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ISABELLE FERNANDEZ , UBIFRANCE – "La Chine s’approche dans la durée"

Écrit par Lepetitjournal Pékin
Publié le 13 janvier 2013, mis à jour le 8 février 2018

Depuis septembre 2009, Isabelle Fernandez dirige le bureau Chine d'Ubifrance : un retour aux sources... En 1996, c'est en effet à Pékin qu'elle fait ses premières armes au service de la mission économique de l'état français. En observatrice aguerrie, elle nous livre les clefs pour entreprendre en Chine.

Lepetitjournal.com : Pourriez-vous nous décrire votre parcours ?
Isabelle Fernandez (photo)
: Diplômée de Sciences Po Paris et de l'ENA, je ne me prédestinais pas à la politique, mais au service de l'Etat. Mon parcours commence au ministère de l'Economie. En 1996, mon ancien patron au MINEFI, devenu Chef de la Mission Economique en Chine me propose de rejoindre son équipe à Pékin. Dont acte. Trois ans plus tard, je prends le poste de directrice du bureau de Shanghai. En 2003, je rentre à Paris pour intégrer l'inspection des Services Extérieurs du MINEFI . Mais la Chine me rappelait sans cesse, et je décide de quitter la France et mon poste pour créer la 1ère édition du Women's Forum Asia, un projet qui me tenait à cœur, mais qui n'a malheureusement pas été pérenne. En 2009, retour aux sources : je suis nommée Directrice d'Ubifrance Chine.

Comment avez-vous vu évoluer ce pays d'un point de vue économique ?
La Chine est devenue l'usine du monde dans les années 80 et 90. Et puis, elle est entrée de plein pied dans le 21e siècle. Je suis toujours étonnée par l'appétence qu'ont les Chinois pour la modernité et la capacité qu'ils ont à intégrer très rapidement les nouvelles technologies et innovations. Depuis 30 ans, la croissance a toujours été au rendez-vous, certes avec un ralentissement attendue sur 2012, dû en partie à la crise en Europe et aux Etats-Unis. D'un côté, cette croissance a profité aux riches puisque la Chine est malheureusement devenue le pays le plus inégalitaire du monde, mais on a également assisté à une émergence de la classe moyenne. Le cabinet BCG a estimé que d'ici 2020, cette catégorie sociale représenterait une population de 280 millions de personnes. La croissance de cette économie est donc aujourd'hui de plus en plus basée sur l'évolution du pouvoir d'achat et de consommation de la classe moyenne, et ce n'est pas fini... Entre 2012 et 2022, on prévoit que 20% de l'accroissement de la capacité d'importations  mondiales viendra de la Chine, ce qui représente un budget d'environ 800 milliards de dollars... La Chine d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle que j'ai découverte il y a quinze ans. Depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001, aucun expert n'aurait pu prévoir ça...

Quelles conséquences cela-a-t il sur les échanges commerciaux entre la France et la Chine ?
Dans beaucoup de secteurs de la consommation,  La Chine devient le premier marché du monde ! Pour la France, dont les pôles de compétences associent des biens d'équipements, des produits et des services destinés aux consommateurs et aux usagers, les opportunités sont donc importantes. La ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, a ainsi défini avec Ubifrance et la Direction du Trésor quatre secteurs prioritaires pour la France dans le monde et la Chine est à chaque fois le premier pays cible : le “ Mieux se nourrir “ (plus d'une bouteille importée sur deux vendue en Chine vient déjà de France !), le “ Mieux se soigner “ ( fort développement de la Santé et des services associés), le “ Mieux vivre en ville “ (la filière environnement , efficacité énergétique française est aussi bien implantée en Chine) et enfin le “ Mieux communiquer “ avec les nouvelles technologies de l'information.

Les importations chinoises étant massives et toujours croissantes en France (40 milliards d'imports en 2011!), l'enjeu pour notre pays est de maintenir et développer un niveau soutenu d'exportations. Avec 15 milliards de dollars en 2012, nous sommes encore dans une situation difficilement évitable de déficit commercial. En 2011, ce chiffre s'est stabilisé et sur la même période, nos ventes en Chine ont augmenté de 22% en 2012. Mais notre part de marché à 1,5% reste certes insuffisante derrière les Allemands, premiers européens avec 5 %.

Pouvez-vous nous rappeler votre rôle et vos actions pour faire progresser la France en Chine ?
Le rôle d'Ubifrance est d'accompagner les entreprises françaises qui souhaitent découvrir, défricher, prospecter le marché chinois, et bien sûr y développer des projets, soit dans une logique d'échanges commerciaux et donc d'export, soit dans une logique d'implantation. Nos services se déclinent autour de quatre pôles : information, promotion et Conseil , communication et développement des Volontaires Internationaux en Entreprise, les V.I.E.

En 2012, nous aurons organisé une quarantaine d'opérations collectives réunissant entre 700 et 750 entreprises qui, pour la plupart, mettaient le pied pour la première fois en Chine. Un des succès fut l'organisation du French Tech Tour pour le vente de produits high Tech aux grands opérateurs de Télecom et d'internet chinois où nous avons coachés en amont les sociétés françaises sur leur démarche et sur leur présentation de produits.

L'accompagnement individuel d'entreprises françaises dans la durée sur le marché chinois est un de nos axes de développement, la Ministre nous ayant fixé un objectif d'accompagnement sur le monde de 1000 ETI et PME innovantes sur 3 ans. Dans ce contexte, nous préparons le terrain en amont en réalisant des études de marché et en organisant des “ tests sur offre ” en traduisant l'offre produits ou services des entreprises françaises en Chinois. Notre connaissance des bons interlocuteurs chinois est essentielle à la réussite de la mission de prospection qui suivra : il s'agit de répondre ainsi aux besoins pré-identifiés de la demande chinoise sur tel ou tel produit précis. Le suivi des contacts est essentiel dans la durée.

Avec le recul, parmi les entreprises que nous avons accompagnées en 2011, au bout d'un an, un tiers a déjà généré du Chiffre d'affaires et 25% supplémentaires espèrent signer un contrat dans les 2 années (Enquête IPSOS 2012).

Avec la crise économique en Europe, les entrepreneurs français ont-ils une approche différente de la Chine ?
En période de crise, l'exportation vers un pays porteur comme la Chine est un levier de croissance, mais pas seulement... Depuis la crise, il y a une prise de conscience des entreprises françaises à l'urgence d'être présent en Chine. Les entreprises sont de plus en plus mâtures et ont une vraie stratégie dans la durée. Une des seules craintes qui subsistent, c'est la peur d'être copiés industriellement ou intellectuellement. Chez Ubifrance, nous avons dépassé depuis longtemps les craintes sur les délocalisations. Si nos entreprises ne vendent pas ou ne s'installent pas en Chine, les Chinois, eux, viennent sur notre marché... Il faut rester dans la compétition internationale.

Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur français qui veut vendre ou s'implanter en Chine ?
D'abord, soyez conscients de votre valeur ajoutée ! L'entreprise qui a quelque chose d'intéressant à vendre peut se positionner. Mais la Chine s'approche dans la durée. Le temps fait partie du processus de décision, sans compter les circuits de décision souvent compliqués, d'autant plus dans le secteur public qui représente encore près de 50 % de l'économie chinoise.

Et puis, la Chine reste un pays d'implantation. Pour réussir ici, il fut souvent être prêt à adapter le produit localement et à le customiser à la chinoise, donc à produire sur place. Il faut être capable d'investir des moyens financiers et humains, des partenaires comme Oseo peuvent faire des prêts à l'export et garantir à hauteur de 50% le risque de fond.

Pour conclure, je conseille à toute personne qui s'intéresse à ce pays de lire un livre passionnant Les trois sagesses chinoises de Cyril Javary. Ce grand connaisseur de l'empire du Milieu nous rappelle que pour les Chinois, l'homme n'est rien par rapport aux éléments naturels et au monde dans lequel il évolue. L'enjeu  pour l'individu est donc sa capacité à savoir s'adapter. Les occidentaux quant à eux sont dans la maîtrise des éléments, donc dans une forme de rigidité et de supériorité par rapport à la nature. Dans le monde complexe et sans cesse évolutif dans lequel nous vivons, qui a le plus de chance de s'adapter ? A méditer...

Propos recueillis par Marie-Eve Richet (www.lepetitjournal.com/shanghai) Lundi 14 janvier 2013

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Publié le 13 janvier 2013, mis à jour le 8 février 2018

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