Édition internationale

SHANGHAI "VILLAGE" – Le lilong de Didier

Écrit par Le Petit Journal Shanghai
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 février 2018

Il est 9h00, à 5 minutes de la station de métro Shaanxi Lu, j'ai rendez-vous au numéro 39. Juste en face de la Xinle Lu , un véritable coin de campagne m'attend... Dans l'allée de lilongs avec des jardinets sur le devant de porte, le soleil d'automne brille à travers les gingko biloba, au fond un homme me salue amicalement... C'est Didier Pujol, un guide pas comme les autres... Je vous propose de partir à la découverte des alentours de la Huai Hai Lu  en sa compagnie...

Ici, c'est son coin de paradis, il y vit depuis à peine un an avec son épouse chinoise et son fils. Dès qu'il a su qu'une maison s'y libérait, il a sauté sur l'occasion. Il nous y reçoit autour d'un tasse de thé, du Puer le thé du Tibet dont il nous relate l'histoire .... La maison est typique de l'habitat traditionnel local, mais a été aménagée pour le confort moderne. 

Tout à l'heure, on visitera celle de Feng Zikai, un célèbre illustrateur pour livres d'enfants qui abrite aujourd'hui un petit musée. Celle-ci est restée dans son jus, là où les cloisons ont été abattues chez Didier, les pièces ont gardé leur dimension d'origine, là où la charpente de bois reste soumise aux termites..., la structure métallique est plus saine. Mais le même charme s'en dégage, l'exposition plein sud permettant aux rayons de soleil de pénétrer par les petites fenêtres à travers les feuilles des arbres... D'ailleurs, la maison de Feng Zikai a même été rebaptisée la maison du soleil et de la lune (Riyuelou). Heureusement pour lui, car le pauvre homme, un  intellectuel a été emprisonné pendant la révolution culturelle dans sa propre maison pendant 8 ans, dans une cellule miraculeusement ouverte sur l'extérieur...

Le quartier de Verdun, un charmant mélange des genres

Du côté de la rue Jinxian, règne une ambiance à la fois populaire et paisible, un petit peu « bobo », dans l'air du temps... . Les cafés et boutiques branchés côtoient les allées de lilongs qui constituent à elles seules un village : on y trouve de tout pour satisfaire la vie quotidienne, marchands, serrurier, coiffeur, et surtout restaurants locaux.... On a ainsi testé la cantine  préférée de Didier, une gargote familiale à l'ambiance bistro où l'on s'est régalé de plats typiquement shanghaiens : crevettes sautées craquantes et sucrées, porc mariné à la sauce rouge, oseille rafraîchissante, tripes à la sauce soja...

Ici, la vie de voisinage est intense et tout le monde se connait, il est vrai que comme nous l'explique Didier la plupart de ses voisins sont des descendants de fonctionnaires de l'époque de Mao. Le siège régional du Parti était installé à côté et les lilongs étaient des logements publics. Sur l'arrière, dans les parties de service, les logements ont été ensuite redistribués par le district.

Des notables, plus ou moins fréquentables

De là, nous partons à la découverte d'un quartier plus cossu et commerçant, autour de la Huaihai Lu, cette artère de 12 km qui traverse tout Shanghai et qui sur cette portion était le coeur névralgique du Shanghai des années folles. C'est ici, Avenue Joffre, que la vie mondaine et nocturne shanghaienne battait son plein dans les années 20 : le cinéma Cathay encore en activité, la salle de pelote basque, un sport très en vogue en ce début du siècle, aujourd'hui reconvertie en grand magasin « Le Printemps » et à deux pas le célèbre Club Sportif Français, une sorte de country club, où se trouvait la plus grande piscine de Shanghai (54 m couverte !) et surtout la salle de bal la plus courue de Shanghai. Comme le dit le dicton populaire « Le monde est en guerre », rappelons-nous qu'on est dans la période d'entre deux-guerres mondiales, et aussi de la guerre sino-japonaise, « mais Shanghai danse toujours... », c'est ici que s'empressaient les mondains de l'époque, pour acheter les plus chers jetons de danse et s'attacher les charmes des hôtesses de bal. Les notables, comme le comte du Pac de Marsoulies qui vivait route Delattre (actuelle rue Tayuan), fréquentaient les gangsters de la Bande Verte comme « Du les grandes oreilles » dans sa villa de la rue Wagner (actuelle Ninghai Lu)... En ce temps-là, « il faisait bon être gangster à Shanghai... ». Didier qui connaît bien les Chinois nous relate que certains aujourd'hui encore entretiennent ce paradoxe : à Shanghai, les plus belles affaires se conclueraient dans la société « Haipai », comme les plus belles arnaques...

Le quartier d'est en ouest

Mais nous sommes allés un peu vite... Si tout ce « beau » monde, quelques 1 300 Français, peut se divertir et se loger dans cette zone, si protégée des aléas de la guerre (on raconte même que des toits des hôtels, à la lisière nord, on allait « admirer « les feux qui tombaient sur le quartier japonais de Chapei (l'actuel Zhabei), c'est grâce à 400 000 Chinois qui pour certains ont construit ces immeubles et ces villas. Le quartier s'est donc bâti à partir de l'Est. C'est là, près du Parc Fuxing, que l'on trouve des lilongs plus modestes, sortes de cités ouvrières où la vie sociale est très organisée, si ce n'est policée : de grandes affiches prônent des consignes de sécurité en cas d'incendie, mais aussi des règles de vie sociale : respecter les vieux, les veuves et les orphelins.... La vie collective est encouragée : distributeurs d'eau et machines de sport en pleine rue, journal affiché sur des panneaux...

Un peu à l'Ouest, sur la Sinan Road, Didier nous emmène voir de plus près de belles demeures, les premières construites par ces mêmes ouvriers. Certaines ont été reconverties en hôtel, mais d'autres, a l'époque de Mao ont été compartimentées pour plusieurs familles qui y ont été affectées. On ne pourrait être mieux loti.... Le jardin est bucolique, la bâtisse a une allure de manoir, mais là encore, le principe de communautarisme est de mise : cuisines collectives au rez-de-chaussée ou dans la cour, parfois aussi des sanitaires communs, les vélos sont entassés dans le couloir, et aux étages, chaque famille a son espace. Les compteurs électriques sont là pour nous rappeler combien de familles vivent sous le même toit, généralement 10/15. Tout le monde se côtoie et vit sous l'oeil du voisin, pour le meilleur et pour le pire... La vie privée n'a pas beaucoup de place ici.

Pour Didier , « l'Histoire aide à mieux connaître et comprendre les gens «. Quant à nous qui avons partagé une journée avec lui, nous avons découvert grâce à lui la vie intime d'un quartier qu'il nous a fait vivre et nous a raconté...

Didier Pujol organise des tours sur-mesure dans Shanghai, retrouvez toutes ses coordonnées dans les Bons Plans et dans l'agenda culturel.

Marie-Eve Richet (Rediffusion www.lepetitjournal.com/shanghai). Lundi 11 février 2013



 

 

Le Petit Journal Shanghai
Publié le 10 février 2013, mis à jour le 8 février 2018
Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos