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SHANGHAI, QUAND L’EXPATRIÉ, C’EST LA FEMME - Portraits croisés de couples

Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 28 juin 2016

 Par Delphine Gourgues

Parmi les Français expatriés à Shanghai, il existe de nombreux couples où celui qui détient le visa magique qui a permis la migration de la famille, c'est l'homme. Mais depuis quelques années, une nouvelle catégorie émerge, celle des couples où l'expatrié, c'est Madame. Ces foyers sont encore minoritaires, mais il semblerait que cette tendance se développe peu à peu au fil des ans. Nous avons interrogé quelques-uns de ces couples, afin de connaître leur histoire, de savoir comment ils vivent cette situation et de se demander s'il y a finalement une réelle différence? 

De gauche à droite : Christèle et Bruno, Frédéric et Gaëlle, Eric et Caroline

Au départ, un projet familial d'expatriation

Nos couples témoins vivent à Shanghai leur première ou deuxième expatriation. Agés de 30 à 50 ans, ils sont tous venus avec des enfants. De façon unanime, l'expatriation était pour eux un projet familial, un réel désir à la fois professionnel et personnel. Cette envie commune est source d'énergie pour tous ces couples, ce qui participe certainement à la réussite du projet. Une occasion de "donner à nos enfants une ouverture d'esprit sur un monde futur si marqué par la Chine et les Chinois" qui a notamment beaucoup séduit Christèle et Bruno.

Quand la proposition d'expatriation pour la Chine est tombée, certains ont accepté tout de suite sans aucune hésitation : "Nous visions l'Asie, parce que c'est là que ça se passe, et Caroline connaissait bien. Puis entre Istanbul, Singapour et Shanghai, on a préféré Shanghai tout de suite !", confie Eric. D'autres ont eu besoin de réfléchir, la pollution est un sujet d'inquiétude majeur pour les enfants. "Mais un an après notre refus, mon employeur nous a fait une nouvelle proposition, toujours pour Shanghai. Le destin nous avait attendus, nous sommes partis !", raconte Christèle.  Olivier et Lydie avaient déjà vécu à Hong-Kong mais sur une durée trop courte (un an), ils voulaient donc repartir. "Nous devions aller à Pékin mais nous avons refusé. La société de Lydie a accepté que nous soyons basés à Shanghai, et Lydie fait des allers/retours."

Pour d'autres, cette expatriation peut aussi être une façon de se retrouver et démarrer une nouvelle vie. "Nous avons souvent été séparés géographiquement. Mais quand nous nous sommes posés en province, Gwen n'y trouvait pas réellement son compte. Shanghai s'est présenté comme une belle opportunité pour nous !", nous dit Anne. De même pour Stéphane qui ne se retrouvait plus dans les valeurs de son entreprise en France : "quand Laurence a eu cette proposition pour Shanghai, on s'est décidé très vite". Pour Frédéric, venu avec sa femme Gaëlle, cela a été une occasion de se rapprocher de sa fille (issue d'une première union).

Frédéric, Chloé sa fille, et Gaëlle

Trouver un nouvel équilibre familial

Côté familial, le bilan est plutôt très positif. Pour Caroline et Eric, "cette expérience a beaucoup renforcé l'esprit de famille [?]. Nous prenons plus le temps d'échanger, de communiquer. Et nous explorons ensemble cette partie du globe". Christèle reconnaît aussi que "le challenge, voire l'austérité de ce nouvel environnement resserre les liens de la tribu autour du couple."

Souvent le père avait déjà un pied dans l'organisation familiale en France. "Je gérais déjà pas mal de choses à la maison, donc la différence n'est pas énorme", raconte Bruno. Il en est de même pour Olivier, mais ce n'est pas ce qu'il préfère : "entre la paperasse, les déménagements, la gestion du quotidien à la maison, heureusement qu'on a une ayi !" avoue-t-il. Quant à Gwen, il s'était déjà arrêté un temps pour se consacrer pleinement à leur fille après sa naissance : "Il faut arrêter de mettre les hommes et les femmes dans des cases [?]. Si les hommes veulent s'occuper des enfants, pourquoi pas !", nous dit Anne, sa femme.

Pour Stéphane et Laurence, les débuts ont cependant été très délicats : un départ précipité, une séparation difficile avec deux enfants étudiants laissés en France, un dernier en classe de terminale qui a eu du mal à s'adapter pour juste un an, un contrat en local "amélioré"? Mais aujourd'hui, ça va beaucoup mieux, notamment grâce à toutes ces nouvelles amitiés et de nombreuses rencontres : "Les gens sont plus ouverts ici, il y a beaucoup moins de barrières sociales". Ils se sont aussi tous les deux mis au ping-pong en club pour côtoyer des Chinois, un rendez-vous hebdomadaire qu'ils apprécient !

Laurence et Stéphane au club de ping-pong

Plusieurs de ces hommes en profitent aussi pour se (re)mettre au sport. Olivier enchaîne des kilomètres à vélo, explorant des coins reculés de Shanghai. Eric s'est mis sérieusement à la plongée lors de séjours aux Philippines. Bruno, tout comme Gwen d'ailleurs, fait du triathlon avec quelques copains, eux aussi "maris d'expats". Et plusieurs aiment à se balader dans Shanghai, marcher des heures, prendre des photos, écouter battre le c?ur de cette ville unique au monde?

Retrouver un job pour l'homme, pas vraiment simple

Rentrons dans le vif du sujet, le travail? Car tous ces hommes étaient auparavant en poste, souvent avec de grosses responsabilités, ou en recherche active. Qu'en est-il à Shanghai ?

Eric, qui a créé sa société de service informatique en France il y a plusieurs années, continue de la gérer à distance. "Un véritable challenge à 12.000 km et avec 6 à 7 heures de décalage horaire ! Je rentre en France en moyenne une semaine tous les deux mois". Il fait aussi du bénévolat au sein de Shanghai Accueil, apprend le mandarin à raison de 3h de cours particuliers par semaine et fait partie du club APM Shanghai Express (Association Progrès du Management).

Eric et Caroline

Bruno était responsable informatique en entreprise. Quitter son job ne lui a posé aucun problème, "je ne m'y épanouissais plus vraiment". A Shanghai, il a mis ses compétences au service des autres, en développant une solution pour se connecter facilement à internet (avec les 3 lettres magiques). Même si cette activité professionnelle ne lui assure pas d'autonomie financière ? ce qui reste difficile à accepter ? elle l'occupe beaucoup et lui permet de rencontrer pas mal de monde.

Frédéric était persuadé de retrouver un travail rapidement, car il avait déjà vécu plusieurs reconversions professionnelles. Après avoir pris des cours intensifs d'anglais puis de chinois, il a vite déchanté, réalisant qu'il lui faudrait beaucoup de temps pour prétendre à un poste de management avec une équipe chinoise? Puis un projet d'entrepreunariat s'est avéré plus difficile que prévu. Une fois le constat "digéré" par le couple, "on a décidé de positiver et de vivre cette expatriation comme une chance. On a dû tous les deux trouver notre place."

Gwen avait déjà vécu cette situation de père au foyer en France, mais comptait bien sur Shanghai pour relancer sa carrière dans la business intelligence. Il s'est mis au mandarin intensif et au bout d'un an, va passer le HSK3. Pour lui, "avoir un travail structure non seulement sa vie professionnelle, mais aussi sociale, donc sa vie tout court. Sans travail, on est livré à soi-même?". Après une année de fréquents retours en France pour raisons personnelles et de leçons de chinois, il va se mettre activement à rechercher du travail dès la rentrée.

"La Chine n'est plus un eldorado" (Crédit photo : Olivier)

Olivier, qui avait réussi à travailler à Hong-Kong comme consultant pour son ancien employeur (dans le secteur de la santé), a du mal à se repositionner à Shanghai. Il a assuré quelques études de marché pour des sociétés qui voulaient s'implanter en Chine "mais le constat est souvent le même, la Chine n'est plus un eldorado, les règles se sont durcies et mes recommandations étaient souvent de ne pas se lancer !". Pas très satisfaisant sur le plan intellectuel? Par ailleurs, les entretiens de recrutement sont beaucoup plus difficiles à décrocher à Shanghai et les salaires proposés misérables? "Je regrette de ne pas avoir eu/pris le temps de préparer cette expatriation?", avoue-t-il.

Stéphane fait le même constat. Il a décroché plusieurs entretiens mais sans succès pour le moment, et avec des propositions financières très basses, malgré ses quinze ans d'expérience, notamment de la part des entreprises françaises ! Il s'est donc lancé activement dans le networking auprès de plusieurs groupes d'entrepreneurs, notamment dans la French Tech Healthcare, puisque c'est son domaine d'expertise. "J'ai besoin de retrouver un job car je veux continuer à me construire dans le travail !".

Et Madame, comment vit-elle la situation ?

Les femmes, elles, sont plutôt très satisfaites de cette expatriation. "Une expérience extraordinaire pour moi, avec une équipe 100% chinoise à gérer, mais qui heureusement parle parfaitement anglais !" nous dit Lydie.  Le bémol pour elle, c'est que son mari n'ait pas trouvé d'alternative professionnelle satisfaisante.

Christèle et Bruno

Christèle apprécie avant tout "les rencontres riches et variées, loin de son environnement de référence. Un tel contexte est stimulant et marque une évolution personnelle forte". Caroline a un travail passionnant, mais qui lui demande beaucoup d'énergie et de mental, notamment en raison de ses nombreux déplacements en Chine. "On apprend, on grandit à une vitesse sidérante [?], il faut être à l'écoute en permanence, le management multiculturel n'est pas aisé mais tellement énergisant et enrichissant !".  Côté personnel, les six premiers mois furent les plus compliqués, "il fallait que tout le monde se fasse une place dans la famille, y trouve son compte", poursuit-elle. Heureusement, "la communauté francophone est bienveillante, soudée et l'entraide spontanée", constate-t-elle.

Pour Laurence, "l'expatriation nécessite de se remettre en question, mais également de bien connaître ses assises et valeurs. [?] Au travail, il faut se montrer à la fois souple et intransigeante, changer de tactique sans oublier son objectif. Garder confiance et patience".

Le regard social, quelques progrès mais peut mieux faire?

Le ressenti sur le sujet est assez variable selon les situations. Chez Christèle et Bruno, c'est un sujet très important pour leurs enfants : quelle est la place du père, le rôle de la mère, pas toujours facile à intégrer. "La vigilance sur l'épanouissement réciproque" aide à y voir plus clair. Bruno apprécie le petit réseau de maris d'expats avec lesquels il pratique le sport. Mais pour lui "le regard des autres n'est pas toujours facile, surtout en France. Les gens sont moins ouverts".

Chez Anne et Gwen, le schéma familial était déjà atypique puisque le père d'Anne était homme au foyer alors que sa mère travaillait. "Ici on s?est fait un bon groupe de copains, les couples dans notre cas sont finalement assez nombreux chez les 30/40 ans, et les gens sont ouverts [?] Il y a même des hommes qui envient Gwen et se feraient bien un petit break !", constate Anne.

Pour Olivier, l'entourage proche et familial ne pose pas de problème, c'est plutôt à Shanghai que ça coince, les schémas traditionnels ont la vie dure? "Je ressens régulièrement des jugements de la part de couples que l'on rencontre. Peu d'hommes qui travaillent comprennent qu'on puisse démissionner pour suivre sa femme !".

Chez Caroline et Eric, pas de problème, sans doute parce qu'Eric a réussi à garder une vie professionnelle intense. Et d'ailleurs selon eux, "si l'expatriation féminine reste minoritaire, on voit de plus en plus de couples où les deux gardent une activité professionnelle". Et pour Stéphane et Laurence, aucun souci avec le regard social : "quand je dis que j'ai suivi ma compagne, je n'ai que des compliments sur le fait de l'avoir soutenue".

Et si c'était à refaire ?

A cette question, tous les couples répondent oui ! Voyages fabuleux en Chine, "ouverture à l'Asie plurielle", découverte d'une culture différente, liens familiaux resserrés, des enfants plutôt heureux, sont les principales raisons évoquées. "Nous avons déjà des idées pour d'autres aventures !" confie Christèle. Son mari Bruno est partant, car "le plus dur c'est la première fois !". Pour Caroline et Eric, même bilan, "nous avons fait beaucoup de nouvelles rencontres, ça fait du bien parfois de sortir de son cercle d'amis". Le dynamisme de Shanghai y est aussi pour beaucoup.

"Voir au quotidien les changements que vit ce pays, c'est une chance !" confie Olivier. Mais il précise qu'il ne repartira pas sans préparer son atterrissage professionnel dans le prochain pays? Stéphane et Laurence sont eux aussi partants pour rester quelques années à Shanghai (et partir ailleurs ensuite). "Mais à une condition, que je retrouve du travail d'ici un an maximum !", précise Stéphane.

Beijing Lama Temple (Crédit photo : Olivier)

Nous laisserons le mot de la fin à Christèle : "Vivre l'expatriation comme une aventure ou un sacrifice est déterminant dans le succès global de l'expérience". Et Caroline et Stéphane ont eu tous deux ces mêmes mots : c'est avant tout "une profonde expérience de connaissance et de révélation de soi". Que le contrat d'expatriation soit celui de l'homme ou de la femme, que l'on travaille ou pas, voilà sans doute LA raison pour laquelle l'expatriation est pour chacun d'entre nous une expérience inégalable?

Un grand merci à Lydie et Olivier, Caroline et Eric, Anne et Gwen, Gaëlle et Frédéric, Christèle et Bruno, Laurence et Stéphane, qui ont bien voulu témoigner sur ce sujet et nous faire partager leurs photos.

Propos recueillis par Marie-Eve Richet et Delphine Gourgues

Lire ou relire notre article sur le même sujet : HOMMES D'EXPAT ? Une espèce en voie d'apparition ?

Delphine Gourgues lepetitjournal.com/shanghai Lundi 27 juin 2016 

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 26 juin 2016, mis à jour le 28 juin 2016
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