrit par Lepetitjournal Stockholm
Publié le 22 octobre 2018, mis à jour le 22 octobre 2018

Lilian Thuram était invité d´honneur à l'Université de Stockholm le 11 octobre dernier pour une conférence à destination des futurs enseignants. L´objectif étant de les préparer à aborder des questions sur la démocratie et la tolérance afin de lutter contre les préjugés. "Un bon enseignant peut changer le monde et tout changement commence par une conversation." Lilian était également convié le soir même à la résidence de France aux côtés de l´ambassadeur et les étudiants du programme Erasmus+. Le Petit Journal de Stockholm a suivi Lilian Thuram durant cette journée et vous offre cette interview en exclusivité.

 

Le Petit Journal Stockholm : Docteur Honoris Causa de l’Université de Stockholm en 2017, que cela représente-t-il pour vous et quelles sont vos missions ?

Lilian Thuram : Tout d’abord c’est une vraie reconnaissance du travail de la Fondation, ça encourage à aller dans la direction vers laquelle nous sommes en train d’aller. C’est-à-dire d’essayer de montrer la profondeur historique du racisme, qu’il y a une histoire, faire le lien entre toutes les inégalités qui peuvent exister, dont le sexisme ou l’homophobie. Cela a été une vraie surprise en tout cas de recevoir ce titre-là. Ça donne une responsabilité aussi parce que c’est une reconnaissance que l´on ne donne pas à tout le monde. Et s’ils me font confiance c’est qu’ils pensent que je porte un message qui est positif pour la société. Donc oui, ça me donne une responsabilité de parler le plus intelligemment possible de ces problématiques.
 

Quel lien entretenez-vous avec la Suède ?

C’est la huitième fois que je viens en Suède et que je viens faire justement ces rencontres dans les universités. Il y a deux jours de cela nous étions à Uppsala, nous avons aussi un voyage qui est prévu au mois de mai plus au Nord. Nous sommes allés à Umeå aussi. Je viens très souvent parce qu’il y a des personnes extraordinaires qui se trouvent derrière vous, Françoise et Maria (travaillant pour l´Université de Stockholm), qui pensent que je dois rencontrer les étudiants.
 

Justement quel était le message que vous avez partagé aujourd’hui avec les futurs enseignants suédois ?

L’idée c’est vraiment, encore une fois, de montrer que le racisme c’est pas quelque chose de naturel. Et très souvent les gens ne comprennent pas qu’il y a une histoire du racisme. Jusqu’à preuve du contraire si l’espèce humaine a duré si longtemps, c’est qu’elle a travaillé en communauté, c’est qu’elle a besoin de l’autre. Seul on n’existe pas. Donc je pense que c’est ce message là qu’on devrait véhiculer, c’est qu’on n´existe pas sans les autres.

Et de dire aux gens que la construction des autres, ce n´est pas anodin. A un moment donné on a construit des hiérarchies entre les supposées races, on les a classifiées, et on a mis tout en haut de l’échelle la prétendue race blanche. Et cette prétendue race blanche a été éduquée dans ce sens-là, en se pensant supérieure, en se sentant légitime au monde. Et donc de manière inconsciente les personnes ont développé un complexe de supériorité. C’est exactement la même chose lorsqu’on parle du sexisme. C’est-à-dire que les hommes ont construit l’idée qu’ils seraient supérieurs aux femmes, et ça depuis des siècles et ça existe encore aujourd’hui. Donc je pense que nous devons simplement nous questionner sur ces hiérarchies qui ont été construites dans nos sociétés.

Moi je reste persuadé que les discours où on met des hiérarchies entre les personnes c’est très souvent pour légitimer un discours économique derrière. Ce discours économique est d’une violence totale et chacun de nous devons nous questionner. Dans quel monde et quelle société veut-on vivre ? Est-ce que l’on veut vivre dans un monde où il y a une violence totale d’une minorité de gens ? Et quand je dis minorité de gens, je parle d’une minorité de gens qui contrôlent le système capitaliste et qui sont dans un non-sens en fait. Et ce non-sens nous amène à détruire la nature. On doit être conscient de cela. Je pense qu’on est conscient de cela mais qu’on ne sait peut être pas trop quoi faire pour changer les choses.

 

Lilian thuram université stockholm
Lilian Thuram lors de sa conférence à l'Université de Stockholm - Photo : Capture d'écran vidéo Intervju om rasism med Lilian Thuram


 

Durant la conférence vous avez beaucoup insisté sur l’importance de l’égalité, mais comment se sentir un citoyen à part entière, pour les citoyens d’origine étrangère à qui on rappelle souvent qu’ils sont justement d’origine étrangère ?

Pour les personnes qui sont d’origine étrangère, je crois qu’il ne faut pas attendre qu’on vous donne l’autorisation d’être ou ne pas être, je crois qu’il faut la prendre. Ça c’est très important. C’est-à-dire qu’il faut vous sentir légitime. C’est la meilleure façon je pense pour pouvoir vivre bien en fait. Effectivement si vous attendez que les autres vous acceptent, vous allez peut-être être dans une grande difficulté. Et il y a aussi la difficulté d’accepter d’être parce qu’on a l’impression de trahir ce qu’on est. On peut avoir l’impression de trahir ses origines, une sorte de « conflit de loyauté ». Mais chaque être humain a le droit d’avoir une identité multiple et complexe. Quand vous êtes français on vous dit « ouais mais vous n´êtes pas vraiment français » mais qu’est-ce que c’est un vrai français ? Ça n’existe pas, c’est un mythe en fait. Très souvent on nous éduque sur des mythes qui n’ont pas de sens. Donc voilà ne pas tomber dans ce piège-là. Je ne sais même pas s´il faut revendiquer mais il faut prendre conscience que vous n’avez pas besoin des autres pour vous approprier par exemple le drapeau français. Ce drapeau m’appartient et appartient à n’importe qui.  
 

Vous avez célébré cette année les dix ans de votre Fondation contre le racisme, quelles ont été les plus grandes réalisations et satisfactions ?

Déjà je pense à l’exposition au musée du quai Branly sur les zoos humains. Je pense que ça a été un moment très fort parce que c’est une histoire qui était très peu connue par le grand public et donc c’était intéressant de montrer comment le racisme scientifique s’était introduit dans les sociétés européennes. Montrer comment on a légitimé la colonisation. Avec les zoos humains l’idée c’était de montrer à quel point les sociétés européennes étaient supérieures et légitimes parce que lorsque vous avez la capacité de mettre dans des enclos des gens qui viennent d’Afrique, d’Asie, d’Océanie des Amériques c’est que vous êtes en train de construire votre supériorité.

C’est pourquoi je dis très souvent lorsqu’on analyse les problématiques du racisme qu’il faut écouter les non-dits. Je dis que tu es inférieur mais en disant ça je dis aussi que je suis supérieur. Et très souvent on ne voit pas ces choses-là. C’est pour ça qu’il est parfois intéressant d’inverser nos façons de penser. Et avec la fondation, depuis une dizaine d’années, on essaye d’emmener les gens à penser différemment. On parlait du sexisme : je pense qu’il faut montrer la domination des hommes et très souvent on ne le montre pas. Très souvent on dit « oui c’est incroyable il n´y a que 20% de femmes dans telle entreprise » mais peut être que ce serait bien de dire qu’il y a 80% d’hommes. Parce que ça parle quand même plus. Quand on parle du racisme, on s’attarde à parler des personnes noires mais ce serait intéressant de dire aussi qu’est-ce c’est que d’être blanc.
 

Pour revenir sur le football et le racisme, on sait que le football est vecteur de rassemblement, particulièrement lors de victoires en coupe du monde, mais peut aussi diviser fortement lors d’échecs. On l’a vu récemment avec l’affaire Jimmy Durmaz qui a agité les réseaux sociaux. Pensez-vous que le racisme est davantage perceptible avec les réseaux sociaux ?

Ça dépend. Le racisme a toujours existé dans notre société, puisque nos sociétés se sont basées dessus. C’est des relations de domination. Et comme je le dis, ça fait combien de siècles que l’Europe domine le monde ? Ça ne date pas d’aujourd’hui. Ça veut dire que ça fait beaucoup de siècles qu’il y a un mépris pour certaines populations, ce n´est pas nouveau.

Ce n´est pas nouveau mais ça apporte plus de visibilité à ces problématiques

Vous savez je vais vous dire un truc. Si vous êtes une personne noire, vous savez que le racisme existe depuis très longtemps, et qu’on vous méprise parce que vous êtes noir, vous n´attendez pas les réseaux sociaux pour le savoir. Je pense qu’en fait ce qui est très intéressant aujourd’hui dans nos sociétés c’est qu’il y a de plus en plus de personnes qui ne subissent pas le racisme mais qui sont sensibles à ça et qui veulent l’égalité. La grande majorité des gens sont désormais obligés de réfléchir et de se positionner. Parce que très souvent lorsque vous ne subissez pas le racisme, on vous demande pas de vous positionner.
 

Dernière question, si vous aviez une baguette magique que changeriez-vous dans le monde ?

Dans le monde ? Wow ! Qu’est-ce que je changerais ? Je ferais en sorte que chacun de nous soit conscient que nous sommes totalement liés, à la fois entre nous et avec la nature. Et je pense que ça permettrait de comprendre qu’il y a des choses avec lesquelles on ne peut pas transiger, notamment le respect de la nature. Et donc on ne laisserait pas faire toutes ces personnes qui gagnent de l’argent en mettant en danger notre survie. Voilà.

 

Ci-dessous un court entretien entre l'Université de Stockholm et Lilian Thuram lors de sa venue : 
 

 

Fabienne Roy et Johann Tsati, 22 octobre 2018

lepetitjournal Stockholm
Publié le 22 octobre 2018, mis à jour le 22 octobre 2018

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