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Yang Xiuqiong, la petite sirène de Chine

Découvrez le destin exceptionnel de Yang Xiuqiong, championne de natation en Chine dans les années 30 dont l'image a été utilisée par la propagande nationaliste, avant de tomber dans l'oubli.

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La jeune nageuse Yang Qiuxiong lors d'une épreuve à Nanking
Écrit par Didier Pujol
Publié le 12 août 2025, mis à jour le 25 août 2025

Affiche ancienne à Shanghai

En prenant le thé à Shanghai sur Fangbang East Road il y a quelques années, mon regard est tombé sur une couverture de magazine des années 1930 dans le style Art-Deco, accrochée au mur. Celle-ci représentait une jeune femme portant un maillot de bain deux pièces, spectacle assez inhabituel pour l'époque, le standard des premières pages étant plutôt la robe chinoise qipao. La natation, cependant, était à la mode dans ces années, symbole de modernité influencé par les films hollywoodiens. Le nageur olympique Johnny Weissmuller jouait en effet Tarzan à l'écran, souvent accompagnée d'actrices en bikini pour le rôle de Jane.

affiche

J'ai donc pensé que cette couverture était celle d'un magazine de life style, vantant la beauté sportive (jianmei) des femmes émancipées. Ensuite, j'ai remarqué la piscine en arrière-plan et je n'ai pas reconnu celle-ci, bien que j'ai recherché les piscines historiques de la ville. Au vu du carrelage et des lettres art-deco indiquant la profondeur, j'ai d'abord pensé au YMCA sur la Place du Peuple, mais en comparant avec les photos que j'avais prises, celles-ci ne correspondaient pas. Enfin, il m'est apparu qu'il pouvait bien tout aussi bien s'agir d'un bassin extérieur.

La piscine centenaire de Hongkou

Cherchant donc une piscine de l’époque, je me suis rendu à la plus vieille piscine extérieure de Shanghai, à Hongkou, datant de 1922. Celle-ci fut bâtie par les Anglais du Shanghai Municipal Council alors qu'il y avait une autre piscine, couverte celle-ci sur North Sichuan Road. Une anecdote nous renseigne sur les préjugés raciaux de ces années. Alors que deux jeunes Chinois accédèrent à la piscine en parlant japonais en prenant leur billet. Ils furent expulsés lorsque l'on remarqua qu'ils s'interpelaient en chinois, une fois dans le bassin. Ce sont précisément ces mêmes Japonais qui réquisitionnèrent la piscine après avoir envahi la Chine en 1937! En 1946, l'endroit devient réputé pour la bourgeoisie chinoise républicaine, avant de s'ouvrir à un plus large public pendant l'ère communiste.

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La piscine de Hongkou dans les années 30 et aujourd'hui

La piscine de Hongkou est restée longtemps la plus grande piscine à ciel ouvert de Shanghai, connue pour accueillir l'entrainement de nombreux athlètes. Pendant ma visite, elle m’a rappelé la Piscine Molitor de Paris. Bien que l'établissement parisien soit aujourd'hui plus luxueux que celui de Hongkou, les points communs sont nombreux. La taille est quasi identique tout d'abord. En hiver, les deux endroits ont été utilisés comme patinoire et enfin les sportifs célèbres les ont fréquenté, dont le fameux Johnny Weissmuller à Paris, engagé comme moniteur de natation pour promouvoir l’établissement. Pourtant, je me suis vite aperçu que cet endroit ne correspondait pas au décor sur la couverture du magazine.

Les jeux Nationaux de Nanking

Le mystère de l'affiche s'est partiellement élucidé lorsque j'ai identifié le nom de la jeune fille, inscrit en petits caractères au dessous de l'image: Yang Xiuqiong ou Yeung Sau-King en cantonnais. Cette sportive est née à Hong Kong en 1919 dans le village de Tai Hang. C'est son père qui lui a appris à nager dès l'âge de 10 ans et elle a rapidement montré des dons. Elle s'entraine à la base de North Point à partir de 1928 et gagne en 1930 deux médailles d'or aux 50 et 100 mètres nage libre au Hong Kong Swimming Open. La même année puis en 1932, elle remporte la mythique Cross Harbour Swim Race. En 1933, elle participe aux cinquièmes Jeux Nationaux de Nanking et établit quatre nouveaux records. 

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Elle n'a alors que 15 ans et fait une si forte impression sur le public qu'elle est invitée à rencontrer Chiang Kai Shek et sa femme Soong Meiling, qui en fera sa fille adoptive. Son surnom de "petite sirène de la Chine" (meirenyu) lui est alors donné par les media, avides de symboles nationaux forts. Sa gloire atteint son sommet lorsqu'elle remporte trois médailles d'or individuelles et une en équipe aux dixièmes Jeux Extrême Orientaux de Manille l'année suivante. Sa photo fait alors la une du magazine à la mode dans la nouvelle élite républicaine chinoise Liang You (ci-après), citée parmi les dix femmes les plus importantes de Chine.

Le sport symbole de modernité

L'année suivante, elle effectue des démonstrations à Nanchang, Xiamen et Nanking pour le Mouvement de la Vie Nouvelle de Chiang Kai Shek. Le mensuel Zhong Hua, que j'ai vu dans la maison de thé de la rue Fangbang date d'octobre 1935 et c'est justement à Shanghai, que la couverture du magazine se situe. La piscine est en fait celle de la ville nouvelle chinoise de Yangpu voulue par Chiang Kai Shek, dont les plans futuristes ont été tracés par l’architecte visionnaire Dong Dayo. J’ai pu en acquérir la certitude en allant y effectuer quelques longueurs et y ai retrouvé les fameuses arches figurant derrière la jeune nageuse, la rampe en cuivre servant toujours aujourd'hui à la sortie du bassin. 

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Yang Xiuqiong en couverture de Liang You

Une star adulée puis oubliée

La chance de notre petite sirène tournera en 1936 avec les Jeux Olympiques de Berlin. En effet, son bateau parti de Shanghai, mettra 17 jours à faire la traversée, rendant impossible tout entrainement. Elle perdra toutes les épreuves, ce qui rendra la presse chinoise furieuse à son retour. Celle-ci s'acharnera dès lors sur elle, lui prêtant d'hypothétiques et scandaleuses aventures pour expliquer ses mauvaises performances. Avec la guerre sino-japonaise qui commence en 1937, sa carrière se trouve aussi compromise. Elle participera néanmoins à un championnat à Chongqing gagnant huit médailles d'or, attirant l'attention du célèbre jockey Tao Bolin avec qui elle se mariera en 1939 à Hong Kong. Le couple se séparera deux ans plus tard.

photo tardive
Photos tardives de Yang Xiuqiong à  la piscine de Hongkou

Dans le Hong Kong occupé, ses activités de renseignement pour le compte du gouvernement chinois en exil lui vaudront de passer en 1943 entre les mains de la tristement célèbre police japonaise, la Kempetai. En 1947, elle épousera un businessman chinois indonésien, l'accompagnant dans ses affaires et supervisant au passage la section féminine du Hong Kong Life Guards' Club. En 1978, le couple s'installera à Vancouver où Yang Xiuqiong, désormais connue sous le nom d'Yvonne Tan décèdera en 1982 dans l'anonymat le plus total.

Ce destin rappelle celui des stars des années 30 et 40 en Chine, souvent portées aux nues puis abandonnées par la presse populaire, comme la jeune Ruan Lingyu qui se suicidera à 25 ans ou l'icône Hu Die, forcée à devenir la maîtresse du chef des services secrets de Chiang Kai Shek et qui finira aussi ses jours à Vancouver.

wechat Didier Pujol
Publié le 24 août 2025, mis à jour le 25 août 2025
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