Édition internationale

L'ASIE VUE DE VESOUL - Martine et Jean Marc Thérouanne, créateurs du festival des cinémas d'Asie

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 22 février 2015

Pour les amoureux de l'Asie, de toute l'Asie, le festival international des cinémas d'Asie de Vesoul, créé en 1994 par Martine et Jean-Marc Thérouanne, un couple d'enseignants passionnés et toujours à la barre vingt et un an après, est un rendez-vous à ne pas manquer.

Pouvez-vous nous raconter comment est né ce festival ?
Martine Thérouanne: J'étais présidente de l'association des cinéphiles de Vesoul que je fréquentais depuis l'âge de 16 ans. En 1994, pour le centenaire du cinéma  - les frères Lumière sont originaires de notre région ? nous avons voulu organiser un festival et, comme j'avais sillonné sac au dos la région pendant 25 ans, l'idée de l'Asie est venue tout naturellement.

Jean-Marc Thérouanne: Mon père magistrat cinéphile nous avait emmenés vivre en Guyane, Martinique et  Guadeloupe. A 11 ans, il m'avait fait découvrir le cinéma japonais dans une petite salle au bord de la mer, à Basse terre. Rentré en France dans les années 70,  j'ai été fasciné par Bruce Lee au point de faire treize ans de karaté. Plus tard, au quartier latin,  j'allais voir tous les films asiatiques. Mon premier voyage en Asie, ce fut Paris Istanbul en auto stop en traversant le rideau de fer.  J'ai rencontré ma femme  sur une plage de Thaïlande à Koh Samui. Nous nous sommes mariés et nous avons eu ensemble deux enfants et un festival.

Comment l'avez-vous fait grandir ?
MT : On a commencé avec 12 films, 4 intervenants et 1500 spectateurs. Puis on a créé l'association du festival et commencé à concevoir des sections et faire appel à un jury international. Le premier président du jury a été l'iranien Rafi Pitts. On a créé progressivement d'autres jurys: international,   jeune, netpac (network for the promotion of asian cinema), Guimet, Inalco, lycéen, presse.  Petit à petit, on a créé un réseau et le festival s'est étoffé. 

Aujourd'hui on voit 500 films par an et on fréquente assidument les festivals dans le monde entier pour en projeter une centaine. Il y a toujours une section « Visages des cinémas d'Asie contemporain » essentiellement composée de films en compétition et qui présente le jeune cinéma en mouvement. Il n'est pas rare que nous projetions le 3e ou 4e film de réalisateurs qui ont présenté à Vesoul leur premier film. Le festival propose aussi des documentaires et on fait un clin d'?il à la japanimation parce qu'on cherche à attirer un public qui va de 3 à 103 ans. On rend aussi régulièrement hommage à un grand cinéaste en sa présence. Cette année c'était le chinois Wang Chao.  Les grands cinéastes aiment venir rencontrer le public en direct.

 FESTIVAL INTERNATIONAL DES CINEMAS D'ASIE DE VESOUL

Pendant une semaine (du 10 au 17 février cette année),  Vesoul,  petite ville de 17 000 habitants au c?ur de la Franche-Comté et à une heure et demie de l'aéroport international de Mulhouse Bâle, devient la capitale européenne du cinéma asiatique et le Majestic, son cinéma multisalles, un théâtre d'émotions, où se côtoient et débattent réalisateurs asiatiques et public francophone.  

Un long weekend dans ces salles obscures permet de s'immerger dans la diversité des cultures et des sociétés puisque l'Asie dont il s'agit, définie par la géographie, va du Proche-Orient à la Corée, en passant par l'Inde, l'Asie centrale et l'Asie du Sud-est sans oublier l'Iran et même Israël.

Enfoncé dans son large fauteuil rouge, on se frotte à l'intime comme au politique, au thriller comme au portrait. On rêve devant les paysages urbains, les déserts ou les bras de rivières. De Shenyang, ville glacée du Nord-est de la Chine avec Black Coal de Diao Yi'nan aux impasses de Hong Kong en pleine tourmente boursière avec La Vie sans principe de Johnnie To, des steppes  désertiques du Kirghistan avec Kurai Kurai aux humides marais philippins du très beau film Bwaya de Francis Xavier Pasion qui a remporté le Cyclo d'or cette année. 

Une invitatiion au voyage et à des rencontres à travers 90 films,  dont une rétrospective de 50 ans de cinéma chinois, une section thématique «tenir en haleine », un focus sur le nouveau cinéma iranien et une rétrospective inédite du cinéma laotien et bien sûr  la traditionnelle double compétition ? longs métrages et documentaires -.

Anne Garrigue

JMT : On change de thème chaque année et on se décide mûrement très en amont.  On a choisi le thème « tenir en haleine » cette année pour montrer que le cinéma asiatique n'est pas qu'un cinéma statique, lent avec des plans fixes. On donne à voir un cinéma d'action, d'espionnage, des thrillers, du politique, du cinéma d'intrigue. L'année dernière, c'était « avoir 20 ans »,  l'année d'avant « sur les routes d'Asie ». L'année prochaine, on hésite encore entre trois thèmes : « être minoritaire », « entre orient et occident » et « l'approche du temps » ?

A qui vous adressez vous?
JMT - Comme dans tous les festivals, 80%  des spectateurs viennent de 100 kilomètres autour de la ville et 20% de beaucoup plus loin. Le soir et les weekends, le public se diversifie ; en semaine et en journé,  ce sont plutôt des scolaires et des retraités.   

Qui vous soutient?
JMT - Comme nous sommes le plus ancien et le plus important festival des cinémas asiatiques en Europe, le CNC - centre national cinématographique ? nous considère comme un des quatre principaux  festivals de cinéma français et nous soutient. La pierre angulaire de notre financement  est la communauté d'agglomérations de Vesoul - 35% du budget - suivi par le Centre national de la cinématographie - 15%-, la région de Franche comté - 10%- . il y a aussi  des soutiens   ponctuels  comme le  cinquantenaire des relations diplomatiques avec la Chine et des sponsors privés - 10% - Tout le reste c'est le public.

MT - Il faut préciser que toute l'équipe sauf une  personne est bénévole, y compris nous-mêmes. C'est notre force parce qu'on est à l'abri des pressions. On n'a pas d'argent mais on a la liberté.

Vous parlez ouvertement de votre politique de défendre certains auteurs qui ne peuvent pas être diffusés chez eux?
JMT - Nous défendons la liberté d'expression des auteurs
MT - Mais ce n'est jamais le critère premier, ni le seul et c'est toujours mûrement réfléchi. On peut aussi aider des gens sans le dire pour ne pas les mettre en danger.

Vous faite partie du soft power asiatique. Est-ce que vous êtes bien perçus par les ambassades ?
MT - C'est fort variable selon les pays et les années.  L'ambassade de Chine est présente à l'ouverture et à la clôture, mais aussi le bureau de représentation de Taipeh. On s'est arrangé pour qu'ils n'arrivent pas le même jour.   

Est-ce que vous avez un message?
MT - Par le cinéma, on fait passer beaucoup plus de choses que par des déclarations politiques. L'impact est  plus fort et plus durable. Nous avons été enseignants tous les deux et nous voulons montrer qu'en présentant aux différents publics des cultures qu'ils ne connaissent pas, on fait tomber des préjugés, on lutte  contre le racisme et surtout, on développe la curiosité. C'est notre mot clé.   
JMT - Je dis toujours : la culture, c'est comme un sachet de thé dans l'eau chaude qui parfume  par infusion et diffusion, tout en douceur. L'impact de notre action, j'en veux pour exemple le fait que beaucoup de nos anciens jurys lycéens sont aujourd'hui dans l'équipe bénévole du festival.
MT - Une section de chinois a même été créée dans le lycée où j'étais documentaliste.

Avec vingt ans de recul, voyez-vous une évolution de l'accueil du cinéma asiatique en France? Observez-vous une progression du soft power à l'égal de la progression économique ?  
MT - Je ne pense pas. Le nombre d'écrans est limité en France. Même si un distributeur a le courage d'acheter un film, il a du mal à trouver une salle qui va accepter de le projeter

JMT - Selon les chiffres officiels du Box office français repris dans la revue du Film français,  le film asiatique qui a eu la plus belle carrière en France reste le film iranien La séparation qui a dépassé le million d'entrées. Après il y a eu Snowpiercer du coréen Bong joon-ho qui a fait 600 000  entrées mais est-il encore réellement asiatique parce que la distribution était internationale ?  Selon les résultats du Box-office, le cinéma américain représente 55% des entrées en France, le cinéma français 35%. Il reste 10% pour les autres : 5 à 6% pour le cinéma européen, 2% pour le cinéma sud-américain et 2% pour le cinéma asiatique.  Le Japon est un cas à part il a toujours été bien distribué depuis le choc du lion d'or avec le film d'Akira Kurosawa en 1950. Pour les autres, une mode chasse l'autre : après les Iraniens, Bollywood puis le polar indien?. .    

Revenons sur votre région. Faire un festival à Vesoul, est-ce un handicap, un avantage ?
 JMT - Les Asiatiques adorent Vesoul. Ils trouvent la France très romantique. Quand j'accompagne des Philippins dans la maison de l'ancien  ambassadeur de Charles Quint, ils me demandent si nous avons été espagnols comme eux et ils ont l'impression d'être à Manille. Ils sont touchés par la gastronomie, le vin, la gentillesse d'accueil. 

MT - En France, on a tendance à penser que quand on habite une grande ville on est plus intelligent et plus cultivé. Nous mettons toute notre énergie à prouver le contraire. A Vesoul, les artistes viennent à nous et nous avons un théâtre trois fois moins cher qu'à Paris où nous nous déplaçons souvent pour des expositions et des spectacles. Comme la vie est moins chère en province, on peut se permettre pas mal de choses

JMT - Quand on vit en province, on attrape tout ce qui passe et on élargit son champ culturel puisqu'on est obligé de composer alors qu'à Paris, on a tendance à s'enfermer dans un quartier, une profession, une strate sociologique. De toute façon, dans un monde globalisé, le centre du monde est partout et puisque Vesoul est  tout près de l'aéroport de Mulhouse Bâle, proche de l'Allemagne de la Suisse,  à quatre heures de Milan, c'est une très bonne plate forme?

Anne Garrigue (www.lepetitjournal.com/singapour) lundi 23 février 2015

La série L'ASIE VUE DE FRANCE s'inscrit dans une logique de dialogue entre l'Asie telle que la découvrent ceux qui y vivent et celle qui est donnée à découvrir à ceux qui, en France, ont aimé, aiment ou sont attirés par l'Asie.  Après un séjour de plus de 20 ans en Asie - au Japon, en Chine et à Singapour-, Anne Garrigue, journaliste et écrivain, est de retour à Paris. Elle propose de partager ses coups de coeur et de rendre compte, pour les lecteurs du petitjournal.com, de ce qui, en France,parle de l'Asie. Des Musées et expositions consacrés à l'Asie, jusqu'au festival de Singapour en France à venir.

*Snowpiercer, le Transperceneige   est un film de science-fiction américano-franco-sud-coréen écrit et réalisé par Bong Joon-ho, sorti en 2013. Inspiré de la bande dessinée française Le Transperceneige, c'est le premier long-métrage en anglais du réalisateur, soit à peu près 15 % en coréen et 85 % en anglais.

logofbsingapour
Publié le 22 février 2015, mis à jour le 22 février 2015
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