

Actuellement visible au Jing An Sculpture Park, « Doors to memory », la sculpture monumentale de Zoé Vayssières, vient cristalliser des années de quête : sublimer la mémoire des villes. Et depuis cinq ans, celle de Shanghai.
Enfant, Zoé se souvient d’avoir été baignée dans une ambiance d’un Paris perdu, celui des années 1950-60, que son père, photographe, tentait de capturer sans relâche. Conserver les vestiges d’une âme, qui finira par s’évaporer avec le temps. Une graine est alors plantée dans l’esprit de la future créatrice, qui bourgeonnera au fil des années, pour mûrir sous bien des formes.
Diplômée des Arts Décoratifs en 1996, Zoé débute une carrière de directrice artistique, auprès d’agences événementielles, cabinets d’architectes, entre autres, pour lesquels elle met au point des idées, des histoires, des idées d’histoires… des "boites à outils" selon ses mots, afin de développer leurs concepts.
Mais c’est surtout pour les publications de ces agences qu’elle se passionne et où elle excelle : outre le story telling, elle s’adonne plus largement à l’agencement des images et des mots entre eux, invente et expérimente toutes sortes de combinaisons et de mises en scènes sur le papier. C’est alors qu’elle se lance et réalise – ou plutôt orchestre – son premier livre "à elle" : Le titre dans tous ses états. Celui-ci – dont elle dit humblement ne pas "vraiment être l’auteure" – est composé d’entretiens et de rencontres, qu’elle a su agencer avec pertinence et esthétisme. Ce qu’elle aime dans son métier – et c’est bien le terreau de l’artiste qu’elle devient alors – c’est "écrire une histoire. Rechercher, fouiller les trésors passés, les mettre en valeur et leur ajouter des mots".

En 2013, après 15 années de carrière à Paris, elle débarque à Shanghai. "Une asphyxie et une fascination. Cela a été un vrai choc". Les premiers pas dans la ville se sont faits grâce aux mots. Refuges depuis toujours et portes vers le monde, les moments que Zoé passe à écrire rigoureusement chaque matin à propos de cette ville méconnue, la poussent vers elle. Zoé rencontre alors, animée par le désir de connaître l’histoire de cette mystérieuse cité, qu’elle pressent extraordinaire, des experts, des historiens, des architectes… Bref, "des amoureux de Shanghai". Et se prend, elle aussi, de passion pour cette ville, au fil de ses rencontres et instants passés dans ses entrailles.
Absorbée par le grenier à ciel ouvert que Shanghai incarne, Zoé commence à collecter de petits trésors : paniers, morceaux de shikumen, briques shanghaiennes et estampillées - d’une provenance ou d’un caractère -, tabourets, etc. Les vestiges d’un Shanghai qui disparaît à grande vitesse. Elle développe alors une pratique particulière, qu’elle baptise "Objectographie" : en prenant soin de conserver l’ensemble des détails de l’usure de l’objet choisi, d’en "garder l’émotion" elle coule ensuite cet objet dans du bronze, en révélant ainsi la mémoire et le métamorphosant en œuvre d’art. Une histoire sublimée. Un processus artistique qui correspond selon elle à une continuité. Car Shanghai, passé le choc premier de l’arrivée, a finalement fait surgir ce qui se mouvait, ce qui se tramait en elle depuis toujours… "Shanghai a été un volcan".
Discrète, Zoé n’a pas de galerie attitrée à Shanghai et se montre peu. Elle travaille et reste concentrée. Car son "objectographie" nécessite un processus long, techniquement, et intellectuellement… C’est d’ailleurs la première fois qu’elle se risque à réaliser une sculpture de cette ampleur et exposée à la vue de tous. D’habitude, les œuvres qu’elle crée sont à échelle humaine. Mais de sa plus petite réalisation à ces portes monumentales, le rapport à l’intime et l’émotion, que chacune d’entre elles reflète, est tout aussi puissant.
Son fantasme ? Créer, à travers Shanghai, un chemin - ou un labyrinthe - de briques monumentales, toutes estampillées différemment… Comme un échantillon géant des racines de la ville. Une installation qui aurait l’allure du questionnement essentiel que pose l’ensemble de l’œuvre de Zoé : "De quoi nous souviendrons-nous de notre passé ?".

A Shanghai, l’artiste a ses quartiers de prédilection. Beijing Lu "car c’est une rue mal connue... et pourtant elle regorge de trésors ! On y passe d’un monde à l’autre… et le quartier autour du temple de Confucius : "C’est le quartier des Lettrés, très local, avec un mix architectural incroyable et informel. C’est un quartier encore organique, il me touche beaucoup". Inconditionnelle de l’ex-concession française – "idyllique !" - où elle vit, son moment "magique" réside dans l’art de siroter un thé au Yongfu Elite, un lieu élégant… et caché.
Informations pratiques :
Doors to memory (Sculpture en bronze, 2018. 325cm x 325cm x 69cm) est exposée dans le cadre du Shanghai Jing’An International Sculpture Project « City Unbounded » jusqu’au 20 décembre 2018. Seule artiste femme et française représentée. Parmi les artistes, Erwin Wurm, Joseph Klibansky et Win Delvoye.
Tous les détails dans notre agenda.
Crédits :
Le titre dans tous ses états, 2013, éditions Archibooks.
Photos : François Trézin, Florence Guizot
