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RENCONTRE - "Tatsumi", un Khoo de maître

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 13 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

 

A l'occasion du South East Asia Film Festival qui se tient actuellement au Singapore Art Museum jusqu'à la fin du mois de mars, le dernier long-métrage d'Eric Khoo, "Tatsumi", est à l'affiche*. Rencontre avec ce réalisateur hors du commun

Pour qui ne connaîtrait pas Eric Khoo, une présentation s'impose. En n'abordant que sa carrière de cinéaste (parce qu'il est aussi scénariste, producteur, illustrateur), il est le réalisateur de cinq longs métrages. Il commence avec "Mee Pok Man" (1995), enchaîne avec "12 Storeys" (1997), obtient la consécration avec "Be With Me" (2005) qu'il confirme avec "My Magic" (2008). "Tatsumi" (2011), le dernier en date, est une exception dans son parcours. En effet, les quatre premiers longs métrages gravitent, peu ou prou, autour des thèmes de l'amour et de la solitude. Eric Khoo n'est jamais complaisant dans sa manière d'aborder ses histoires, ce qui le classe en-dehors du cinéma de divertissement. L'image est traitée selon un principe très naturaliste, la photographie est soignée mais donne une tonalité crue à son propos. C'est un cinéma qui interroge le spectateur sur la société singapourienne, les us et coutumes de chacun en matière d'amour (possible/impossible) et le statut social que cela lui donne aux regards de ces concitoyens. Du coup, pas étonnant de voir si peu d'enthousiasme autour de la sortie des films du réalisateur, car le public de la Cité-État lui préfère les grandes productions américaines ou chinoises. Eric Khoo reconnaît que ses films font, en moyenne, 15.000 entrées ; c'est effectivement plus que confidentiel. Mais, sa satisfaction vient de ce que ses films rencontrent plus de succès à l'étranger. Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Eric Khoo est un des représentants (sinon le représentant) du cinéma singapourien hors de ses frontières alors même qu'il peine à se faire une place dans les cineplex de l'île. Le Festival de Cannes l'a pourtant accueilli plusieurs fois, en sélection officielle ("My Magic"), dans la Quinzaine des Réalisateurs ("Be With Me"), dans Un Certain Regard ("12 Storeys" et "Tatsumi").

Un hommage au créateur du gegika

Pour réaliser "Tatsumi", Eric Khoo a dû remplir deux conditions. La première, ne pas tomber dans le film hommage du fan à son maître : depuis près de vingt-cinq ans, il ne rate pas une des ?uvres traduites de Yoshihiro Tatsumi. La seconde, lutter contre son impatience naturelle qui l'a souvent conduit à réaliser ses films en très peu de temps, avec des équipes très réduites : "My Magic" avait été tourné en neuf jours, "Mee Pok Man" en dix-huit. L'animation nécessite évidemment un temps de réalisation beaucoup plus long, près de huit mois pour parvenir au résultat final. Un record pour Eric Khoo ! Ce qui lui fait dire qu'on ne l'y reprendra pas...

Depuis la fin des années 1950, Yoshihiro Tatsumi publie une forme de manga pour adulte dont il est l'inventeur, le gegika. Le récit privilégie le traitement dramatique à un aspect plutôt axé sur le divertissement. Près de trente ans plus tard, Eric Khoo découvre l'?uvre du dessinateur japonais. Lui qui s'est nourri de tous les comics américains reste subjugué par la force qui se dégage des dessins de Tatsumi. Entre temps, le lecteur est devenu réalisateur et, depuis six ans, le projet de réaliser un film sur Tatsumi le taraude. Mais, ce serait un film d'animation. Et là encore, pour le public singapourien, il ne prend pas la voie la plus simple. Existe-t-il une vie en-dehors des Pixar et DreamWorks sur l'île ? Et puis, l'animation, ce n'est pas vraiment sa spécialité. Pour le thème, les deux univers sont très proches, avec des échos dans les deux cultures. C'est un long processus qui s'engage pour dégager un scénario, un storyboard, s'entourer d'une équipe (dirigée par Phil Mitchell) pour mettre en mouvement les dessins de Yoshihiro Tatsumi. Le film s'inspire de la biographie du dessinateur, Une Vie dans les marges (parue aux éditions Cornélius), dans laquelle il insère cinq récits du maître : "L'Enfer", "Good Bye", "Monkey mon amour", "Occupé" et "Juste un homme". A travers ceux-ci, un demi-siècle d'histoire japonaise, souvent noire, cruelle ou désespérée, se dessine.

Au final, un résultat atypique, inattendu ! Tant mieux me direz-vous ! En cette année qui voit triompher un film muet aux quatre coins de notre planète, on ne peut que s'enthousiasmer pour un film qui choisit délibérément une esthétique très éloignée des studios hollywoodiens de façon à mettre en avant une plus grande poésie.

Propos recueillis par Olivier Massis (www.lepetitjournal.com-Singapour) mardi 13 mars 2012

*Dernière minute : La projection de "Tatsumi" le samedi 24 mars à 16h30 est sold out.


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Publié le 13 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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