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Quand Karl s'invite à SF : portrait intime du brouillard le plus célèbre du monde

Il est 15h à Dolores Park, le soleil brille et les San-Franciscains bronzent en short. À quelques kilomètres de là, sur Ocean Beach, des promeneurs emmitouflés dans leurs parkas affrontent un épais brouillard qui transforme l'après-midi en soirée d'hiver. Bienvenue dans le royaume de Karl, le maître des microclimats.

Vue aérienne du pont de San Francisco dans le brouillardVue aérienne du pont de San Francisco dans le brouillard
Crédit Photo: Zetong Li
Écrit par Anne-Lorraine Bahi
Publié le 9 mai 2025, mis à jour le 12 mai 2025

 

Le baptême inattendu d'un phénomène météo

Tout a commencé par un tweet en 2010. Un habitant excédé par le brouillard persistant lance : "Karl the Fog est de retour !" La référence au film "Big Fish" de Tim Burton, où un géant nommé Karl vit caché dans une ville brumeuse, fait mouche. Le surnom devient viral et aujourd'hui, Karl possède son propre compte X (anciennement Twitter) KarlTheFog suivi par plus de 350.000 personnes, publie des selfies depuis le Golden Gate et commente l'actualité avec un humour pince-sans-rire.

 

Compte X anciennement Twitter de Karl The Fog

 

La science derrière la magie

C'est comme si la ville respirait

Le phénomène qui donne naissance à Karl est fascinant. Lorsque l'air chaud de la Central Valley californienne rencontre les eaux froides du Pacifique (autour de 12 °C), la condensation crée ce brouillard caractéristique. La baie de San Francisco agit comme un entonnoir naturel, aspirant cette masse brumeuse qui s'engouffre particulièrement par le Golden Gate.

"C'est comme si la ville respirait", explique un habitant de San Francisco. "Le matin, le brouillard s'étend sur toute la baie. Puis, vers midi, la chaleur de l'intérieur des terres l'aspire à travers les passes montagneuses, créant ces rivières de brouillard. C'est souvent spectaculaire."

 

Une ville, cinquante climats

Cette danse quotidienne du brouillard a sculpté San Francisco en une mosaïque de microclimats. Les quartiers peuvent afficher jusqu'à 15 °C de différence au même moment. Les habitants ont développé une science précise de ces variations :

  • Richmond et Sunset : Les "Fog Belt" où Karl règne en maître, souvent 10 degrés plus frais
  • Mission et Castro : Protégés par Twin Peaks, ces quartiers jouissent d'un microclimat ensoleillé
  • Nob Hill et Russian Hill : Au-dessus du brouillard, offrant des vues spectaculaires sur Karl
  • Marina et Embarcadero : En première ligne face à l'invasion quotidienne

 

Photo de Francisco sous le brouillard
Crédit Photo: Zetong Li

 

La vie avec Karl

Les San-Franciscains ont développé une relation intime avec leur brouillard. "On ne dit jamais qu'il fait mauvais temps, on dit que Karl est de mauvaise humeur", souligne une résidente du Sunset District. Les habitués savent qu'il faut adopter la technique de l'oignon, c'est-à-dire la superposition de couches. Cette technique constitue un art de vivre.

Un San-Franciscain ne sort jamais sans sa veste, même par 25 °C dans Mission.  Par contre, un touriste finira probablement par acheter un sweatshirt " I ♥️ SF" qui le gardera au chaud durant sa visite à San Francisco.

Les applications météo classiques sont inutiles ici. Les locaux utilisent "Mr. Chilly" ou consultent les webcams du Golden Gate pour planifier leur journée.  Les locaux savent que si Karl arrive sur le pont à 14h, il sera à Fillmore vers 16h.

 

Fille sur un banc avec un sweatshirt I Love SF

 

L'économie du brouillard

Karl influence aussi l'économie locale. Les agents immobiliers parlent de "taxe soleil" : un appartement dans le ensoleillé Mission peut coûter 20% plus cher qu'un équivalent dans le brumeux Richmond. Les restaurants adaptent leurs terrasses avec des chauffages extérieurs omniprésents. Même Uber a créé une fonctionnalité "Fog Alert" pour anticiper les pics de demande quand Karl envahit certains quartiers.

 

Un patrimoine culturel

Au-delà de la météo, Karl est devenu un élément identitaire. Les touristes viennent spécifiquement photographier le Golden Gate "habillé" de brouillard. Les artistes locaux l'ont immortalisé dans d'innombrables œuvres. Le photographe Michael Shainblum, spécialisé en a même créé une série de "timelapses" hypnotiques montrant Karl déferlant sur la ville comme une vague au ralenti, Symphony of Fog - San Francisco .

Karl fait partie de l'âme de San Francisco. Dans une ville obsédée par l'innovation et le changement, il représente une constante rassurante. Il était là avant la tech, il sera là après.

 

Photo de San Francisco sous le brouillard
Crédit Photo: Michael Shainblum

 

Le futur brumeux

Paradoxalement, le réchauffement climatique pourrait renforcer Karl. Les scientifiques prédisent que l'augmentation des températures dans les terres intérieures accentuera le différentiel thermique avec l'océan, intensifiant potentiellement le phénomène de brouillard.

 

Conseil pratique : Pour vivre comme un local, téléchargez l'app "Karl the Fog" qui prédit ses mouvements heure par heure. Et souvenez-vous de la règle d'or : adoptez la technique de l'oignon ou aillez constamment un pull dans votre sac !

 

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