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Connaissez vous le lien entre notre cognac et la Chine ?

« 1872. Sur un quai à Rochefort, dans le Sud-Ouest de la France, des caisses attendent l'heure de l’embarquement à bord d’un vapeur à destination de Londres, puis de la Chine [...]. À l'intérieur […] : un cognac à la robe teintée d’or […] baptisé Hennessy X.O. ». Ainsi commence l'article consacré à la présence en Chine de la célèbre maison basée à Cognac, publié en 2015 dans l'ouvrage fêtant le 250ème anniversaire de l'entreprise charentaise. En effet, à l'heure de la mondialisation, l'amour de la Chine pour le cognac est déjà une histoire bien ancienne.

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Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 27 février 2020, mis à jour le 2 septembre 2024

La diffusion d'une boisson franco-britannique au XIXème siècle

Si les eaux-de-vie charentaises se répandent en Europe dès le XVIIème siècle par l'intermédiaire des Hollandais, ce n'est que deux siècles plus tard que le cognac proprement dit se diffuse à travers le monde à la faveur de l'indépendance des États-Unis et des états sud-américains mais aussi de par l'intensification des échanges avec les pays du sud-est asiatique. Dans un contexte international de Pax Britannica prenant place dans un monde anglophone tenu par les soldats de Sa Gracieuse Majesté vêtus de leur fameuse tuniques rouge, le XIXème siècle est favorable à la démocratisation du cognac.

Auparavant majoritairement consommées dans les cercles aristocratiques européens et réservées, dans le cas français et sur ordres du roi et de son ministre de la marine, aux approvisionnements naval et militaire (le « Vin du Roy » des marins assujettis aux « voyages tropicaux »), les eaux-de-vie de Cognac constituent à partir des années 1820 une part de plus en plus importante des expéditions d'alcools destinées à l'Angleterre et a fortiori à l'Empire britannique. Le retour progressif de la France sur la scène internationale suite au Congrès de Vienne et la normalisation des relations avec l'Angleterre vont permettre aux Charentais de relancer leurs exportations. De plus, la suppression en 1856 par le ministère de la marine de l'approvisionnement en cognac de la flotte française au profit du rhum des Antilles, les obligent à retrouver de nouveaux débouchés tout aussi importants que ceux qu'ils avaient dans les ports de guerre. En 1861, c'est finalement le traité de libre-échange franco-britannique – aussi appelé "Cobden-Chevalier" – qui libère le marché d'exportation des cognacs des Charentes à partir du petit port de Tonnay-Charente.

 

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1912. Holts Wharf, Butterfield & Swire » – Coll. John Swire and Sons Ltd.

 

Tandis que les poids lourds du cognac d'origine anglo-saxonnes comme Hennessy et Martell restent attachés aux marchés américains, des négociants français bien moins connus se tournent rapidement vers la Chine. Le sentant prometteur, Louis-Edmond Boutelleau et Jules Robin se positionnent sur le marché chinois dès l'ouverture de ses ports au début des années 1840. Ils décident alors de renoncer à la vente de cognac en fût pour adopter la bouteille. Cette innovation, d'apparence anodine, est une véritable révolution. Hennessy puis Martell suivent le mouvement et en 1861, la présence de la bouteille s'est considérablement renforcée aux États-Unis où il est recherché des cognacs prêts à être consommés. En parallèle, suite aux guerres de l'opium, l'apparition des pôles commerciaux porteurs de l'Asie, de Singapour à Shanghai en passant par Hong Kong, va permettre au cognac de réaliser une grande percée hors du monde euro-atlantique.

Sous le Second Empire, grâce au rapprochement inédit initié par l'empereur Napoléon III et la reine Victoria entre leurs nations respectives, le cognac part donc « à la conquête du monde ».

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« 1919. Tonnay-Charente. Les appontements. Steamer Cognac » – Coll. Éric Normand.

La diplomatie du cognac : une relation franco-chinoise unique

Si les premières bouteilles de cognac Hennessy arrivent à Hong Kong en 1859, les eaux-de-vie charentaises constituant l'ordinaire des troupes entrent, elles, à Shanghai puis à Beijing en 1860.

Lors des négociations mettant fin à la seconde guerre de l'opium entre les parties françaises et chinoises, le convoi diplomatique français est effectivement soumis au régime de l'armée de terre. Lors du repas occidental qui suit l'entrevue entre l'Ambassadeur Gros et le Prince Gong, frère et représentant de l'Empereur chinois Xianfeng, des coupes de champagne sont servies puis des ballons de cognac "militaire". Les Mandarins apprécient fortement, le Prince aussi, malgré sa réticence initiale. Cette scène pittoresque d'une rencontre entre deux cultures de consommation d'alcool annonce une tradition qui se perpétue encore aujourd’hui : la « diplomatie du cognac ».

À partir de 1911, le président Sun Yat-sen, qui se veut être l'incarnation de l'entrée de l'Empire du Milieu dans la modernité, encourage fortement la production de cognac selon le modèle européen. Distillé dans la province du Shandong, il est popularisé par l'entreprise viticole Changyu qui lance à partir des années 1930 dans les grandes cités littorales de Chine des campagnes de publicité très intensives voire agressives et de nombreuses opérations promotionnelles in situ avec dégustation et distribution de mignonnettes aux badauds et aux commerçants. En 1954, lors des accords de Genève qui mettent fin à la guerre d'Indochine, le ministre chinois des Affaires étrangères Zhou Enlai use de la « diplomatie du brandy » afin de pouvoir mener les négociations dans un jeu d'égal à égal avec l'Occident, alors représenté par les Anglo-saxons et les Français.

Faire déguster un Gold Changyu brandy, c'est alors montrer l'évolution du développement et de la modernisation de la Chine selon son propre modèle, jusque dans sa manière de consommer.

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« 1920. Calendrier Jules Robin & Co. Cognac » - AD16.

Entre báilándì et báijiŭ, le cœur des Shanghaiens balance

Tandis que les Chinois sinisent progressivement le terme brandy afin de désigner le cognac principalement consommé dans les clubs victoriens, symbole du chic à l'anglaise d'alors, les Français quant à eux rivalisent d'ingéniosité pour proposer leurs eaux-de-vie au plus grand nombre.

Les représentants de commerce, ayant très tôt cerné l'appétence de la gente masculine chinoise pour les alcools forts, ont pour objectif avoué de faire basculer d'abord les Mandarins les plus aisés, de la consommation du báijiŭ incolore à celle du báilándì ambré. Pour se faire, ils s'appuient sur les nombreux compradores, négociants chinois ouverts à l'Occident souvent chrétiens et presque toujours anglophones, qui vivent à l'européenne dans les concessions étrangères. Grâce à leurs talents d'influence, le cognac va peu à peu passer du statut d'élitiste à celui de populaire, en s'intégrant à ce qui fait toute la sociabilité chinoise : la gastronomie. Dans l'entre-deux-guerres, les Chinois qui ont réussi dans le milieu des affaires, en développant leur réseau – leur guānxi sino-occidental – fêtent ainsi leur réussite sociale à grand renfort de spiritueux dignes sans perdre la face.

En effet, dans le Shanghai des "Années folles", les bars et hôtel-casinos fleurissent et c'est dès 1918 que les "grands magasins" font leur apparition dans la Concession Française, en suivant le modèle des diverses célèbres galeries parisiennes. Ils mettent en avant, dans leurs vitrines et avec une présentation moderne, les vins et les spiritueux européens. Ce n'est donc pas un hasard si la maison Hennessy ouvre sa première usine d'embouteillage de cognac à Shanghai en 1920. Ses camions de livraison, qui arborent en couleur or les caractères chinois « 新 xin » et « 華 hua » (signifiant littéralement "nouvelle prospérité"), ne peuvent échapper aux yeux des Chinois.

C'est ainsi que la consommation du cognac se diffuse dans tous les lieux de Shanghai pouvant représenter le "mode de vie à l'occidentale" ; diffusion toujours d'actualité de nos jours.

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« 1921. Camion de livraison de cognac Hennessy à Xujiahui, Shanghai » - AD16.

Pour compléter et aller plus loin :

- BERGÈRE, Marie-Claire, Histoire de Shanghai, Paris, Fayard, 2002.

- BERNARD, Gilles, Le Cognac. À la conquête du monde, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. « Grappes & Millésimes », 2011.

- BRIZAY, Bernard, Le Sac du palais d'Été. Seconde Guerre de l'opium. L'expédition anglo- française de Chine en 1860, Paris, Éditions du Rocher, coll. « Documents », 2003.

- NORMAND, Éric et SAUZEAU, Thierry (dir.), Se souvenir de Tonnay-Charente. De Tonnay à Charente : histoire d'une porte maritime des pays charentais, La Crèche, Geste éd., 2013.

Vincent Mariet, pour le Petit Journal Shanghai

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