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L’irrigation au Brésil: vers un épuisement des ressources en eau?

irrigation par pivot central au Brésilirrigation par pivot central au Brésil
Irrigation par pivot central - (Canva)
Écrit par Felipe Toniato
Publié le 13 avril 2021, mis à jour le 9 février 2024

Au Brésil, l’eau a longtemps été considérée comme une richesse inépuisable. Cependant, son utilisation immodérée par l’agrobusiness pourrait mettre le pays à sec.

Peu de pays au monde possèdent un tel réseau hydrographique : bassin amazonien, chutes d’Iguaçu, Pantanal et aquifère Guarani (plus grosse nappe phréatique au monde), tout cela  se trouve sur le même territoire. Ajoutons à cela un indice pluviométrique de 2000 mm en moyenne (800 mm en France): cela représente, en effet, beaucoup d’eau.
Néanmoins, de récents événements climatiques, tels qu'El Niño, ou le réchauffement de la planète, sont en train de faire chuter cette moyenne. Si cela échappe pour l’heure à la sphère gouvernementale brésilienne, un facteur clé, maîtrisé lui par Brasilia, devrait jouer un rôle déterminant dans le futur de l’eau : l’irrigation.

8,2 millions de terrains de foot

49,8% des ressources en eau potable disponibles sont aujourd’hui utilisées pour irriguer les champs agricoles. Après l’irrigation, nous avons un partage des eaux comme suit : 24,3% pour l'approvisionnement en eau dans les villes, 9,7% pour l’industrie, 8,4% pour l’élevage, 4,5% pour les centrales thermiques, 1,6% pour les petits producteurs ruraux et 1,7% pour l'exploitation des mines.
L’ensemble du réseau d’irrigation brésilien fait 8,2 millions d’hectares. Ceci est équivalent à 8,2 millions de terrains de foot. D’après l’« Atlas de l’irrigation » (siteweb dévéloppé par l’Agence nationale de l’eau - Agência Nacional da Agua, ANA, en portugais), l’irrigation est le principal moyen d’utilisation d’eau potable au Brésil. Selon cette même source, l’agriculture par irrigation utilise, chaque année, 29,7 mille milliards de litres d’eau.

Des melons dans le désert

Des fruits à volonté toute l’année… un rêve de consommateurs? Avec les systèmes d’irrigation employés cela devient une réalité. Cette technique permet par exemple de cultiver du melon dans le “Semi-aride“ (région couvrant le « sertão » brésilien, de l’État du Piaui jusqu’au nord de Minas Gerais) ou de la canne-à-sucre, plant très gourmand en eau, dans la savane de la région Centre-Ouest.
« L’irrigation supprime l’un des principaux facteurs de stress dans la production agricole : le manque d’eau », commente Fernando Campos de Mendonça, professeur à l’Esalq (École supérieure d’agriculture Luiz de Queiroz) de l’Université de São Paulo. Plus besoin de dépendre des cycles de pluie naturels pour l’arrosage, avec en prime une production 2 à 3 fois supérieure sur l’année. Le rêve…

4% de champs irrigués en plus par an

Mais attention, l’eau qui sert à irriguer les champs est la même que l’on boit au robinet. Toutes les deux formes d’usage - particulière ou agricole - puisent directement dans les nappes phréatiques, ou dans les bassins existants.
Cependant, il n’est pas si simple d’aller y puiser. Toute exploitation est obligée d’avoir des autorisations d’utilisation d’eau de source. Celles-ci sont accordées après une étude de l’ANA sur la disponibilité d’eau sur le réseau auquel sera raccordé le système. Afin d’éviter toute “concurrence“, des sanctions, voire une révocation de l’autorisation, sont prévues dans les cas d’abus.
Cependant, malgré le parcours du combattant au niveau réglementaire, le secteur est en pleine expansion et montre une croissance de 18,96% dans l’utilisation d’eau, soit 249.225 mille hectares de plus en 2020 (source CSEI, chambre sectorielle d'équipements d’irrigation et l’Abimaq, l’Association brésilienne de machines et équipement rurales). Pour l’ANA, le taux d’accroissement est de 4% par an. Si l’on suit le trend actuel, on peut prévoir 75% d’hectares supplémentaires qui seront irrigués vers 2050.

Irriguer même par temps de pluie

Certes, l’irrigation est un miracle productif, qui offre tout ce que le consommateur peut souhaiter, quand il le souhaite. Mais est-ce la voie à suivre? L’irrigation artificielle des champs ne tourne pas toujours si rond que ses machines. Elle a aussi son revers, qui s’appelle le gaspillage, et sur lequel il n'existe pas de statistiques officielles au Brésil.
Selon l’expert Luis Fernando Guedes Pinto, de la fondation SOS Mata Atlantica : « on observe des exploitations où le fonctionnement de l’irrigation est erroné. Seules les feuilles sont irriguées et cela vient diminuer son efficacité. Le plant ne profite que de l’eau qui arrive à ses racines. Tout ce qui n’arrive pas aux racines est perdu ». Ce type d’arrosage, que l’on appelle d’irrigation à pivot central, est le plus gaspilleur, mais aussi le plus utilisé. Un autre facteur de perte est l’utilisation indifférenciée du système: parfois, on irrigue sans prendre en compte s’il va pleuvoir ou si le sol est déjà humide. Sans parler enfin des exploitations vétustes par manque d’entretien et défaut de contrôle par les autorités.

Consommateurs responsables?

En réalité, il y a de gros intérêts en jeu, et l’agrobusiness, avec sa surpuissante représentation politique, est le grand gagnant de cela. Puisant de l’eau potable là où elle est le plus nécessaire, pour nourrir des champs de monoculture extensive, ce modèle de business, très loin de l’image du petit producteur avec son tuyau d’arrosage, ne profite en réalité qu'à une poignée de personnes.
Des machines qui font des centaines de mètres et qui nécessitent peu de main d'œuvre, voilà le modèle dominant. Mais nous les consommateurs, pouvons aussi jouer un rôle actif, veillant à acheter plus consciemment. Acheter local, de saison et de préférence aux agriculteurs familiaux sont des pratiques à utiliser sans modération. Car l’eau, au contraire des apparences, n’est pas infinie.

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