

Comment un nœud de papillon rose, né de la fantaisie des joueurs de rugby du Racing, soucieux de s'illustrer dans les règles, mais avec élégance et impertinence, est-il devenu presque 30 ans plus tard le symbole d'une marque de « casual luxe » haut de gamme ? Franck Mesnel revient sur l'histoire vraie de la construction de la marque « Eden Park », au moment même où il vivait les plus grands moments de sa carrière de joueur de rugby, en équipe de France et avec le Racing.

- Elle est née d'une formidable opportunité et d'un choix cornélien ! . A l'époque j'ai 26 ans, je suis élève en 6ème année d'architecture aux Beaux Arts . Doué pour le dessin et la décoration, je m'interroge pourtant sur mon futur métier. Egalement passionné par le pilotage et fasciné par les hélicoptères , en particulier, je ne résiste pourtant pas, à l'envie de relever un challenge sportif incroyable : celui d'essayer de jouer au rugby au plus haut , à savoir en première division et pourquoi pas plus haut, si d'aventure ….
Vous finissez par choisir le rugby. Pourquoi le Racing ?
- Parce que je trouvais que les couleurs du maillot du Racing, rayé bleu ciel et blanc, étaient plus élégantes que celles du PUC, l'autre club parisien. C'étaient aussi les mêmes couleurs que celles de Cambridge ou de l'équipe d'Argentine. Le positionnement de ce Club, son prestige historique et ce qu'il représentait d'un point de vue éducatif m'ont définitivement décidés .
Le rugby, à cette époque, était-il un sport professionnel ?
- A l'époque, le rugby était entre deux eaux. Au Racing nous étions dans une situation privilégiée car comme dans tous les clubs de première division, nous bénéficiions de frais non négligeables. Nous avons vécus toutes ces années comme des patachons, animés par un soupçon d'impertinence, la folie des étudiants et une créativité qui nous poussait loin, parfois même jusqu'à sauter des ponts de Paris dans la Seine juste parce que nous étions chez nous! Ce décalage et cette spontanéité étaient retranscris dans notre manière de jouer.
Un jour, lors d'un match contre Bayonne, nous avons eu l'idée de jouer le match en portant des bérets. C'était de la gentille provocation. Nous pensions que les basques allaient nous les arracher pour se les visser sur la tête. Il n'en fut rien et cette artifice transformé en motivation ultime nous permis de gagner cette rencontre et de commencer à bâtir ce qui allait devenir la petite légende d'un grand état d'esprit : « La rigueur dans la Fantaisie » .
Dans la planète rugby de l'époque, que représentait le fait d'être parisien ?
- A l'époque, Paris c'était un gros mot. Quand nous affrontions Toulon au stade de Colombes, il y avait plus de supporters toulonnais dans les tribunes que de parisiens. C'était une relation sur le mode « je t'aime moi non plus ». Lorsque nous nous déplacions en province, on attendait de nous que nous multiplions les facéties. Un jour c'était les chaussures peintes en doré. Un autre, on jouait tous le visage maquillé en noir, en hommage à Momo notre copain ghanéen. Les dirigeants et les institutions, au début réfractaires à notre insolence, comprirent assez vite que notre approche originale de la compétition participait activement à la modernisation et à la notoriété de notre sport : le Rugby .
Comment conciliez-vous cette fantaisie avec le jeu sur le terrain?
- La peur du ridicule est un moteur intéressant. C'est un principe d'émulation spontanée. Car une chose est de faire des facéties, une autre est de tenir son poste. Un avocat peut mettre un nez rouge pour faire une plaidoirie. Ensuite, il a intérêt à être très bon. La prise de risque et la culture du « french flair » transmises par nos ainés étaient notre carburant .
- En mai 1987 à 24 heures de la finale du championnat de France au Parc des Princes, nous nous sommes retrouvés avec une certaine pression. La presse en général et Pierre Salviac en particulier nous attendaient au tournant. Des caméras partout étaient prévues pour anticiper notre imagination. Nous nous sommes alors dit que jouer tout le match avec un vrai nœud papillon pour célébrer ce moment unique de notre vie, serait le joli symbole de cette élégance que nous défendions. Ce nœud serait éclairci grâce à notre mascotte la panthère rose. et cette couleur ajouterait naturellement la touche de fantaisie qui nous animait par ailleurs .
Ce jour là nous avons perdu la finale contre Toulon , mais notre style de jeu a fait basculer le Parc des Princes dans un véritable enthousiasme général. Dans la foulée, je suis parti avec l'équipe de France où nous sommes allés, à nouveau, jusqu'en finale contre la Nouvelle Zélande, match joué sur la fameuse pelouse de l'Eden Park. Quand je suis rentré en France, le nœud papillon rose avait fait le tour des médias . Tout le monde en parlait. C'était extraordinaire et le phénomène nous dépassait à tel point qu'Eddy Barclay décida de nous transformer en boys band ! Il nous propulsa 50 fois à la télévision pour défendre notre philosophie en chantant et dansant .
Comment êtes-vous parvenu à capitaliser sur ce buzz pour créer Eden Park ?
- J'avais eu l'opportunité entre temps d'intégrer l'agence RSCG dans laquelle j'ai travaillé un certain temps mais avec la difficulté de concilier les exigences de l'entrainement, le soir, à Colombes avec les horaires décalés des gens de la publicité. J'ai évoqué avec Alain Cayzac ( le C de RSCG ) notre idée de faire quelque chose de ce nœud papillon rose dans le domaine de la mode. Sa réponse, qui s'est avérée extrêmement judicieuse, a été de nous dire, à Eric Blanc et à moi : « ce petit nœud c'est peut-être une bonne idée, mais il faut commencer par la mettre de coté, penser d'abord au produit que vous voulez faire, à votre positionnement... et ensuite à sa communication ».
Nous avons choisi le nom d'Eden Park parce que nous voulions nous inscrire dans l'environnement large du rugby international . Nous avons défini pour la marque un positionnement haut de gamme qui nous a permis de venir en complément de marques institutionnelles comme Hugo Boss ou Ralf Lauren. Nous avons mis l'accent sur la qualité. L'idée c'était d'aller au delà de l'effet « sympa ». Nous savions que nous pouvions compter au départ sur tous ceux qui nous suivaient par amitié. L'objectif c'était de faire revenir ces clients spontanément. Ce choix de la qualité est au cœur de la marque, c'est l'assurance de la pérennité d'Eden park .
Comment la marque Eden Park s'est-elle développée ?
- L'aventure Eden Park s'est déroulée en même temps que ma carrière en équipe de France pendant 10 ans. Nous avons beaucoup été aidés par le soutien de la presse, qui, lorsqu'elle nous interviewait, n'oubliait jamais de parler de la marque.
Eden Park est aujourd'hui distribuée dans 34 pays. En Asie, nous avons démarré à Taiwan avec un partenaire. Avec ce même partenaire, nous avons créé une Joint Venture pour nous déployer en Chine. Nous avons aujourd'hui 7 flagships en Chine, qui présentent au mieux la marque. Nous ambitionnons de porter ce chiffre à 30 dans les trois ans à venir, puis de nous déployer ensuite sous différentes formes de distribution.
En Asie du sud Est, grâce au support de Michel Beaugier et de May Tan, du groupe M2 Management, nous avons ouvert 2 boutiques aux Philippines. A Singapour, nous sommes en réflexion avec Robinsons. Singapour devrait à partir de 2016 devenir pays hôte d'une des étapes de la coupe du monde de Rugby à 7. Nous voudrions profiter de cet événement pour lancer la marque. Singapour mérite qu'on y installe un beau magasin qui soit un flagship de la marque.
Le Rugby à 7 est-il beaucoup pratiqué en Asie ?
- En Asie, le rugby à 7 est en plein développement. Se jouant à 7 sur le même terrain que le rugby à 15, il est beaucoup plus spectaculaire, mobile et exige des qualités athlétiques différentes qui conviennent mieux au gabarit des joueurs asiatiques. Je suis persuadé par ailleurs que le retour du rugby à 7 aux jeux olympiques de Rio , mais aussi l'avènement du rugby à 7 féminin participeront avec efficacité à la notoriété grandissante du rugby à 15.
Etes-vous présent en Australie et en Nouvelle Zélande ?
- Nous ne sommes pas présents en Nouvelle Zélande pour des raisons juridiques. Quand j'ai lancé Eden Park, je suis allé demander aux responsables de l'Eden Park board qui gère le stade d'auckland en Nouvelle Zélande, l'autorisation d'utiliser ce nom pour ma marque à l'international. Ils me l'ont accordée sans difficulté. 10 ans plus tard je suis revenu avec la demande de renouvellement po, ils l'ont refusé. Pas très sport !! C'est dommage par rapport à l'histoire que nous avons avec ce pays . La marque Eden Park existe en Australie, en Afrique du sud et, globalement, dans tous les territoires du Rugby, .
Comment 30 années après les débuts de l'entreprise entretenez vous l'impertinence et la créativité des débuts ?
- C'est une manière de vivre, une vraie philosophie. Il faut être très organisé pour s'autoriser le luxe d'un décalage impertinent, aussi bien en mode qu'en communication. C'est quelque chose que j'ai appris dans le sport de haut niveau : je n'ai jamais été aussi lucide sur la gestion d'un match que quand j'étais ultra préparé physiquement.
Les asiatiques sont-ils sensibles à ce caractère créatif-impertinent de la marque ?
- Oui. Je pense que les asiatiques qui sont de grands techniciens s'intéressent et sont même attirés par ce qui n'est pas contrôlable et ce charme à la française. J'ai participé à de nombreuses réunions auxquelles assistaient les présidents de grandes sociétés. Ils sont rarement actifs dans la discussion quand il s'agit de parler des aspects techniques et économiques qu'ils maîtrisent. Je les voie invariablement s'animer quand on commence à parler du nœud papillon rose, de cette philosophie du décalage, de notre différence et du côté unique de la marque.
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Papillons du ciel. ![]() |
Qu'est-ce que le rugby a apporté dans votre style de management ?
-Je pense que le rugby m'a apporté une capacité à apprécier les qualités de chacun. On se heurte en permanence à des préjugés énormes. Dans l'univers du rugby, il y a des taiseux, qui n'aiment pas s'exprimer devant les journalistes, et qui sur le terrain vous font ces passes décisives qui permettent d'aller à l'essai. Parce qu'ils sont taiseux ou moins à l'aise, ils n'attirent pas les caméras. C'est important que ceux qui brillent les mettent à leur tour aussi en avant et en valeur. C'est la même chose pour Eden Park, il y a les activités qui brillent, le marketing, la décoration…, et puis il y a toutes les fonctions supports qui méritent une grande reconnaissance . Je suis toujours un sportif de haut niveau dans l'âme, je suis sans doute trop exigeant avec mon entourage et devrais davantage reconnaître les talents et en parler .Ils sont nombreux chez Eden Park .
Y-a-t-il beaucoup d'anciens sportifs qui travaillent pour Eden Park ?
-Je suis fatalement attiré par ceux et celles qui ont une expérience sportive, car plus que d'autres, ils ont le gout de l'effort et même celui parfois de la souffrance. Ce sont des gens qui savent apprécier et recevoir, qui ont le goût de l'excellence. Rassurez-vous, certains qui ne courent pas, ont également ces vertus et qualités souvent liées dans ce cas, à leur éducation. Je ne peux comprendre le manque de motivation ou l'usure rapide mais je dois à ce moment là réfléchir et reconnaître que mon statut d'actionnaire, qui ne m'autorise aucun laisser aller, doit cependant me faire prendre conscience des objectifs différents de certaines personnes dans l'entreprise. Je dois néanmoins rester leur leader de terrain et ça… j'y tiens beaucoup.
Nous parlions tout à l'heure, des voyages et des nuits sans sommeil quand on gère une entreprise. Cette notion de résistance physique est-elle selon vous quelque chose d'important dans les affaires ?
- Oui je me situe aux antipodes de la formule de Churchill, qui indiquait, comme un pied de nez, que sa forme physique était due au fait qu'il n'avait jamais fait de sport. Je pense que l'aide du sport à la performance est indéniable. C'est important de s'arrêter pour aller faire un tour de pâté de maison en marchant. Quand je le fais, il est rare que je ne revienne pas avec une idée. Il faut absolument s'oxygéner le corps et l'esprit, j'en suis convaincu .
Je suis un fou furieux des processus et des méthodes. Ils donnent toute la dimension et magnifient les touches de fantaisie qui doivent animer une démarche professionnelle quelle qu'elle soit, surtout quand on est dans une activité créative. Le coup de génie passe par l'adaptation. Il faut être en adéquation avec le reste de l'équipe. En rugby, celui qui fait une sortie doit être supporté par les autres joueurs pour réussir. Chez les All Blacks, c'est intéressant de noter que celui qui prend l'initiative n'est jamais blâmable ; c'est aux autres de s'adapter pour venir en soutien. S'ils ne le font pas, ce sont eux qui sont blâmables. En France, c'est moins évident.
Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) lundi 22 juin 2015
















