Avec moins de 1% de son territoire consacré à l’agriculture, on pourrait penser que ce secteur est anecdotique à Singapour. Pourtant, d’ores et déjà 26% des œufs, 14% des légumes verts, et 10% des poissons consommés à Singapour y sont produits. Le but est que 30% de la consommation alimentaire locale soit produite localement d’ici 2030. Cela est rendu possible grâce à la mise en œuvre de solutions innovantes. Cet article fait suite à celui paru la semaine dernière qui couvrait la période des plantations et le déclin de l’agriculture alimentaire après l’indépendance.
Au milieu des années 80, le lancement des parcs agro-technologiques a redonné un nouvel élan à l’agriculture singapourienne
A partir de 1986, 200 ha de terres, principalement situées dans le Nord-Ouest de Singapour, ont été progressivement allouées à l’agriculture. En plus de maximiser la récupération d’une eau de ruissellement propre pour sa consommation locale, il s’agissait de développer des techniques d’agriculture plus intensives (pour compenser la diminution de la surface agricole par des rendements supérieurs) et plus écologiques (pollution zéro et moindre énergie). Au-delà de leur contribution à une alimentation locale de qualité, ces nouvelles fermes devaient contribuer à développer des techniques nouvelles pour faire de Singapour un pôle de compétences exportables en matière d’agriculture intensive et écologique.
Dans le contexte mondial actuel, la moindre dépendance alimentaire revient à la mode
Les résultats de ces évolutions technologiques sont remarquables. Aujourd’hui, sur moins de 1% du territoire, 220 fermes produisent 14% des légumes verts, 26 % des œufs, et 10 % du poisson consommés à Singapour. Mais tous aliments confondus, la production locale ne couvre encore que 10% de la consommation locale.
La crise globale des aliments en 2007, qui s’est traduite par une augmentation de 12% des prix des produits d’importation, a conduit à une prise de conscience des dangers d’une trop grande dépendance alimentaire. Les tensions internationales, le changement climatique, et la pandémie n’ont fait que renforcer ce souci.
Pour répondre à ces défis, le gouvernement singapourien a fixé en 2019 un objectif ambitieux de couvrir localement 30% des besoins alimentaires d’ici 2030, en continuant à tirer le maximum de la technologie, en cherchant de nouveaux espaces (immeubles vacants, toits, pleine mer), en développant des talents locaux, et en encourageant les consommateurs à privilégier la production locale. C’est à cette occasion qu’a été créée la SFA (Singapore Food Agency) pour regrouper les fonctions relatives à la sécurité alimentaire (tant en termes de santé que d’approvisionnement) autrefois dispersées dans plusieurs organismes.
L’agriculture utilise toutes les technologies disponibles pour accroitre sa production dans un espace limité et dans le respect de l’environnement
Tout d’abord les cultures sont verticalisées, avec des systèmes mobiles permettant d’assurer une exposition optimale à la lumière, à l’air et à l’eau. Une attention particulière est portée à l’économie d’eau, d’énergie, et d’autres ressources naturelles. Certaines fermes recourent à l’énergie solaire, voire à l’énergie hydraulique à partir de l’eau de pluie stockée dans des réservoirs. Les déchets organiques sont transformés en compost.
Certaines fermes recourent la technique hydroponique, culture sans terre, où les racines plongent dans un liquide enrichi en sels minéraux et nutriments. Certaines vont encore plus loin, en recourant à l’aquaponie, procédé combinant agriculture et élevage de poissons, où les nutriments proviennent d’excréments de poissons ou d’autres animaux aquatiques, les plantes contribuant réciproquement à la purification de l’eau des aquariums. En plein centre de Singapour, les hôtels Fairmont Singapore et Swissôtel The Stamford ont installé sur leur toit un système d’aquaponie de 450 m2, qui devrait permet de leur fournir 30% des légumes et 10% des poissons servis à leurs restaurants.
Les coûts de production des légumes ainsi cultivés sont plus élevés que ceux cultivés selon les méthodes traditionnelles, mais les consommateurs sont prêts à les payer un peu plus cher compte tenu de leur fraicheur et de leur caractère organique.
Singapour lance l’agriculture urbaine
Après les jardins sur les toits ou les murs de immeubles, une nouvelle expérience a été entreprise l’année dernière avec l’allocation des toits de 9 parkings HDB à l’agriculture pour pallier l’exigüité de l’ile. Une ferme pilote de 1800 m2, située à Ang Mo Kio, a prouvé la faisabilité de ce type de culture. La société Citiponics y fait pousser des légumes verts chinois en utilisant un système original, qui recycle tous les résidus des cultures (zéro déchets), n’utilise que 1% de l’eau utilisée par les cultures traditionnelles, ne recourt pas aux pesticides, et ne consomme que peu d’énergie. En outre sa structure verticale permet d’augmenter le rendement par m2 de 70%.
L’aquaculture fait aussi partie de ces axes de développement souhaites par le gouvernement
L’aquaculture a souffert des mêmes problèmes que les fermes à partir des années 60. A la fin des années 60, le gouvernement a initié des études visant à produire du poisson de qualité en aquaculture intensive. Les premières études concernaient l’élevage de mérous dans des cages flottantes au large de la côte. Dans les années 70, l’intérêt s’est porte sur l’élevage des moules vertes sur des cordes suspendues a des radeaux. Au début des années 80, le gouvernement a encouragé le développement de fermes flottantes dans certaines zones du détroit de Johor, au Nord de l’ile de Singapour.
Aujourd’hui, il y a environ 120 fermes d’aquaculture, dont 90% sont flottantes. Elles produisent 4000 tonnes de poissons et crustacés par an. Les fermes marines produisent des mérous, des bars, des vivaneaux, des mulets, et des crustacés. Les fermes d’eau douce produisent des têtes de serpent, des tilapias, des poissons-chats, et des carpes. Il y a même une ferme qui produit des huitres !
La ferme SAT (Singapore Aquaculture Technology) qui occupe 300 m2 sur la côte Est de Singapore au large de Pasir Ris et qui produit 350 tonnes de bars et de vivaneaux de haute qualité par an est à la pointe de la technologie. Les poissons sont élevés dans des réservoirs et non directement dans l’eau de mer, ce qui permet de mieux contrôler le niveau d’oxygène, l’alimentation et les excréments. Des caméras et des capteurs permettent de surveiller en permanence l’état des poissons et d’anticiper les problèmes. Par exemple, un poisson qui nage selon un chemin hélicoïdal a toutes les chances d’avoir son cerveau attaqué par un virus. Par ailleurs, 50% de l’énergie utilisée par la ferme est d’origine solaire.
La production locale d’œufs va être pratiquement doublée d’ici 2026 avec la mise en place d’une quatrième ferme de production
Aujourd’hui 3 fermes produisent 620 millions d’œufs par an, soit un peu plus d’un quart de la consommation locale. La plus grosse est la ferme Seng Choon, qui produit chaque jour 600.000 œufs de 850.000 poules, grâce à des processus très automatisés (alimentation, collecte du fumier, collecte, tri, et emballage des œufs). 100 tonnes de nourriture sont préparées chaque jour, les formules dépendant du type d’œufs visé (pauvre en cholestérol, ou riche en vitamine D, en Omega 3, ou en carotène). Les poules sont strictement isolées du monde extérieur, ce qui évite l’usage d’antibiotiques.
Le premier producteur d’œufs japonais va investir plus de 100 millions de dollars pour construire une ferme de 13 ha, répartis en quatre lots. Elle produira à terme 360 millions d’œufs et 5 millions de poulets par an. Cela amènera la production locale d’œufs à la moitié de la consommation locale.
Il y a aussi une ferme produisant des œufs de caille.
A noter que la ferme Toh Thye San élève des poulets landais, directement importés de Sabres.
L’agriculture à Singapour, ce sont aussi des occasions de sortir et d’apprendre
La plupart des fermes sont ouvertes au public. En faire des attractions touristiques et des lieux d’éducation figurait d’ailleurs parmi les objectifs initiaux des parcs agro-technologiques. Le personnel se fera un plaisir de vous expliquer et démontrer les technologies employées. Vous pourrez participer à des ateliers de jardinage pour apprendre à faire pousser votre potager.
Certaines fermes proposent des ateliers spécialisés pour les enfants (par exemple, Edible Garden City). Vous pourrez aussi acheter des produits frais de la ferme. A la ferme Hay Diary, vous pourrez assister à la traite des chèvres et repartir avec un échantillon de lait. Si vous préférez le lait de vache, alors allez par exemple à la ferme Viknesh Dairy. La ferme Bollywood Veggie, comme d’autres, propose des cours de cuisine pour utiliser les produits de la ferme et comporte un restaurant, où vous pouvez les déguster. Si vous aimez le poisson, alors allez à la ferme flottante Smith Marine, qui se trouve au large de Changi, et régalez-vous à son restaurant. Enfin, vous pouvez même loger à la ferme, comme à Gardenasia. Ce ne sont que quelques exemples d’activités parmi les nombreuses fermes que compte Singapour. En outre, tous les trimestres, le marché des fermiers de Kranji (Kranji Countryide Farmer’s Market) vous attend pour vous présenter tous les produits de l’agriculture locale.