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VERENA RAVETON – Une épicière à Singapour !

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 21 octobre 2014, mis à jour le 21 octobre 2014

Arrivée il y a 15 ans en famille à Singapour avec son mari et ses enfants, la bordelaise Verena RAVETON a choisi d'offrir à la ville la crème de la crème de l'épicerie fine à la française. Rencontre avec une passionnée qui a embarqué son mari dans l'aventure pour faire revivre à Hédiard ses heures de gloire…

Verena Raveton Hediard Singapour
Lepetitjournal.com/Singapour – Parlez-nous de votre enfance
Verena RAVETON – J'ai le souvenir de ma grand-mère passant des journées entières à la cuisine à concocter pour sa famille de merveilleux plats bien de chez nous. Foie gras de canard et d'oie en terrine ou bocaux, lamproies à la Bordelaise, confits, magrets de canard, escargots à la persillade, daube, confitures maison dans de grosses marmites où je venais récupérer avec une cuillère en bois la mousse fruitée qui se formait au-dessus… Que de souvenirs gastronomiques dans cette enfance à Bordeaux ! Mon enfance comptait également avec les plaisirs des yeux. Mes parents étaient férus d'art et meubles anciens et cet environnement m'a sans doute doucement préparée à ce goût particulier pour la beauté, le raffinement, le savoir-faire qui sont les piliers de l'industrie du luxe et de ses marques, fleurons de notre patrimoine culturel français. Après des études juridiques à la faculté de Bordeaux, je suis partie à Paris en stage dans un cabinet d'avocats et préparé le concours du CFPA. C'est là que j'ai réalisé qu'une carrière était possible dans cette industrie du luxe ; j'ai donc abandonné le concours d'avocats au profit d'un master qui me préparait aux métiers du luxe. J'ai eu la chance de rentrer chez Cartier en tant que chef de produit junior et ma carrière dans le luxe a ainsi commencé.
 
Comment l'aventure Hédiard à Singapour est-elle née ?
Mon mari Fabien et moi travaillions tous deux pour des sociétés internationales (8 ans chez Cartier de mon côté) et nous avions fait la demande de partir à l'étranger pour saisir cette chance de l'expatriation. Nous souhaitions l'Asie qui correspondait plus à nos aspirations par sa culture et son exotisme mais aussi par son développement qui allait la propulser comme zone phare du 21ème siècle. C'était fascinant d'être au cœur de tout ça ! Cartier m'a proposé de partir au Japon et Fabien a donc donné sa démission pour me suivre. Sa société a renchéri avec une proposition à Singapour pour ne pas le perdre et la personne que je devais remplacer au Japon a finalement décidé de rester à son poste. Alors, ce sera Singapore ! Nous avons débarqué en octobre 1999 avec notre fils Hugo qui avait 3 semaines sur cette île qui allait devenir notre maison ! Fabien a continué chez Pinnacle System et j'ai, de mon côté, trouvé un poste chez Chanel. Une autre bien belle maison dans laquelle je suis restée 4 merveilleuses années, au cours desquelles j'ai eu mon deuxième enfant, Antoine. Mais que de voyages pour une Maman avec deux petits garçons… ! Il y avait tous les voyages en Asie mais aussi les collections tous les deux mois à Paris. C'était très lourd d'assumer tous les rôles. Comme nous souhaitions rester à Singapour pour ses exceptionnelles conditions de vie pour élever des enfants, nous avons décidé avec Fabien de monter une société qui nous ancrerait ici. J'ai donc quitté Chanel pour faire venir la Franchise d'Hédiard à Singapour…

Pourquoi Hédiard ? L'idée était de rester dans le secteur d'activité dans lequel j'avais une légitimité : le luxe. Je connaissais la joaillerie, l'horlogerie, la mode, les accessoires, mais toutes les marques dans ces secteurs d'activité étaient déjà représentées, ou alors il aurait fallu des investissements colossaux pour se faire une place tant il y avait de concurrence… C'est là que l'idée nous est venue de faire venir une marque du secteur de la gastronomie. En effet, le "sport" national de Singapour est la cuisine et la ville, en pleine explosion économique, était donc prête à accueillir une marque de luxe de ce secteur. Etant Française, il fallait une marque française et Hédiard a tout de suite eu ma préférence car (1) son code couleur rouge est la "lucky color" de la culture chinoise, (2) la marque ne s'était jamais implantée avant à Singapour, (3) j'étais déjà attachée à Hédiard dont la boîte de pâtes de fruits constituait mon cadeau classique lors de mes dîners à Paris, (4) venant de Cartier et Chanel où les ateliers sont intégrés, j'aimais le fait que Hédiard ait sa propre usine de fabrication. Nous avons donc proposé à la marque de les représenter à Singapour.
 
Hédiard est une franchise, qu'est ce que cela implique concrètement ?
Concrètement, c'est notre société à part entière. L'investissement financier est le nôtre et nous versons des royalties sur notre CA à notre franchiseur. Nous ne pouvons distribuer que les produits Hédiard et devons respecter l'image de la maison. Une franchise est donnée sur une durée déterminée avec la possibilité de renouvellement. Nous avons déjà renouvelé notre contrat de franchise avec eux. En fait de franchise, nous sommes devenus distributeur (importateur) car, si nous avons commencé avec une boutique seulement, nous avons ensuite étendu le business sur plusieurs réseaux de distribution que sont : le café-restaurant, le site de vente en ligne, le cadeaux d'affaires, la distribution aux hôtels pour les mini-bars, la distribution en supermarchés avec Cold Storage / Market place (5 points de vente).
 
Quelles seront les retombées du rachat d'Hédiard par la société autrichienne Do&Co pour vous ?
Le rachat est une très bonne nouvelle pour la maison et pour nous. En effet, le Groupe Do&Co, coté en bourse, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 636 millions d'euros pour son exercice 2013-2014, a des épaules solides pour reprendre Hédiard. Les synergies sont évidentes puisque Do&Co est présent dans les domaines de l'hôtellerie, de la restauration et du catering avec une forte expérience industrielle et logistique. C'est ce qu'il manquait à Hédiard pour avoir le grand avenir auquel nous avons toujours cru Fabien et moi. Do&Co va investir plus de 30 millions d'euros et devrait employer entre 300 et 400 personnes en France à terme (contre 100 aujourd'hui). Tout ceci devrait se refléter dans le développement des produits mais aussi dans le développement de la marque à l'international et particulièrement en Asie, zone phare de l'industrie du luxe.

Implantés à Singapour depuis 10 ans, nous avons développé avec un faible investissement financier la marque Hédiard qui connaissait les difficultés que l'on sait. Nous avons malgré tout tenu le coup pour réaliser une année record à fin mars 2014… Maintenant que le siège se reconstruit sur des bases solides, le déploiement d'Hédiard à Singapour et en Asie est imminent.
 
Vous êtes associée avec votre mari Fabien, comment passe-t-on du statut d'employés de grande entreprise à celui de couple entrepreneur ?
Fabien n'a rejoint Hédiard Singapour qu'au bout de deux ans quand notre business s'est développé grâce, entre autre, à l'ouverture de notre café-restaurant, qui a eu beaucoup d'impact médiatique dans la mesure où nous étions les premiers à offrir un tel concept de café-boutique à Singapour. Dès le départ, cela a été une aventure familiale mais Fabien a dû rester dans la société pour laquelle il était employé pour soutenir nos débuts.

En ayant notre propre affaire, nous nous sommes offert la liberté et l'indépendance. J'étais employée dans de grosses structures avec une faible marge de manœuvre dans la prise de décision tant les impacts sur l'image de la marque pouvaient avoir de lourdes conséquences. Avec notre propre affaire, même si nous devons respecter l'image d'Hédiard, nous sommes beaucoup plus libres et nous mesurons immédiatement les résultats de nos actions, qu'elles soient marketing ou commerciales… C'est une source de grande satisfaction.
Bien entendu, le prix à payer de cette grande liberté est l'absence de sécurité et de soutien d'une grosse entreprise. Lorsque Fabien m'a rejoint à temps plein en 2007, notre "filet de sécurité" n'était plus là et c'est vrai que cela nous a donné le vertige… mais cela nous a finalement motivé d'autant plus pour doubler le CA l'année qui a suivi.

Nous avons mis en place des règles pour que notre couple ne souffre pas du fait de travailler ensemble. Nous nous interdisons de parler "affaires" à la maison et déjeunons tous les jours dans notre café pour traiter des différents sujets.

Un couple entrepreneur (société familiale) est ce qu'il peut y a voir de mieux quand cela se passe bien. Il n'y a pas de politique car l'objectif est de réussir pour soutenir la famille. J'imagine que c'est la raison pour laquelle les grands noms des entreprises françaises ont souvent démarré par une affaire familiale. Hédiard a été aussi une entreprise familiale pendant de longues années et Germaine Kussel, la petite fille de Ferdinand, est d'ailleurs celle qui a développé le célèbre panier garni Hédiard.

Fabien et moi sommes très complémentaires. Je suis en charge de la gestion du quotidien (employés, commandes, logistique, relations fournisseurs), Fabien se concentre sur la communication, le marketing et le développement de nouveaux comptes.
 
Quel est votre plus gros défi à Singapour ?
Perdurer : faire d'Hédiard une institution à Singapour. Nous sommes sur la bonne voie avec ces dix ans à Singapour que nous fêtons cette année, sachant que nous avions ouvert l'année des 150 ans de la marque (1854-2004).

Nous avons créé l'événement quand nous avons ouvert le café-boutique Hédiard et de nombreuses autres marques du même secteur d'activité ont suivi. Certaines étaient des marques étrangères déjà connues, d'autres se sont créées de toute pièce. Malgré tous ces nouveaux entrants, nous avons su garder notre position de leader sur le panier garni de luxe, cœur de notre activité. Le restaurant, comme la distribution des produits chez Market Place ou à nos clients hôtels, sont des business satellites qui nous permettent de faire du volume, élément indispensable pour le développement d'une marque de luxe dans le secteur du F&B.
 
Quelle est votre clientèle ?
Son profil dépend de l'activité. Preuve de la qualité de notre Café-Restaurant, nous avons beaucoup de Français qui viennent spécialement pour notre Croq'Ferdinand (Croque-Monsieur) devenu notre best-seller ! La clientèle japonaise apprécie beaucoup Hédiard aussi et le raffinement de son emballage cadeaux. Mais avant tout, nous avons réussi à séduire cette clientèle singapourienne locale sans laquelle notre objectif de devenir une institution ne serait pas réalisable. Hédiard est reconnu comme étant "LE" cadeau de qualité et de nombreuses entreprises font appel à nos services pour leurs cadeaux d'affaires.
 
Que ferez-vous demain ?
Nous allons continuer à développer la marque avec le soutien de Do&Co. Le fait que Do&Co acquiert Hédiard l'année des 160 ans de la marque et des 10 ans de son implantation à Singapour a une haute valeur symbolique. 2014 est l'année charnière dans laquelle Hédiard, tel le phénix, bascule dans l'aire de la renaissance. En hommage à Ferdinand, lorsqu'il a décidé d'abandonner sa charrette sur laquelle il vendait des fruits exotiques Place des Victoires à Paris pour ouvrir sa première boutique rue Notre Dame de Lorette (la Madeleine n'ouvrira qu'en 1880), Hédiard, la maison qui porte encore son nom va, avec le soutien de Do&Co, réaliser des travaux d'un montant de 6 Millions d'Euros pour rénover la boutique de la Madeleine qui deviendra le vaisseau-amiral qui portera le développement international de la marque auquel nous comptons bien participer.

Petit clin d'œil au destin, mon arrière-grand-mère, Victorine Brisson, était épicière dans un petit village de Charente à la toute fin du XIXème siècle… Son portrait devant sa boutique ne m'a pas quitté dans mon bureau chez Hédiard depuis 2004. Elle m'inspire et je ne crois pas que ce soit un hasard si je suis moi-même épicière à Singapour…

Propos recueillis par Raphaëlle CHOËL (www.lepetitjournal.com/singapour) republié le mardi 23  octobre 2014

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Publié le 21 octobre 2014, mis à jour le 21 octobre 2014

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