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Entretien avec Julien Doré avant sa tournée américaine : artiste généreux et lumineux

Dix-huit ans après avoir remporté la Nouvelle Star, Julien Doré traverse enfin l'Atlantique pour sa première tournée aux États-Unis et son retour au Canada. Au printemps 2026, l'un des chanteurs français les plus populaires se produira dans sept villes nord-américaines. J'ai eu le privilège d'échanger avec lui à quelques mois de cette tournée. Une rencontre d'une rare richesse qui révèle un artiste profondément généreux, lucide sur son statut et habité par une vision touchante de son rôle.

Julien Doré au pianoJulien Doré au piano
Julien Doré en tournée - Crédit photo ©️Nicko Guihal
Écrit par Anne-Lorraine Bahi
Publié le 20 décembre 2025

 

De la barrette au million de spectateurs et aux Êtats-Unis

C'est pour moi une joie immense de pouvoir amener mes chansons aux États-Unis

En 2007, un jeune homme aux boucles blondes débarquait sur le plateau de la Nouvelle Star, ukulélé sous le bras et barrette dans les cheveux. Sa reprise décalée de "Moi... Lolita" d'Alizée allait tout changer. Dix-huit ans plus tard, Julien Doré peut contempler un parcours exceptionnel : six albums, huit Victoires de la Musique, deux millions d'albums vendus, plus de 800 millions de streams, et une tournée actuelle qui rassemble plus d'un million de spectateurs à travers zéniths et arenas. Le deuxième plus gros chiffre d'une tournée française, après Indochine.


"C'est pour moi une joie immense de pouvoir amener mes chansons aux États-Unis", confie-t-il. "C'est la première fois de ma vie et c'est très symbolique parce que ça fait bientôt 20 ans que j'ai la chance de faire de la musique et que cette passion soit quotidienne."


Son sixième album, sorti en novembre 2024, porte un titre éloquent : "Imposteur". Entièrement composé de reprises, le disque boucle la boucle avec ses débuts télévisuels. De Mylène Farmer à Dalida, de Frank Sinatra à K-Maro, en passant par une chanson enfantine pour son fils ("Ah les crocodiles"), l'éclectisme règne. Trois duos marquants ponctuent le disque : avec Francis Cabrel, Hélène Ségara, et – surprise hollywoodienne – l'actrice Sharon Stone sur "Paroles Paroles". Certifié disque de platine avec 160 000 exemplaires vendus, "Imposteur" confirme sa capacité à réinventer des classiques à sa manière, tendre et poétique.

 

"Juju en Amérique" : une tournée intimiste et décalée

 

Julien Doré en concert
Julien Doré en concert - Crédit Photo ©️Nicko Guihal

 

L'anecdote de Boulazac ou l'art de l'autodérision


L'origine de cette tournée américaine illustre parfaitement le personnage. Dans une vidéo Instagram hilarante, sur fond de musique country et de hennissements de cheval, il expliquait : "Il y a quelques semaines, j'avais annoncé : 'Si je fais complet à Boulazac, je lance une tournée aux États-Unis'. On m'avait répondu : 'Que de la gueule'. Et... bah on a été complet à Boulazac quoi..."


S'ensuivait un message à Taylor Swift : "Coucou ma Taylor. Si tu veux passer voir le show, hésite pas, is gonnabigrette."

Des messages vocaux laissés aussi à Lady Gaga, toujours sur le ton de la plaisanterie.


L'aveu, dans notre entretien, est savoureux : "J'ai un petit peu profité de cette salle à Boulazac qui n'était pas encore complète contrairement à toutes les grandes salles dans lesquelles je joue, et je savais déjà que les États-Unis étaient en train de s'organiser. Alors je me suis dit bon, ça pouvait à la fois faire rire et paraître complètement fou. J'ai un petit peu triché effectivement mais c'est assez rigolo de le monter comme ça."

 


Une première vraie découverte américaine


Aveu surprenant pour un artiste de son envergure : Julien Doré connaît peu les États-Unis. "Je crois que j'étais véritablement enfant quand je suis allé à New York avec mes parents. J'ai découvert Los Angeles lorsque je suis allé tourner la fin d'un de mes clips avec Pamela Anderson. J'ai eu la chance de retourner une fois à New York avec mes musiciens il y a une dizaine d'années mais malheureusement pas plus de visites."
"Je suis ravi de pouvoir en l'espace de quasiment trois semaines parcourir autant de villes, découvrir tant de théâtres. Il y a une grande excitation mais surtout une grande part de découverte parce qu'on aura aussi la chance d'avoir généralement la veille ou le lendemain pour pouvoir profiter un jour, deux jours, parfois même trois jours des villes dans lesquelles nous allons nous rendre. C'est merveilleux comme voyage."


Quant au timing – pourquoi maintenant, après dix-huit ans de carrière ? "C'est tout simplement que ça ne s'est jamais présenté. Les différents producteurs ne m'ont jamais soumis la possibilité d'aller jouer sur le sol américain. C'est simplement que ça s'est présenté là et je rajoute que c'est vraiment une découverte pour moi."

 


Un spectacle intimiste  sur mesure façon cabaret


Pour cette incursion américaine, impossible de transporter l'imposante scénographie française. "On est 60 sur la route, quatre tour-bus, 19 camions. Malheureusement ce cycle ne peut exister que dans des immenses salles."
Mais loin d'y voir une contrainte, il en fait une opportunité. "Je vais créer autre chose en janvier. Ce sera quelque chose plus proche de la notion de cabaret, l'envie de réchauffer une ligne en scène où je vais pouvoir plus librement jouer avec le public, avec l'espace."


Les salles, autour de 1000 à 1500 personnes, permettront une grande proximité. "En France je joue devant des milliers de personnes chaque soir. Là ce sera des théâtres qui ont un certain charme, une grande beauté esthétique. J'ai envie d'amener mes chansons au cœur d'un cocon qui sera le plus chaleureux possible."

 


Un voyage en famille


Pour cette tournée de presque trois semaines, son fils de bientôt cinq ans l'accompagnera. "Je pense que c'est autour de cinq ans que les premiers souvenirs commencent vraiment à s'inscrire. On regarde les cartes, on observe des villes, on apprend quelques phrases en anglais. C'est merveilleux pour l'artiste que je suis mais encore plus pour le papa."
 

 

Des valeurs exceptionnelles qui résonnent en Amérique du Nord

"Des bulles d'oxygène" : la générosité comme ADN

Je pense que l'art peut encore apporter ces bulles d'oxygène qui font du bien 

Ce qui frappe immédiatement chez Julien Doré, c'est cette générosité qui irrigue tout son propos. "Je pense que l'art peut encore apporter ces bulles d'oxygène qui font du bien pendant quelques minutes, quelques heures", confie-t-il.

"C'est fou à quel point ces rendez-vous que sont les concerts font du bien non seulement au public, mais aussi à nous sur scène. On a l'impression d'être un petit peu utile sans avoir les capacités de sauver le monde, mais il y a dans cette poésie là quelque chose de très doux."

 

L'humour comme désacralisation

Cette facétie de Boulazac résume bien son approche. "L'humour me permet de désacraliser la position de l'artiste chanteur. Souvent, quand un artiste est sur scène, il peut avoir tendance à être sur un petit nuage. Moi, j'aime bien me moquer beaucoup de moi-même. Je ne considère pas cette chance comme le signe d'une carrière réussie, mais comme quelque chose qui m'émerveille comme un enfant."

Sa philosophie : "C'est sans doute dû à mon éducation, j'aime bien faire attention à ne pas prendre les choses trop au sérieux. C'est un privilège, une grande chance, mais il faut aussi savoir rire des choses assez formidables que parfois vous avez la chance d'accomplir."

 

La transmission aux nouvelles générations

"Différentes générations viennent me voir, souvent des familles entières. Souvent on me témoigne après les concerts que c'était le premier concert d'un petit garçon ou d'une petite fille. Il y aura peut-être dans un petit coin de la mémoire de cet enfant le souvenir d'un moment passé avec ses parents ou ses grands-parents."

"C'est ce que je dis aux enfants tous les soirs en concert : de croire en leur rêve parce que moi quand j'étais adolescent, j'avais vraiment l'espoir de faire de la musique. Il y a toujours un moment où la lumière est là, même si on est dans une époque où les adultes ne voient que l'obscurité."

 

La danse, héritage familial

Cette attention à la transmission n'est pas un hasard. Il évoque sa grand-mère italienne Elena, 96 ans, qui fut directrice de la scolarité à l'école de danse Rosella Hightower à Cannes. "Encore aujourd'hui, certains témoignent à quel point le souvenir de sa présence est gravé dans la mémoire."

"La danse a fait partie de mon enfance. La grâce, la légèreté du corps, la discipline, c'est quelque chose qui m'a beaucoup marqué. Il y a quelques temps quand je jouais à Bercy, j'ai invité une danseuse étoile à ouvrir mon spectacle et c'était absolument magnifique. Je trouve qu'il y a beaucoup de générosité dans ce secteur là."

 

L'humilité face à l'immensité

J'ai à cœur de répéter que l'être humain est un animal parmi les animaux et que les artistes n'ont pas de superpouvoirs.

Julien Doré vit aujourd'hui dans les Cévennes, au cœur de la nature, dans un environnement paisible, loin de l'agitation parisienne.

"On est dans un tout petit village, entouré de la forêt, des montagnes. La ville est à une grosse heure de route. Ce contraste avec l'énergie qu'apporte la musique, les moments où on est en tournée, ça fait un équilibre très important dans l'éducation qu'on essaie d'apporter à notre fils. Un mélange de valeurs qui sont celles de la terre, de la nature, et d'une énergie artistique un petit peu plus folle."

Cette humilité trouve sa source dans son environnement quotidien. "L'humilité est très importante pour moi et elle rejoint deux choses : mon éducation et l'endroit où je vis. De vivre entouré d'arbres centenaires, de montagnes qui ont vu passer des siècles d'êtres humains. Le soir, nourrir mes chiens en regardant le ciel étoilé des Cévennes où je perçois précisément chaque étoile, Mars ou Saturne qui brillent vraiment."

"On est dans une époque où tout le monde parle beaucoup, souvent trop vite. On doit avoir un avis construit. Dans le silence et dans l'observation au cœur de cette nature extrêmement puissante, il y a une grande part d'humilité. Quand on a une certaine notoriété, on peut parfois se sentir un petit peu plus important que ce qu'on est."

"J'ai à cœur de répéter que l'être humain est un animal parmi les animaux et que les artistes n'ont pas de superpouvoirs. C'est très important de se désacraliser de toutes ces formes de reconnaissance."

 

"Ne plus être moi en lumière" : une vision de l'avenir

En novembre dernier, lors d'un échange avec des lecteurs d'un journal parisien, Julien Doré avait évoqué qu'en parlant de son fils, lorsqu'il construira son identité, il n'aimerait ne plus être lui.

"Quand je dis 'ne plus être moi', c'est ne plus être moi en lumière, au devant. La symbolique c'est d'essayer plutôt d'être moi profondément, retrouver mon rôle de papa et d'être humain."

"Dans quelques années courtes, j'aimerais beaucoup plus écrire pour d'autres, mettre en scène, produire d'autres artistes, monter un label, accompagner artistiquement de ma petite expérience et ne plus être au premier plan. Les personnes toujours dans la tête d'être meilleur, d'être les premiers m'intéressent de moins en moins. La façon de vivre avec tout ça, c'est de le faire dans le fait d'accompagner les autres."

 

La culture, pilier vital

La santé, l'éducation et la culture sont trois piliers qui doivent absolument résister dans toutes les sociétés

Vers la fin de notre échange, Julien Doré pose les mots justes. "Il ne faut pas la laisser s'évaporer, c'est très important. Ne pas laisser évaporer la culture de la société... ça peut paraître parfois futile mais c'est extrêmement important. Je pense que la santé, l'éducation et la culture sont trois piliers qui doivent absolument résister dans toutes les sociétés pour qu'elles continuent encore un peu."

Pour les communautés francophones d'Amérique du Nord – qu'elles soient composées d'expatriés de longue date, de nouveaux arrivants ou de francophiles – la venue de Julien Doré prend une dimension particulière. Dans un continent où la réussite se mesure souvent en chiffres et en visibilité, son message de désacralisation, d'humilité et de générosité offre un contrepoint rafraîchissant. Un rappel précieux pour ceux qui, loin de la France, cherchent à maintenir ce lien avec la culture francophone tout en s'intégrant dans leur pays d'adoption.

 

Entre les Cévennes et la scène : l'équilibre d'un père

Un mélange de valeurs qui sont celles de la terre, de la nature, et d'une énergie artistique un petit peu plus folle

Julien Doré vit aujourd'hui dans sa région natale, au cœur de la nature et du calme. Son fils, qui va avoir cinq ans, grandit dans cet environnement paisible, loin de l'agitation parisienne.

"On est vraiment au cœur de la nature, dans un tout petit village, entouré de la forêt, des montagnes, de l'hyper présence de la végétation, des animaux et d'une certaine façon du calme. La ville est très loin, à une grosse heure de route", décrit-il. "Ce contraste avec l'énergie qu'apporte la musique, les moments où on est en tournée, ça fait je crois un équilibre très important dans l'éducation qu'on essaie d'apporter à notre fils. Un mélange de valeurs qui sont celles de la terre, de la nature, et d'une énergie artistique un petit peu plus folle."

Pour cette tournée américaine de presque trois semaines, son fils l'accompagnera. "Je pense que c'est autour de cinq ans que les premiers souvenirs commencent vraiment à s'inscrire. Donc c'est quelque chose qu'on a envie de partager avec lui. On regarde les cartes, on observe des villes, on discute beaucoup de tout ça, on apprend quelques phrases en anglais. C'est merveilleux déjà pour l'artiste que je suis mais ça l'est encore plus pour le papa que je suis."

 

Une rencontre inspirante

J'ai été profondément touchée par cette rencontre avec Julien Doré. Au-delà de l'artiste accompli, j'ai découvert un homme d'une rare lucidité sur son statut, habité par des valeurs – générosité, humilité, transmission – qui transcendent son immense talent. Sa vision des choses, sa perception du présent et son regard sur l'avenir révèlent une maturité touchante. Et surtout, cette relation qu'il tisse avec son fils, ce désir de le protéger tout en lui ouvrant le monde, cette volonté de s'effacer pour mieux le laisser construire sa propre identité : des qualités à la hauteur de son talent, c'est-à-dire exceptionnelles.

Dans un monde qui valorise souvent l'ego et la surenchère, Julien Doré choisit la désacralisation, l'humour, la légèreté. Sans jamais perdre de vue l'essentiel : créer ces fameuses "bulles d'oxygène" dont nous avons tous besoin.

Alors que vous soyez francophone en manque de culture française, francophile amoureux de la chanson hexagonale ou simplement Américain curieux de découvrir l'un des artistes les plus généreux de sa génération, rendez-vous en mai 2026 pour venir prendre votre bulle d'oxygène.

Anne-Lorraine Bahi

 

Informations pratiques

 

  • 📍Montreal (Olympia) -  🗓 29 avril 2026 -  🎟 Ici
  • 📍Québec (Théâtre Capitole) - 🗓 30 avril 2026 - 🎟 Ici
  • 📍Washington (Lincoln Theater) - 🗓 2 mai 2026 -  🎟 Ici
  • 📍New York (Town Hall) - 🗓 7 mai 2026 - 🎟 Ici
  • 📍Miami (Knight Concert Hall)  - 🗓 9 mai 2026 - 🎟 Ici
  • 📍Los Angeles (United Theater on Broadway) - 🗓 30 avril 2026 - 🎟 Ici
  • 📍Oakland (Fox Theater) - 🗓 30 avril 2026 - 🎟 Ici

 

 

annelorraine.bahi@lepetitjournal.com
Publié le 19 décembre 2025, mis à jour le 20 décembre 2025
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