Édition internationale

SYLVIE LEVEY, OU LA PASSION DE LA CHINE – De Saint-Malo à Shanghai, histoire d’un parcours extraordinaire !

Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 16 juin 2015

 Par Delphine Gourgues

A l'occasion d'un événement organisé par Ker Shanghai, l'association des Bretons et amis de la Bretagne, la rédaction a pu rencontrer Sylvie LEVEY journaliste, réalisatrice, sinologue et aujourd'hui consultante, pour une soirée de partage et d'échanges sur son parcours exceptionnel et son histoire d'amour avec la Chine. De Saint-Malo à Shanghai, embarquement immédiat !

"Malouine d'abord, shanghaienne ensuite, citoyenne du monde avant tout !"

(Crédit : Sylvie Levey)

Une des lectures fondatrices pour Sylvie Levey fut "Identité Nomade" de Bernard Fernandez. Cet anthropologue, qui vit aujourd'hui entre la France & la Chine, s'est penché sur ce "désir d'Asie" chez les étrangers, surtout d'Inde et de Chine. Il s'est interrogé sur les raisons qui poussent l'être humain à migrer vers des terres inconnues et à la façon dont il renait de cette rupture. Chez Sylvie Levey, le berceau de Saint-Malo, les bateaux, la mer ont évidemment été le point de départ de cette envie d'ailleurs. A cette invitation quotidienne au voyage vont s'ajouter une série d'événements personnels et historiques qui vont mener Sylvie de la Bretagne à Taiwan, aux Etats-Unis, au Mexique, à Paris et enfin en Chine? Vers l'âge de dix ans, à la bibliothèque de Saint-Malo, la lecture de "Vent d'Est, vent d'Ouest" de Pearl Buck est une révélation, un choc émotionnel qui laissera en elle une empreinte indélébile. Autre fait marquant, la mort de Mao en 1976, avec ces images du bout du monde retransmises à la télévision, de cette population attendant des heures pour rendre hommage à sa dépouille dans ce sarcophage de verre? Sylvie effectue alors pour elle-même une véritable revue de presse sur ce sujet, qu'elle ne retrouvera que des années après, de retour d'un voyage d'études à Taiwan. Un signe de son futur destin chinois "écrit par avance"? Une autre lecture importante fut celle de "Pleure, oh pays bien-aimé" d'Alan Paton sur la ségrégation raciale en Afrique du Sud. C'est une évidence, Sylvie veut parcourir et sauver le monde ! "Mais j'étais nulle en maths, donc impossible de devenir médecin !" ajoute-t-elle avec humour ! Et si elle ne sait pas encore comment s'y prendre pour contribuer à sauver l'humanité, Sylvie commence par voyager. C'est alors qu'elle s'envole pour les Etats-Unis pour étudier la littérature américaine. Elle rêve de Californie, de la mer, mais c'est aux portes du désert de Mojave, au nord-est de Los Angeles qu'elle atterrit, logée dans une famille américaine, sur une base militaire? Heureusement, elle fait trois rencontres majeures pendant ce séjour. Une professeur de sociologie tout d'abord, Sherry Rosenberg, et l'un de ses amis juifs ashkénazes, Fred Nathan, administrateur de "Peace Now" qui ?uvre pour ouvrir des écoles aux religions mixtes en Palestine, et qui l'initie à la politique étrangère, ce qui deviendra une passion pour elle. Puis, au détour d'une visite de San Diego, en passant la frontière quelques heures, "pour voir", Sylvie rencontre la misère d'un pays en voie de développement autrement que par le petit écran aseptisé de la télévision, le souvenir des "enfants ballon" aux ventres arrondis par la malnutrition restera à jamais gravé dans sa mémoire? C'est le choc et une révélation : c'est décidé, Sylvie sera journaliste, pour s'engager, raconter, dénoncer !

Shanghai, la Chine, le choix d'une vie

De retour à Paris, Sylvie effectue des études de relations internationales et apprend le mandarin. Embauchée par l'Agence Internationale TV (AITV), elle rencontre de nombreuses personnalités telles que Benazir Bhutto, Rajiv Gandhi, le Dalai Lama, Cory Aquino, Yasser Arafat, le prince Sihanouk? Peu de journalistes font cette démarche à l'époque ! France 2, France 3, le Figaro la remarquent et font appel à ses services. Puis en plein été 1990, au début du mois d'août, tout le monde est en vacances dans les services de presse, et la nouvelle tombe, Koweït City est envahie ! Sylvie est là, couvre les événements  à distance, tente de comprendre et d'analyser les images et informations qui arrivent. Mais une évidence s'impose à elle : impossible de ne pas aller vérifier sur place, ne pas aller rencontrer les gens, elle doit rester indépendante, en free-lance et partir témoigner plutôt que "de se contenter d'illustrer ainsi, les malheurs du monde d'avec les dépêches et les images des autres !". 

Sa famille "terre d'accueil" (Crédit : Sylvie Levey)

De voyages en rencontres, par amitié pour des personnalités influentes, elle se retrouve à Shanghai, comme par exemple accompagnatrice de voyages de formation des héritiers de la puissante famille Mulliez. Visites auprès des acteurs économiques français et chinois, découverte de la ville, briefings, débats, des séjours intenses dont elle revient avec une seule envie : repartir pour Shanghai et pour la Chine. Elle s'installe donc en 1999, débarquant avec pour unique bagage huit valises pleines de livres, convaincue que son destin est "lié à la Chine" ! Touchée par une famille photographiée lors d'un précèdent voyage, elle veut témoigner, "immortaliser cette ville fabuleuse, avant que tout ne disparaisse !". Elle retrouvera cette famille, qui deviendra sa "terre d'accueil" au c?ur du Shanghai historique. Elle multiplie alors les reportages, documentaires, portraits de ville et de gens, pour différents medias, dont l'agence CAPA (une des plus grandes agences de presse et société de production française et européenne). Elle s'oriente peu à peu vers la réalisation, à travers plusieurs films marquants sur la vie des Chinois, leur quotidien ordinaire, mais aussi sur des destins extraordinaires.

En commençant par "L'Etrange destin du Colonel Jin Xing" nominé pour le Prix Albert Londres et couronné en 2002 du Prix Spécial du Jury au Festival International du Grand Reportage. L'histoire de ce colonel de l'Armée Populaire de Libération devenu femme et chorégraphe. Première transsexuelle officielle de la République populaire de Chine. Un film qui allait faire le tour du monde, traduit dans toutes les langues majeures de la planète.  "Shanghai, en attendant le paradis" est un témoignage de cinq années (2001-2006) passées au sein d'une famille, menacée d'expulsion pour démolition de son logement lilliputien (18m2 sur lesquels sont entassées trois générations). Une immersion "ethnologique" inouïe pour Sylvie dans l'intimité des Wang  en attente d'un avenir meilleur.

Il y a aussi "Crimes suprêmes à Shanghai", ce documentaire sur la vie quotidienne et la "rééducation" de trois femmes condamnées  à mort ou à perpétuité pour crime, au sein de la prison de Songjiang, dans la banlieue de Shanghai. Pour que ce travail voit le jour, il lui fallu plusieurs années pour obtenir l'autorisation de filmer, un combat quotidien pour finir ce film, des tractations permanentes, une autocensure inévitable, "pour protéger les vies de ceux qui me font confiance, et pour protéger la mienne aussi"? Son parcours en Chine n'est pas facile : elle est connue des autorités chinoises pour ses interviews et ses sujets sur des questions sociétales délicates ? voire taboues. A l'occasion des vingt ans de la politique de l'enfant unique, et sollicitée par l'agence CAPA et par Patrick de Carolis (pour l'émission "Des Racines et des Ailes"), Sylvie  réalisera "Les bébés en or", un film sur notamment ces enfants de l'ombre nés hors planning familial, des petits illégaux sans papiers d'identité, souvent des filles, qui dans les campagnes travaillent aux champs pendant que les aînés garçons vont à l'école. Toujours sur le thème de la famille, le film "Shanghai, ville de tous les désirs" suit un jeune couple qui s'apprête à se marier. Les visites au planning familial, avec échantillonnage de sextoys et autres formations sur l'anatomie du sexe opposé semblent surréalistes pour nous, occidentaux ! Toutefois, Sylvie les accompagne avec "pudeur, toujours sans jugement de valeur, et avec beaucoup d'humilité".

Entrer dans la vie des autres

Sylvie Levey à Guizhou (Crédit : SL)

Les clés de Sylvie Levey pour toute cette vie d'investigation et de témoignages sont au nombre de trois. Tout d'abord, la confiance réciproque issue de l'empathie et de l'humilité justement,  de l'amitié souvent nouée au fil du temps... Il y a aussi la connaissance profonde et précise de la langue : "apprendre le sens et la connotation d'un caractère chinois comme celui de la famille par exemple, cela vous plonge au c?ur de la civilisation (?). Une entrée radicale et sublime en altérité !". Et enfin bien sûr, décoder et comprendre les us et coutumes de l'autre, sans quoi il est impossible de vivre ensemble.

Mais la Chine reste un pays difficile, "un pays qui nous tolère, mais où tout peut être remis en cause chaque année, lors de la demande de renouvellement de visa"? A la suite de trois années de recherches, son projet de film sur l'évolution sexuelle en Chine, liée notamment à l'éclatement de l'habitat traditionnel, n'a pas pu aboutir. Un autre de ses projets, à l'occasion  de l'Exposition Universelle, était de retrouver ses personnages de films précédents et de les faire se rencontrer pour provoquer de nouvelles histoires filmiques et in fine, de vie réelle. Mais ce projet a avorté : les destins n'ont pas voulu se croiser. "Mes personnages tombaient les uns après les autres". Aujourd'hui, Sylvie Levey qui croit au destin plus que jamais, ("you yuan" comme disent nos amis chinois) a changé de vie, changé de métier. "Je n'avais plus le choix, donc j'ai choisi !". Toujours basée en Chine, elle est actuellement consultante pour le voyagiste chinois CTRIP (qui dispose d'un portefeuille de 160 millions de consommateurs chinois), pour enrichir leurs nouveaux circuits de "shopping chic" dans le monde. Elle travaille aussi pour ACN Worldwide, une plateforme globale d'investissements, qui propose des solutions de placement à l'étranger. "Un secteur assez semblable à la politique étrangère que j'ai toujours appréciée !". Elle a encore de nombreux projets qui touchent les domaines du relooking pour les milliardaires chinois, ou l'alimentation et la santé en Chine, vaste sujet d'avenir?

Les films de Sylvie Levey continuent à faire parler d'eux, ils sont régulièrement diffusés à l'occasion de conférences et c'est toujours avec la même passion qu'elle vient les présenter au public chinois ou occidental, car comme elle le dit, "ce sont mes bébés, ils ont changé ma vie ! Après toutes ces années en Chine, je ne serai plus jamais la même, et ces témoignages sont le plus beau cadeau que je puisse faire à mes amis chinois !".

Pour en savoir plus sur Sylvie Levey et ses films :

Son site internet : http://www.sylvielevey.com/index.php

Pour acheter ses films : chez Song Laoshi, Jin An Qu, Beijing Xi Lu Lane n.605 / croisement Shi Men Er Lu N°57 (Tower Jiafa, building B, 18F, Studio F). Tel. : 136.5178.7648

Attention, ces films ne s'achètent que sur commande et il faut préciser si l'on veut la version française ou anglaise.

L'association Ker Shanghai diffusera plusieurs films de Sylvie Levey à partir de la rentrée 2015. Les détails seront dans notre agenda.

Delphine Gourgues lepetitjournal.com/shanghai  Mardi 16 juin 2015

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 15 juin 2015, mis à jour le 16 juin 2015
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