Les réunions du Comité Permanent et du Bureau Politique s’enchaînent à une cadence rarement vue, mais le pouvoir semble tiraillé entre la nécessité économique d’ouvrir les vannes (les indices PMI manufacturier et des services étant au plus bas en février – 35,7 et 29,6 respectivement, contre 59 et 54 auparavant ) et les contraintes sanitaires, nécessitant une vigilance accrue en période de retours.
Selon le Ministère des transports, un peu moins d’un tiers des 291 millions de migrants auraient rejoint leur lieu de travail au 14 février. 120 millions supplémentaires étaient attendus fin février, et 100 millions d’autres courant mars. Le 24 février, un communiqué voulait que les visiteurs coincés à Wuhan et ne présentant aucun symptôme, seraient autorisés à rentrer chez eux. Quelques heures plus tard, un démenti officiel était publié, affirmant que le communiqué avait été émis sans autorisation, reflétant ainsi l’hésitation qui règne chez les décisionnaires. A Qingdao, Weihai, Yantai, Dalian, Yanbian, alors que tout semblait aller mieux, la menace venue d’ailleurs (Corée du Sud, Japon) forcent ces villes à se refermer. Dans la capitale, les critères de quarantaine pour les nouveaux arrivants ne cessent de changer. Si les restrictions à l’échelle provinciale sont tombées dans 15 provinces pour passer à des contrôles par districts, les mesures se font toujours plus strictes à Pékin, tranchant avec des chiffres de contamination proche de zéro chaque jour. Le cas d’un « cluster » dans un dortoir de l’agence nationale de cybersécurité (11 cas, 178 en observation) poussait les autorités à avertir de leur tolérance zéro (cas), sous peine de sanctions. De même, le fait qu’une ex-détenue à Wuhan ait réussi à rejoindre Pékin, en déjouant les innombrables contrôles routiers, scandalisait l’opinion. Elle faisait partie des 300 contaminées de sa prison. Suite à cette échappée, 16 cadres étaient sanctionnés. Si la capitale fait l’objet d’une attention toute particulière, notamment dans le discours inédit qu’adressait le Président Xi Jinping en téléconférence à 170 000 cadres et militaires le 23 février, c’est que Pékin représente le cœur politique du pays, et doit à tout prix rester immunisé au virus.
Toutefois, tout semble indiquer que la Chine a réussi à renverser la vapeur. C’est peut-être cette sensible amélioration qui a permis aux 12 experts étrangers envoyés par l’OMS de faire une dernière étape à Wuhan, non inclue dans le programme initial. Suite à cette brève visite, le Canadien Bruce Aylward félicitait la Chine pour ses mesures, et appelait le reste du monde à s’en inspirer. Il affirmait également que les chiffres officiels reflètent la réalité du terrain. S’il admettait que le pays avait tiré une amère leçon de sa réponse tardive, il reconnaissait toutefois que les mesures draconiennes chinoises seraient difficiles à dupliquer dans d’autres pays. Et la situation se dégrade à l’étranger : la Chine annonçait son premier cas « importé », venu d’Iran au Ningxia le 26 février. Le lendemain, son plus faible nombre de décès journalier avec 29 morts. Le même jour, le nombre de nouveaux cas à l’étranger dépassait pour la première fois celui en Chine. Bonne nouvelle le 29 février : le nombre de patients guéris dépassait celui des malades. Cependant, Zhong Nanshan, l’expert national, ne se risquait pas à annoncer que le pic de contamination était atteint et prévoyait que la situation serait sous contrôle fin avril. Le professeur de 83 ans déclarait tout de même que le nombre de cas aurait pu être sensiblement réduit si des mesures avaient été prises dès décembre ou début janvier, tandis qu’attendre quelques jours de plus (après le 20 janvier) aurait conduit à atteindre la barre des 100 000 cas. Dr Zhong appelait aussi à donner plus de pouvoirs au centre épidémiologique national (CDC) et ses ramifications locales. Enfin, il jetait un pavé dans la mare en affirmant que : « si l’épidémie s’est déclarée dans le pays, cela ne veut pas forcément dire que la Chine en est la source ». En parallèle, un reportage d’une TV japonaise devenait viral sur les réseaux sociaux chinois : il avançait que les 14 000 Américains décédés de la grippe auraient en fait contracté le Covid-19 sans le savoir… Cette théorie suggérait ainsi de reporter la responsabilité de l’épidémie sur l’étranger.
Justement, hors frontières, la progression du virus semble irrésistible. Ironiquement, l’Italie, qui était la première à fermer ses frontières aux avions en provenance de Chine, se trouve la première touchée en Europe. L’Occident, qui pourtant avait l’avantage d’être sur ses gardes avant l’arrivée du virus, fera-t-il mieux que la Chine pour le contenir ? En attendant, le régime chinois peut commencer à préparer l’après-épidémie et son récit victorieux face à « sa plus grave urgence sanitaire depuis 1949 ».