C'est une oasis située en plein coeur de Stockholm. On y vient pour se mettre au vert, pour se réapproprier la nature, se ressourcer. C'est un lieu à part, habité par le ?Genius loci?, l'esprit du lieu, et entretenu par une poignée de passionnés. A l'occasion de la fête de la récolte (skördefest) qui se déroule du 8 au 10 septembre dans le jardin de Rosendal, la rédaction vous en dit un peu plus sur ce lieu dédié à l'âme de la terre, à la gastronomie potagère, au design et au caractère si scandinaves.
Un jardin sorti de terre
En 1817, le terrain de Rosendal est vendu à Jean Baptiste Bernadotte, le roi Karl XIV Johan de Suède. Il y fait construire un château, Rosendals slott, achevé en 1827. Parallèlement, le parc alentour est transformé en jardin à l'anglaise. L'orangerie, édifice emblématique, est construit en 1848.C'est quelques années plus tard, grâce à la reine Josefina (1807-1876), la femme d'Oscar I, fils de Bernadotte, que le jardin de Rosendal voit le jour. Très inspirée par les jardins en Europe, passionnée de jardinage, elle crée en 1861 l'école d'horticulture en collaboration avec l'association suédoise de jardinage. Alors reine douairière, elle loue à l'école les terres et les bâtiments, propriétés du roi, pour une période de 50 ans. Le jardin est alors modelé par le travail des apprentis jardiniers. En 1878, le jardin fleurit avec plus de 23.000 plantes en pot, 1.000 variétés de fleurs, herbes et plantes, 235.000 plants dans ses pépinières et 400 arbres fruitiers. Durant ces 50 ans, plus de 700 jardiniers participent au programme de formation. Mais l'ambition de Josefina ne s'arrête pas là : elle souhaite diffuser la tradition du jardinage et de l'horticulture à travers toute la Suède, pays encore très pauvre à cette époque. Alors, jardiniers, fermiers et autres propriétaires fonciers désargentés, en plus d'acquérir de nombreuses connaissances horticoles, ramènent chez eux pour le cultiver du ?matériel vivant?, plantes, boutures, arbustes, gracieusement offert.
Mais après 1900, l'activité est moindre. L'école ferme en 1911 avec la suppression progressive du travail de l'association. Les sites sont repris par l'administration royale de Djurgården. Jusque dans les années 60, c'est une pépinière. Les anciennes serres sont détruites et le jardin tombe en désuétude pendant de nombreuses années.
De simple jardin à café trendy
En 1982, l'intérêt pour les jardins s'éveille à nouveau, notamment à la suite d'une exposition rassemblant artistes, philosophes, écrivains et penseurs à Liljevachs. L'idée du ?jardin productif et d'agrément d'aujourd'hui? y est longuement discutée. La famille royale demande alors à Pål Borg et Lars Krantz d'élaborer un jardin s'inspirant de cette réflexion sur l'idéal horticole. Précurseurs en matière de culture biodynamique en Suède, tous deux formés au centre anthroposophique de Järna, les deux hommes pensent qu'on peut ?sauver le monde avec des carottes?. La fondation Rosendal est créée et son objectif est de susciter l'intérêt du public pour le jardinage et l'agriculture biologique, et surtout d'établir une connexion forte entre paysage, horticulture et gastronomie.
Le jardin de Rosendal reprend vie, on y cultive à nouveau fleurs et fruits, des cours de jardinage y sont dispensés, les visiteurs viennent profiter du calme et de la sérénité du lieu, à quelques pas seulement de la vie citadine trépidante.
En 1998, année de la culture à Stockholm, Ulf Nordfjell, paysagiste suédois aujourd'hui mondialement réputé, façonne les principaux traits du jardin actuel. Bordures, parterres de fleurs et haies datent de cette époque. Le jardin devient le plus grand happening de l'île. Le nombre de visiteurs explose. La même année, la boulangerie se développe, financée par des dons. La pierre du four à pain, de 16 tonnes, est mise en place et l'on construit ensuite le bâtiment de la boulangerie tout autour. Dans les fourneaux, on réhabilite le pain au levain, comme un retour aux sources intrinsèque à l'esprit du jardin. Le café devient une table appréciée et une source d'inspiration culinaire.
Le salon vert de StockholmBobos, hipsters, familles, retraités, Stockholmois et touristes, tous viennent se balader dans le "salon vert" de la ville. Rosendal n'est pas un jardin botanique à proprement parler. Il décline plusieurs identités qui attirent un large public ne se résumant pas qu'aux amateurs de botanique. Seul le verger a pour mission de préserver l'héritage historique du lieu. Aujourd'hui, Plus de 100 arbres fruitiers sont encore présents dont une multitude de pommiers, poiriers, pruniers et cerisiers. Le plus vieux pommier, un Kalvill, variété ancienne et rare, date de 1862.
Mais dans les autres parties du jardin, il n'y a pas de contrainte de culture. Le jardin peut se permettre d'expérimenter la biodynamie, cette agriculture assurant la santé du sol et des plantes pour procurer une alimentation saine aux êtres vivants. Les plantations évoluent au rythme des saisons. Le potager offre herbes aromatiques, tomates, oignons ou potirons. En été, un parterre de fleurs compte plus de 70 espèces de fleurs que les visiteurs peuvent cueillir en bouquets. Au pied de l'orangerie, aujourd'hui propriété privée, une petite roseraie a été plantée ainsi que des vignes, des cépages baltes. Tout est cultivé de manière 100 % naturelle. Et en janvier, on ferme, pour laisser la terre et les hommes se reposer.
Un pionnier de la gastronomie horticole
Abrité dans les serres datant des années 70, véritable laboratoire du vivant, le café est une sorte de ?food studio?, extrêmement prisé de nos jours. On y déguste une gastronomie horticole directement liée à la culture issue du potager, du champ à l'assiette. Tout y est succulent. Victime de son succès, les récoltes ne suffisent pas pour le restaurant et la boutique. Au coeur de l'été, 300 déjeuners peuvent être servis quotidiennement, nécessitant entre 60 et 70 têtes de laitue. Le café fait alors appel à des produits cultivés localement selon des procédés biodynamiques.
Genius loci, biodynamie et engagement
A Rosendal, on croise des personnages hauts en couleur, habités par la même foi selon laquelle générer un sol sain pour les générations futures est le seul avenir possible de l'agriculture. Humblement, ils témoignent de leurs méthodes et de leurs réflexions, cherchant à ouvrir les mentalités sans jamais tomber dans le prosélytisme.
Niklas Karlsson, chef du potager, parle de l'influence de la lune, du zodiaque, de l'importance de nourrir la terre en enterrant de la corne de vache remplie de silice ou en l'arrosant d'infusions de plantes. Il chérit ses composts, il en a plusieurs, il évoque leur ?mémoire?, la terre qui nourrit la terre. Si cela paraît étrange au premier abord, il sait vite convaincre tant il le vit profondément. ?Je ne pourrais pas travailler ailleurs, ni autrement?, convient-il.
Vivre dans le respect du temps qui passe est aussi un élément très fort de la philosophie de Rosendal. Comme le fait remarquer Malin Skiold, jardinière : ?Dans la société suédoise, on lutte contre la saisonnalité en créant des centres commerciaux ?indoors? avec plein de lumière ; on refuse de vivre avec les saisons, on travaille autant en hiver qu'en été. Mais c'est bien de laisser les saisons décider de notre rythme de travail. Il ne faut pas avoir peur de l'hiver, d'hiberner, de fonctionner au ralenti et de rentrer en soi-même.?
Tin-tin Jersild, présidente de la fondation, insiste sur toutes les sensations que le jardin procure : ?A Rosendal, c'est plein de vie. On voit les fleurs et les fruits, ça sent le pain chaud et la cannelle, on entend les oiseaux et les pas des gens dans les graviers. Chaque saison a son charme. On les voit passer.?
L'esprit du lieu attire comme un aimant. Ceux qui travaillent à Rosendal l'ont choisi. Pour eux, c'est un luxe. Ils reconnaissent qu'ils ont une connexion très forte avec le jardin. Leurs efforts combinés le façonnent tel qu'il est, beau pour les yeux, bon pour le goût et bien pour la terre. Lieu de rencontre entre les activités du café, du potager et du jardin, tout fonctionne de manière intimement liée, dans une collaboration inédite. Le succès de la fondation est une évidence. Le jardin ne désemplit pas, le café est classé dans le White guide, le guide gastronomique suédois. Parce qu'au fond, Rosendal, ce n'est pas qu'un jardin, ou une table à la mode. C'est la démonstration réussie qu'un mode de vie basé sur le développement durable peut être plaisant et agréable. Rosendal possède indéniablement la profondeur d'âme des lieux habités par de grandes idées.
Infos pratiques:
Rosendals trägården
Rosendalsvägen 38, Djurgården
http://www.rosendalstradgard.se/
Ouvert tous les jours de 11h à 17h de mai à septembre, et de 11h à 16h d'octobre à avril. Fermé en janvier.
Entrée libre.
Café Rosendals trädgård : plat du jour 125 kr ?155 kr, pâtisseries et petits sandwiches. Paiement en carte bancaire uniquement.
Anne Donguy (lepetitjournal.com/stockholm), 8 septembre 2017
Photo : Anne Donguy, Katja Halvarsson (photo potager), Rosendals trädgård @ tous droits réservés