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MUSIQUE - Le Quatuor TANA, ou comment apprivoiser magistralement le répertoire contemporain

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Quatuor Tana - crédit Photo: Nicolas Draps
Écrit par Michèle Thorel
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 23 avril 2017

Dans le cadre du Festival Voilah!, le quatuor TANTA donnait un concert le 19 avril au Chiâmes Hall. Virtuosité transcendante, fougue passionnelle, coordination magique? ou comment apprivoiser magistralement le répertoire contemporain.

 

Né en 2010, le quatuor Tana se compose de deux violons (Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun), un alto (Maxime Desert) et un violoncelle (Jeanne Maisonhaute). Tous issus du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, ils se sont cependant retrouvés au Conservatoire de Bruxelles, où ils étaient partis en spécialisation. Ils sont tous restés à Bruxelles, la vie y est pleine et douce et l'ouverture d'esprit du public est incroyable, nous disent-ils!

La genèse du nom Tana: une magnifique histoire. Antoine Maisonhaute raconte: « Tana, c'est le diminutif d'Antananarivo, la capitale de Madagascar.  En 2004, Jeanne et moi, alors grands étudiants, y sommes partis pour donner un concert caritatif pour des orphelins. L'expérience fut bouleversante. Nous avons décidé de ramener quelque chose pour toujours de là-bas. Et pour l'anecdote, il y a quatre lettres dans Tana dont deux identiques, comme il y a quatre instruments dans un quatuor dont deux violons? »

Lauréats de multiples concours internationaux à titre personnel puis avec le quatuor (Verbier Festival Academy 2012, Octaves de la Musique 2013, Festival d'Aix-en-Provence: académie européenne de musique 2013?), ils donnent plus de 70 concerts par an dans le monde entier, de Stockholm à Bogota, en passant par Barcelone, Shanghai, Casablanca, Hanoi, Varsovie, Singapour, Liège, Lille? Ils donnent également des Master Classes sur le travail, la recherche et l'interprétation d'une partition contemporaine. Rendez-vous est pris avec le conservatoire de Singapour, où professeurs et élèves ont été grandement impressionnés par leur effusion de vitalité, les techniques nouvelles et les horizons ouverts grâce à leur témérité, leur curiosité, leur passion et leur talent.

La musique contemporaine semble, de prime abord, n'être qu'un chaos sonore, souvent inconfortable, voire désagréable à entendre. Mais cet apparent chaos est pensé, conçu dans une dynamique d'énergie, d'élan, de vibrations. Pour les obtenir, les musiciens développent des techniques tout à fait nouvelles qui, curieusement, leur permettent d'améliorer la richesse et la profondeur de la sonorité dans les oeuvres classiques. Attention! Il y a 1 heure de gammes par jour, suivie de 4 à 6 heures de travail en groupe ou sous-groupe, pour parachever ce ?chaos?, tout de même!

Antoine Maisonhaute, 1er violon et fondateur de l'ensemble, nous explique l'essence de leur art : « il s'agit d'un travail de recherche sur le son, le timbre, la résonnance; plus du tout sur la mélodie et l'harmonie. Une ?uvre contemporaine n'obéit à aucune règle de construction, d'enchainement harmonique, de structure, comme toutes les courants musicaux depuis la Renaissance. Rien n'est prévisible, plus de cadence parfaite ponctuant la fin d'une phrase musicale? Du coup, la liberté des interprètes est immense, voire totale, d'autant plus qu'ils font évoluer l'?uvre avec le compositeur à leurs côtés bien souvent: c'est presque une création solidaire! La barrière du ?style?, du tempo imposé, des attaques, se transforme en intention vibratoire. Tout est dans le flot (the flow? si langoureux en anglais!); le sens musical est donné par un flot d'énergie ».

Il faut les voir pour y croire! Par amour de la Musique dans sa forme pure, essentielle et primitive, leur art consiste à décloisonner les formes et codes musicaux établis. Leur répertoire est donc résolument contemporain, même s'ils se régalent à jouer parfois Mozart, Beethoven, Brahms, Debussy?

Il faut tout de même amadouer le public avec doigté. Le rassurer avec Debussy, aérien, volubile, passionnel, fougueux, langoureux, angélique: merveilleuse interprétation du quatuor en sol mineur, opus 10?

? Avant de proposer Aracne d'Hector Parra, compositeur catalan qui a fait évoluer son ?uvre d'après les interprétations du quatuor Tana. Évoquant la lutte entre une araignée et une déesse mythologique, la seconde partie est? ébouriffante. Les quatre musiciens poussent et tirent leur archet sur une 5ème corde: un fil de soie attaché près de l'âme de leur instrument, qu'ils tiennent plus ou moins tendu, plus ou moins près de l'instrument, avec leur main gauche. Les sons obtenus sont infiniment divers: chant d'oiseau, essaim d'abeilles, porte qui claque, roulement de tonnerre, bruissement du vent dans les arbres, grincement de scie, galop de cheval?

Poursuivre avec le 4ème quatuor de Bartók, qui semble presque ?trop? classique!... Avant de clore dans le recueillement méditatif qu'inspire Fratres d'Avro Pärt, compositeur contemporain estonien. Il y a des notes, un semblant de mélodie ici. Le tempo lent, solennel et le rythme basique, répétitif, sont soutenus de façon quasi subliminale par le jeu du 2ème violon: pendant les 9 minutes que dure l'?uvre, il ne joue qu'un accord de quinte (sol-ré), sur les cordes à vide, non stop, poussant puis tirant son archet avec une régularité implacablement immuable, marquant quelques rares nuances en phase avec celles des trois autres. Concentration extrême exténuante et bras droit (archet) tétanisé garanti! Terminer par une pièce qui signifie ?psaume? dans une ancienne chapelle, c'est suprêmement choisi.

Le quatuor Tana nous a surpris, dérangés parfois, amusés, impressionnés et surtout subjugués par l'âme qui se dégage de leur jeu, l'intensité de leur complicité technique et artistique et la passion qu'ils nous transmettent pour la Musique, avec un M majuscule. Une musique qu'il faut appréhender en ?live? pour en saisir la puissance. Difficile d'accrocher sur un CD. On peut se demander comment cette forme musicale résistera au temps. Comme dit Antoine, « l'Histoire fera le tri ; Le Sacre du Printemps de Stravinsky fut fustigé, vilipendé, haï, lors de sa sortie. Trop iconoclaste, dérangeant, strident, pompier, ? les adjectifs les plus monstrueux ont été proférés pour le qualifier. Aujourd'hui, c'est considéré comme une ?uvre maîtresse ».

Le quatuor Tana a fait véritablement honneur au festival Voilah!

Une découverte admirable, une expérience indélébile.

(c) 2015 éditions Jobert - Quatuor TANA

 

Michèle Thorel, www.lepetitjournal.com/singapour, lundi 24 avril 2017

 

https://www.quatuortana.net et Facebook

 

Michele
Publié le 23 avril 2017, mis à jour le 23 avril 2017

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