357 jours. C’est le temps record qu’il aura fallu à Tesla pour construire sa Gigactory shanghaïenne … et sortir sa première voiture ! Pour la livraison des dix premiers « model 3 » « made in China », son patron Elon Musk faisait le déplacement le 7 janvier. Pour assister à ce moment historique, il manquait le nouveau lancement de SpaceX et l’ouverture du CES à Las Vegas.
En effet, ces dernières années, le PDG un brin excentrique a développé des liens forts avec la Chine, se déclarant admiratif de son programme spatial, comme de ses engagements environnementaux. Grâce à ses visites régulières, il obtint le soutien de la municipalité de Shanghai pour son projet d’installation, mais plus largement du gouvernement chinois, désireux de prendre une longueur d’avance dans l’industrie des véhicules électriques. Dès que le terrain de 86 hectares dans la zone franche de Lingang fut choisi, le feu vert pour construire et démarrer la production fut octroyé à une vitesse éclair, tout comme des prêts bancaires à taux préférentiels (le projet est financé par des banques chinoises). En août dernier, il obtenait aussi des autorités chinoises une exemption de taxe à l’achat (10%) pour les acheteurs de ses véhicules. Ainsi, le milliardaire recevait le privilège d’inaugurer la première usine automobile en Chine détenue à 100% par un constructeur étranger.
Cette usine, ayant coûté 2 milliards de $, est la première du groupe en dehors des Etats-Unis. Elle assemble depuis octobre dernier ses premiers « model 3 », le plus abordable de sa gamme. Sa production initiale devrait être de 150 000 berlines par an, pour atteindre les 250 000 véhicules, notamment grâce à la production du SUV « model Y » pour le marché chinois. Toutefois, le volume réel dépendra de nombreux facteurs : de la performance des employés, de la chaîne d’approvisionnement, du nombre de commandes … D’ici la fin de l’année, le constructeur espère se fournir à 100% localement, contre 30% actuellement, ce qui devrait considérablement réduire ses coûts de production. Selon le niveau d’optimisme des analystes, Tesla pourrait vendre entre 21 000 et 100 000 « model 3 ». Un chiffre qui pourrait grimper à 120 000 en incluant le « model Y ». Le fondateur de 48 ans ne cache pas son enthousiasme : « le ‘model Y’ aura plus de succès que tous les autres modèles Tesla réunis » ! Il devrait être vendu autour de 444 000 yuans, tandis que le prix du « model 3 » a été réduit de 9% à 323 800 yuans (299 000 yuans une fois les subventions gouvernementales déduites, soit 38 600 euros). Selon les concessionnaires, une Tesla à moins de 300 000 yuans est très attrayante pour les clients chinois. M. Musk annonçait également la création future d’un centre de design et d’ingénierie pour concevoir, en Chine, un modèle qui serait également vendu dans le monde entier. C’est une stratégie qu’ont adoptée avant lui d’autres constructeurs étrangers, pour mieux adapter leur offre aux goûts spécifiques des clients du premier marché automobile mondial.
Mais le vent tourne vite en Chine. Le marché chinois que le PDG américain a connu en octobre 2018 lorsqu’il annonçait son installation à Shanghai, n’est plus le même aujourd’hui. Selon l’association chinoise des véhicules passagers (CPCA), 2019 aurait subi une baisse de 7,5% de ses ventes par rapport à 2018, à 21 millions d’unités, dont un peu plus d’un million de véhicules à énergies nouvelles (NEV), soit près de 5 % du marché. Alors que les NEV résistaient mieux au marasme que les motorisations classiques, leurs ventes diminuent à leur tour depuis juillet dernier, suite à une coupe drastique (jusqu’à -60%) des subventions du gouvernement. Ces aides financières devraient avoir complètement disparu en 2021. La CPCA est un peu plus confiante pour 2020 : les ventes seraient amenées à augmenter très légèrement (+1%) avec l’arrivée de jeunes automobilistes sur les routes. Ainsi, l’Etat chinois maintient son objectif pour les NEV : ils devront représenter 25% des ventes en 2025. Un chiffre revu à la hausse par rapport à 2017, où le gouvernement ne visait que 20%. Comme incitatifs, il compte sur les exemptions de taxe à l’achat, une obtention facilitée de la plaque d’immatriculation, et aucune restriction à l’usage en ville.
Pour faire un démarrage en trombe, le groupe de Palo Alto mise sur son avance par rapport à la concurrence étrangère (Audi, BMW, Mercedes), estimée par les experts à un ou deux ans. Autre avantage, Tesla ne vend que des véhicules électriques (EV), et n’a donc pas peur qu’ils cannibalisent ses ventes à motorisation traditionnelle. La firme américaine doit pourtant regarder dans ses rétroviseurs. En effet, il existe déjà une forte concurrence des constructeurs chinois (BAIC, BYD, SAIC, ou NIO, Xpeng Motors), notamment sur le créneau bas de gamme (moins de 100 000 yuans). Ce segment ne représente pas moins de la moitié des ventes totales d’EV, boostées grâce aux clients institutionnels, compagnies de taxis, et autres services à la mobilité. Tesla doit donc convaincre une clientèle chinoise haut de gamme. Et pour cela, l’entreprise compte bien sûr sur sa luxueuse image de marque… Ainsi, avec l’arrivée de Tesla sur le marché chinois, on peut dire que la course au véhicule électrique commence véritablement.