LILIAN THURAM A SHANGHAI - "On ne naît pas raciste, on le devient !"

Vendredi 24 mars 2017, le Lycée Français de Shanghai a eu l'honneur d'accueillir Lilian Thuram, champion international français du ballon rond. Mais ce n'est pas pour parler de ses années d'or entre 1990 et 2008 que le footballeur est venu jusqu'en Chine. En effet, il cherche à faire connaître au-delà des frontières sa Fondation Lilian Thuram-Education, créée en 2008, afin de lutter contre le racisme. Rencontre avec un homme drôle et généreux, qui a compris que le vrai combat est à mener auprès des enfants, pour construire un monde meilleur. 

En ce vendredi matin, le théâtre du campus du LFS à Qingpu était plein à craquer ! Les élèves de CM2 et 6^ème des campus de Pudong et Qingpu, entourés de quelques-uns de leurs professeurs, étaient impatients et fébriles de voir en vrai la star de foot dont leur ont parlé si souvent leurs parents ! Dix d'entre eux avaient le privilège de siéger sur la scène, afin de poser quelques questions à ce grand sportif français, qui est une des figures emblématiques en France de la lutte contre le racisme. Voici ce que Lilian Thuram a partagé avec ces enfants.

 

Je suis devenu noir à l'âge de 9 ans

Pendant mes premières années, j'ai vécu une enfance simple et paisible à Anse-Bertrand en Guadeloupe. J'ai ensuite déménagé, avec mes frères et soeurs, à Bois-Colombes puis près de Fontainebleau, pour rejoindre ma maman, partie un an plus tôt trouver du travail dans la métropole. J'ai alors découvert le monde, fait des tas de rencontres, nous étions de multiples origines dans mon quartier des Fougères à Avon, c'était formidable ! Mais c'est aussi à cette période que j'ai découvert le racisme et que je suis devenu noir ! Et je me demandais pourquoi la couleur blanche était associée au bien et la couleur noire au mal, comme dans le dessin animé de la vache La Noiraude.

 

Le racisme est une construction intellectuelle

J'ai ensuite compris que cet état d'esprit n'était pas inné. Il résulte de l'Histoire, de ce que l'on raconte dans les manuels scolaires, des préjugés, très ancrés dans l'inconscient collectif. Nous aussi aux Fougères, on avait des a priori sur les "bourgeois" de Fontainebleau, avant de les connaître au collège ! Il en est de même avec la discrimination subie par les femmes encore de nos jours, preuve en est leur niveau de rémunération à compétences et responsabilités égales avec les hommes... Pendant ma carrière sportive, j'ai déjà entendu des cris de singe fuser dans les stades en Italie, lorsque je touchais la balle. Mais au sein de mes différentes équipes, je n'ai jamais été victime de racisme. Au foot (comme dans tout sport d'équipe), on poursuit un même objectif, on se connaît, on s'amuse ensemble, et donc on ne juge pas quelqu'un sur la couleur de sa peau.

 

Une fondation pour éduquer

Ma maman avait beau me dire "C'est comme ça, les gens sont racistes, tu n'y peux rien", je ne l'ai jamais accepté. En 2008, j'ai décidé de créer la Fondation Lilian Thuram-Education pour dire aux enfants que le racisme n'est pas naturel, et qu'ils peuvent changer le monde. Les enfants peuvent plus facilement tout questionner, construire leur liberté de penser et apprendre à réfléchir par eux-mêmes. Mais la route est longue... Qui n'a jamais pensé que les meilleurs footballeurs ou athlètes étaient noirs ? Que les Asiatiques étaient les champions du ping-pong ? C'est simplement parce qu'ils s'entraînent depuis tout petits ! Ou encore que l'Amérique avait été découverte par Christophe Colomb, alors que l'on sait bien que le continent était déjà peuplé d'Amérindiens... Tout est une question de discours, il faut rétablir la vérité et ne pas rester enfermé dans le regard des "dominants". Je voulais aussi être en paix avec mes ancêtres, capturés en Afrique et arrivés en Guadeloupe comme esclaves. Ils se sont battus pour que les sociétés changent.

 

Que faire pour lutter contre le racisme ?

Pour aider les victimes, il est important de leur dire que ce sont les racistes qui ont un problème, et non pas eux ! Apprendre à s'aimer soi-même, avoir confiance en soi, accepter que se tromper, c'est avoir une opportunité de progresser, ce sont les plus beaux cadeaux que l'on puisse faire aux autres !

J'ai aussi écrit plusieurs ouvrages pour parler du racisme. Par exemple, Mes Etoiles Noires : de Lucy à Barack Obama est un livre né de l'envie de parler autrement des personnes noires, de dire que l'histoire des Noirs n'a pas commencé avec l'esclavage, mais bien avant ! Tous super-héros (BD sortie en 2016) raconte un jeu organisé par une maîtresse, pour faire appréhender à ses élèves la société, avec ses injustices et ses positions arbitraires, et les faire réagir. Il y a encore la BD Notre Histoire, dont le tome 2 va sortir en mai prochain, qui est un vibrant hommage à tous ceux qui m'ont influencé et forgé ma pensée, à commencer par ma mère, Mariana, qui m'a permis de devenir qui je suis, je lui dois tant !

À tous les élèves vivant à l'étranger, comme ceux du LFS par exemple, je voudrais dire que vous avez une chance incroyable d'être plongés dans cette mixité culturelle et linguistique. N'oubliez pas de vous enrichir sans cesse de l'autre !".

 

Tous des citoyens du monde

La rencontre s'est terminée par la présentation d'un magnifique clip réalisé par le LFS, pour la Fondation Lilian Thuram. Après cette "belle leçon de citoyenneté", comme l'a dit M. Houille, proviseur du lycée, les 240 enfants se sont rassemblés sur la pelouse autour de la star du jour, pour faire une belle photo souvenir.

Et puisque le 30 mars débute au LFS la 6^ème Coupe d'Asie de football, Lilian Thuram (qui a d'ailleurs été le parrain de la Coupe du monde de foot des lycées français à l'étranger en 2014 au Brésil) encourage les jeunes joueurs à toujours élargir leurs groupes de connaissances, "soyez conscients qu'au-delà du français, la langue commune qui vous rassemble, vous êtes tous des êtres humains, citoyens du monde".

Pour en savoir plus sur la Fondation Lilian Thuram-Education : http://www.thuram.org/site/en

(Crédits photos 1-2-5 : LFS, 3 : Delphine Gourgues)

Propos recueillis par Delphine Gourgues - Mercredi 29 mars 2017