Fin janvier, 34 élèves du lycée chinois Guangming de Shanghai, inscrits dans un programme bilingue, sont partis en France pour y faire leurs études. Une incroyable aventure humaine pour ces jeunes gens d’à peine 18 ans qui n’avaient jamais appris le français avant leur entrée au lycée.
Un parcours atypique
C’est grâce à leurs très bons résultats au Zhongkao, le brevet des collèges chinois, que ces 34 élèves ont d’abord pu entrer au lycée Guangming, situé au centre-ville de Shanghai, non loin de People’s square. Mais ce n’est qu’après un entretien personnel et un nouvel examen écrit qu’ils ont intégré la "classe française".
Grand débutant au début de leur scolarité, ils ont atteint après deux ans et demie de cours, le niveau B1 au prix d’un travail acharné : 10 cours de français par semaine sans compter le cursus traditionnel avec les cours de chinois, de mathématiques, de sciences etc. A cela s’ajoute 8 cours dispensés par deux enseignants français, dépêchés par l’Education Nationale : un professeur de mathématiques chargé d’enseigner les "maths à la française" et un professeur de français qui donne des cours de littérature et de civilisation. Ces deux enseignants sont en Chine dans le cadre du programme SPLF (Section Pilote de Langue Française) et viennent renforcer les équipes chinoises de ce lycée qui est le seul établissement de Chine a avoir obtenu le Label "FrancÉducation" du gouvernement français.
Sur les 34 élèves, une majorité a choisi d’entrer à l’ESIGELEC de Rouen, l’école supérieure d’ingénieur en génie électrique. 3 élèves ont brillamment réussi le concours de l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées) et suivront donc les cours de cette école de Lyon l’année prochaine. D’autres entreront en septembre à l’EIGSI de La Rochelle ou à l’ECAM de Lyon. Enfin, plusieurs élèves ont préféré un parcours en école de commerce (NEOMA à Rouen ou à Reims) ou en école d’art (Ecole Bleue Global Design à Paris).
Après avoir passé les épreuves finales en janvier, ces élèves vont d’abord suivre pendant 5 mois des cours de langue en France afin de parfaire leur français. Dès septembre, ils intégreront leurs différents campus pour les 5 années à venir.
Pourquoi la France ?
Si beaucoup avancent le fait que de parler chinois, anglais et français est un atout indéniable pour leur avenir professionnel, c’est d’abord la culture qui fascine les élèves et qui les a incités à postuler pour la classe bilingue, trouvant la langue "si élégante" et "si précise" et voyant la France comme un pays "si romantique".
Certains ensuite soulignent la longue histoire commune entre la Chine et la France, histoire qui est inscrite d’ailleurs au sein même de l’école Guangming, établissement chinois fondé par des Jésuites français en 1886, dans ce qui s’appelait alors la "concession française ".
Ce qui a motivé leur choix, c’est aussi la renommée des écoles d’ingénieurs françaises et le fait que la France soit, selon eux, un pays avec une forte industrie. Sans compter que les études y sont moins chères que dans le monde anglo-saxon ( entre 4.000 et 8.000 euros l’année pour l’ESIGELEC, environ 600 euros pour l’INSA qui est une école publique). Enfin, tous voient dans cet exil volontaire l’opportunité de découvrir une autre culture, de développer leurs capacités et de devenir plus mature.
Shuo Fayu : pas si facile
Ce départ récompense deux ans et demie d’effort pour apprendre le français. Même s’ils étaient tous très motivés, cet apprentissage n’a pas été facile. Les cours étaient denses et la grammaire a souvent posé de gros problèmes aux élèves. Mais le pire selon eux, "c’est les conjugaisons !". En chinois où le simple mot "demain" vous indique le futur, jongler avec les personnes et les déclinaisons fut un véritable casse-tête.
Il a fallu mémoriser beaucoup de vocabulaire à un rythme intensif (environ 150 mots par unité, une unité faite en 15 jours). "Beaucoup de mots sont difficiles à réciter" s’amuse un élève "et souvent les mots sont proches de l’anglais mais la prononciation est différente, je mélangeais". Et puis, c’est bien connu, les Français parlent trop vite ! Bref, l’apprentissage ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais cela en valait la peine ? Ils l’espèrent, même s’ils appréhendent un peu les premiers mois en France : "Est-ce qu’on va comprendre les gens là-bas ? Est-ce qu’ils vont nous comprendre ?".
Bienvenue en France
Comment voient-ils d’ailleurs leurs premiers mois en France ? Le choc culturel est bien sûr attendu. D’autant plus que pour beaucoup, ils ne connaissent la France que par le prisme des médias. Et par conséquent, ils craignent les attentats terroristes, les voleurs, la nourriture frelatée. Très lucides, ils ont peur de la solitude qui ne manquera pas de les toucher ("c’est la première fois que je quitterai ma famille") et de la nostalgie qui les gagnera sûrement. Ils appréhendent le regard des Français, se demandant s’il sera si simple de se faire des amis : "si je ne communique qu’avec des Chinois, alors quel intérêt ?".
Autre défi qu’ils vont devoir surmonter : suivre les cours en français et "avoir de bonnes notes !". Ils savent que l’enseignement des mathématiques diffère drastiquement en France et qu’il va falloir se forcer à démontrer et non pas se contenter de juste mettre le résultat.
Et l’avenir ?
Et après, que feront-ils ? Il leur est difficile de se projeter mais beaucoup pensent indubitablement rentrer en Chine et travailler pour une multinationale. Ils rêvent aussi de vivre en France ou de voir le monde. "Après mes études, je me vois travailler dans une entreprise en France puis je retournerai en Chine quand j’aurai gagné de l’expérience. Mais je crois que je ferai souvent la navette entre les deux pays" ou encore "La Chine est mon pays natal donc je veux rentrer mais je voudrais travailler ici pour une entreprise française afin de développer l’amitié sino-française". Beau programme.
Bon voyage à eux !
Annie Langlois
Professeur de Lettres au lycée Guangming, Annie Langlois est arrivée en septembre 2017 à Shanghai.