Suite de notre chronique d'une pièce annoncée : « Darwin, fallait-il le tuer ? » est une pièce de théâtre dont le petit journal de Singapour vous propose de suivre le processus de création, du montage jusqu'à la première du spectacle en septembre 2017. Après le travail d'écriture, l'auteur, Guillaume Jest, lève le voile sur le thème de la pièce, sans en dévoiler l'intrigue.
Grand voyageur, passionné de lectures, Guillaume Jest vit en Asie depuis près de vingt ans. C'est sans doute dans son enfance, sur les traces de son père ethnologue, spécialisé dans les populations des hauts plateaux de l'Himalaya, que la passion de Guillaume Jest pour les découvertes et son regard sur les différentes cultures a pu naitre.
Après la publication de sa première nouvelle, le Coq au vin[i], dialogue imaginaire entre le général de Gaulle et Jean Monnet autour de crise européenne en 2013, il décide de se lancer dans l'écriture d'une pièce de théâtre.
Après trois années d'écriture, et surtout de travail pour mieux cerner sur le caractère, l'ambition et les valeurs de chaque personnages (lire notre article ici), Guillaume Jest nous présente « Darwin, fallait-il le tuer ? », une pièce librement inspirée d'un des épisodes les plus importants notre Histoire, les découvertes de Darwin au cours de son voyage dans le Pacifique sur le Beagle.
Sur fond historique, cette pièce alterne légèreté de ton, manipulations, actions, drame et humour, et un dénouement très fort, qui invite à réfléchir aux enjeux des mutations que notre monde traverse aujourd'hui.
www.lepetitjournal.com/singapour - Comment vous est venue l'idée de cette pièce de théâtre ?
Guillaume Jest ? L'idée de la pièce est venue de mes lectures. J'essaye de lire des livres qui ont un lien avec l'histoire des pays dans lesquels j'ai la chance de vivre. Parmi les livres que j'ai lus lors de mon séjour en Indonésie, il a « Krakatoa[ii] » de Simon Winchester, et « To rule the waves[iii] » sur l'histoire de la marine britannique. Ces livres m'ont conduit à mieux comprendre la genèse de la théorie de l'Evolution, et surtout l'impact que cela a pu avoir à l'époque. Le premier livre décrit les conséquences de l'explosion du volcan sur la botanique de la région, et met en lumière les observations qui ont amené la théorie de la sélection naturelle.
To rule the waves décrit les recherches menées par la marine britannique au cours des expéditions scientifiques au XIXe siècle, et en particulier le voyage du HMS Beagles autour de l'océan pacifique pour l'établissement de cartes marines.
Ce livre évoque les débats entre Darwin, botaniste et géologue, et le Commandant du navire, Robert Fitzroy, chrétien pratiquant, issu d'une grande famille britannique.
A la lecture de ces livres, j'ai voulu faire partager ces discussions entre un scientifique dont les découvertes remettent en cause des croyances et des valeurs, et ceux qui voient leur monde ainsi disparaitre.
Cette pièce est un voyage avec Darwin à bord du HMS Beagles ?
- La pièce se déroule avant, pendant et après le voyage à bord du HMS Beagles. Nous emmenons les spectateurs dans un des plus célèbres voyages de notre Histoire. Mais le sujet est plus vaste, plus contemporain, plus proche de nous, au travers d'une histoire racontée et jouée, d'une intrigue, du sang, de larmes, de légèreté, autour de manipulations politiques, ... bref, du théâtre. Dans ce spectacle, se posent les questions de l'impact du changement dans nos vies, du vrai pouvoir qui nous dirige, et aussi de la place des femmes dans la société.
La théorie de l'évolution est un exemple foudroyant de changement dans nos croyances intimes. Darwin remet en cause à cette époque des traditions millénaires sur lesquelles les Hommes se reposaient. Ses idées n'épargnent aucun aspect de la vie et des valeurs de l'époque. Sa théorie scientifique est inaudible pour certaines personnes. Darwin, qui est un scientifique, ne comprend pas qu'un fait établi puisse être difficile à admettre, ni en quoi cela pourrait être mauvais pour l'Homme si c'est la vérité. Cette pièce m'a fait comprendre que la vérité n'existe pas car chacun détient sa propre vérité, qu'il vaut mieux éviter de trop froisser, même quand on a les faits de son côté.
Quels sont les protagonistes de cette pièce ?
- Il y a sept personnages principaux : Darwin, Caroline sa fiancée, le Commandant Fitzroy, Lady Fitzroy son épouse, le lieutenant Johnson, second du Commandant, le docteur Faulkner, médecin du bord et le père Thackeray, l'aumônier.Les personnages sont tous très différents. Chacun est animé par des valeurs et des attentes parfois opposées, ils ont des origines diverses. Il n'y a que deux personnages féminins, mais ils sont essentiels. On parle beaucoup des femmes dans la pièce et en toile de fond, il y a également le débat sur le rôle de la femme dans la société politique, économique, et sociale.
Une réflexion sur le changement, donc, au-delà du Darwinisme ?
- En effet, il ne s'agit pas d'un débat sur la théorie de l'évolution ; le choix de parler de Darwin est emblématique, avec une provocation volontaire dans le titre et dans l'esprit de la pièce.
Ce qui m'intéresse, c'est notre acceptation du changement, et une réflexion sur le thème « science sans conscience n'est que ruine de l'âme », pour paraphraser Rabelais.
Changer des comportements et des habitudes, c'est assez facile ; changer des croyances l'est déjà moins, et changer des valeurs, c'est quasiment impossible. Et pourtant cela nous est parfois imposé, comme cela a été le cas avec la théorie de l'évolution.
Ces réflexions sont très actuelles dans le monde d'aujourd'hui, en pleine mutation.
- Bien sûr. Des changements fondamentaux s'opèrent aujourd'hui : la notion de famille est remise en cause, la technologie affecte notre travail. En politique, inutile de mentionner les évènements que nous vivons et qu'il y a quelques mois auraient paru invraisemblables ! Tout cela nous touche dans nos vies quotidiennes et très intimement, cela remet en cause nos métiers, nos façons de vivre, notre organisation sociale.
On dit qu'avec les nouvelles technologies, la moitié des emplois qui existeront dans 10 ans n'existent pas aujourd'hui et qu'à l'inverse, 40% des emplois qui existent aujourd'hui auront disparu. Comment fait-on face à ces changements, comment s'adapte-t-on ?
Faut-il, pour autant, tuer le porteur d'idées qui dérangent ?
- C'est toute la question ! Est-ce que la vérité en vaut la chandelle, ou vaut-il mieux l'ignorance ? Faut-il tuer le messager, rester dans le déni ? C'est une tentation que beaucoup de gens ont parfois. On le voit dans la vie personnelle, professionnelle et même politique aujourd'hui.
Mais je n'ai pas la réponse. Le rôle de l'auteur est de poser le problème, sans prendre parti.
J'essaye, à travers cette pièce et chacun des personnages, d'emmener le spectateur dans une aventure qui permet de faire vivre le débat et d'ouvrir la question. J'ai essayé de montrer l'humanité dans chacun des personnages, quelles que soient leurs valeurs et leurs croyances.
Propos recueillis par Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour), le Mardi 11 avril 2017.
Lire notre article précédent sur Guillaume Jest : chronique d'une pièce annoncée, rencontre avec l'auteur
Darwin - Fallait-il le tuer?
Une pièce écrite par Guillaume Jest - mise en scène par Quentin Bernard - scénographie par Emmanuelle Arzens
Avec: Charles Bernard, Denis Croze, Felix Viaene, Frederic Verin, Guillaume Jest, Jennifer Zheng, Quentin Bernard et Sabrine Cazorla Reverre.
Alliance française de Singapour, du 21 au 23 septembre 2017 à 20h30 et le 24 septembre à 17h30.
Tarif normal: $38 - Tarif enfant/étudiant: $28
[i] Guillaume Jest, Le coq au vin, Les Editions du Panthéon, décembre 2013.
[ii] Simon Winchester, Krakatoa : 27 août 1883, le jour où la terre explosa, Editions JC Lattès, 2005.
[iii] Arthur Herman, To Rule the Waves: How the British Navy Shaped the Modern World, Editions Harper Collins, 2004.