Colossal, une société de biotechnologie texane déjà connue pour ses ambitions de « désextinction », jette désormais son dévolu sur une espèce disparue néo-zélandaise, ancienne source de subsistance et d’identité pour les Maoris. La résurrection du moa, oiseau sacré, mené en partenariat avec la tribu Ngāi Tahu, mêle science et mémoire.


Un fantôme géant hante les laboratoires texans de Colossal Biosciences. Trois mètres de haut, 250 kilos, une absence qui pèse depuis six siècles… Le moa, un des oiseaux emblématique de Nouvelle-Zélande, est la nouvelle cible de cette start-up américaine obsédée par le retour des espèces disparues. Après le mammouth laineux, après le loup sinistre (cet ancêtre très approximatif des loups géants de Game of Thrones) voici venu le temps du moa.
Fondée en 2021 par le généticien star George Church et l’entrepreneur Ben Lamm, Colossal Biosciences est une société de biotechnologie texane qui flirte avec le fantasme de Jurassic Park. Sous couvert de « désextinction », l’entreprise promet de réparer l’irréparable tout en développant des outils biotechnologiques censés sauver les espèces encore vivantes, mais en danger d’extinction.
SOUND ON. You’re hearing the first howl of a dire wolf in over 10,000 years. Meet Romulus and Remus—the world’s first de-extinct animals, born on October 1, 2024.
— Colossal Biosciences® (@colossal) April 7, 2025
The dire wolf has been extinct for over 10,000 years. These two wolves were brought back from extinction using… pic.twitter.com/wY4rdOVFRH
Un oiseau préhistorique et primordial pour la biodiversité locale
Le moa, cet oiseau géant endémique de Nouvelle-Zélande, silencieux depuis plusieurs siècles, a pourtant laissé une empreinte profonde dans l’écosystème néo-zélandais, notamment en tant qu’herbivore indispensable à la régulation de la flore. Incapable de voler, cet oiseau ayant vécu au Pléistocène supérieur (période débutant il y a environ 126.000 ans et s'achevant il y a environ 11.700 ans) transportait et dispersait de nombreuses graines. Son extinction est survenue en un siècle seulement après l’arrivée des premiers Maoris.
L’objectif n’est pas de ressusciter à l’identique un moa disparu. Colossal a l’intention de créer un équivalent moderne, capable de remplir à nouveau cette fonction écologique. À partir d’ADN extrait de restes fossiles et comparé à celui d’espèces actuelles comme l’émeu ou le tinamou, les chercheurs espèrent reconstruire un génome proche de celui du moa. Grâce aux techniques d’édition génétique, ils envisagent de modifier les embryons d’oiseaux vivants pour leur redonner les caractéristiques du géant disparu. Ces embryons seraient ensuite incubés dans des oiseaux hôtes.
« Les moas géants étaient un élément essentiel des écosystèmes d'Aotearoa et de Nouvelle-Zélande. » explique Paul Scofield, conseiller Colossal et conservateur principal d'histoire naturelle au musée de Canterbury à Christchurch en Nouvelle-Zélande.
Pour mener ce projet, Colossal s’entoure aussi d’experts de haut niveau comme la généticienne Beth Shapiro, et travaille en collaboration étroite avec le Ngāi Tahu Research Centre, représentant l’un des principaux peuples maoris, afin de respecter les dimensions culturelles et écologiques du projet.
Un animal très important dans la vie des Maoris
Bien avant son extinction, le moa occupait une place essentielle dans la vie des Maoris, peuple autochtone de Nouvelle-Zélande. « Aux XIVe et XVe siècles, le moa fournissait de la viande pour se nourrir, ainsi que des os et des plumes pour les outils et la décoration », rappelle le professeur Mike Stevens, directeur du Centre de recherche Ngāi Tahu. À Te Waipounamu, l’île du Sud, il nourrissait les familles, habillait les corps, et ornait les objets rituels.
Cette disparition brutale, due à sa chasse intensive et à la transformation des écosystèmes, a laissé une empreinte durable dans la mémoire collective. Elle a donné naissance à des whakataukī (proverbes) qui utilisent le moa comme symbole de perte, de sagesse et de résilience.
Mais au-delà de l’utilitaire, le moa avait aussi une dimension spirituelle. Dans la société maorie traditionnelle, ses os étaient transformés en colliers ou en bijoux porteurs de mana, cette force vitale liée à l’identité, la lignée, le respect. Un exemple emblématique vient de Murihiku (Southland), où des artisans ont sculpté des os de moa pour leur donner l’apparence de dents de baleine, témoignage de leur sens esthétique et de leur lien intime avec la nature.
« Un partenariat de cette nature, combinant les compétences de Colossal et le savoir tribal, permet de partager une nouvelle vision du monde. » - Kyle Davis, membre du Ngāi Tahu
Une renaissance qui mêle science et souveraineté autochtone
Aujourd’hui, le projet de Colossal prend une autre dimension aux yeux des Ngāi Tahu. « Ce projet nous enthousiasme particulièrement car il nous permet d'exercer pleinement notre rangatiratanga (leadership) et nos tikanga (coutumes) », affirme Mike Stevens. Pour cette iwi (tribu), la collaboration entre la technologie de pointe et le savoir traditionnel offre une occasion de réunir écologie, mémoire et souveraineté culturelle.
Kyle Davis, également membre du Ngāi Tahu, souligne l’importance de cette alliance : « Un partenariat de cette nature, combinant les compétences de Colossal et le savoir tribal, permet de partager une nouvelle vision du monde. » Ressusciter un moa, même partiellement, serait, pour les Maoris, un acte de réparation et une forme de renaissance culturelle, spirituelle…

Un projet qui ne met pas tous les scientifiques d’accord
Vous l’aurez compris, le moa ne reviendra pas tel qu’il était il y a quelques centaines d’années, mais son héritage génétique sera utilisé pour retrouver des caractéristiques propres à l’oiseau géant. Cette tentative de « recréation » ne va pas sans susciter des critiques. Des biologistes rappellent alors que ces oiseaux ne seront pas des clones, mais des hybrides porteurs de traits sélectionnés. Difficile, dans ces conditions, d’affirmer qu’ils pourront retrouver leur place dans un écosystème qui a évolué en leur absence. Les questions éthiques ne manquent pas non plus : faut-il faire revivre des espèces disparues quand tant d’autres, bien vivantes, s’éteignent dans l’indifférence ?
Le réalisateur néo-zélandais Peter Jackson, connu pour avoir produit le Seigneur des anneaux, est un grand passionné de moas. Avec sa partenaire Fran Walsh, il investit plusieurs millions de dollars dans cette “désexcitation”.
Aujourd’hui, Colossal n’annonce aucune date. Le projet en est encore au stade de la recherche génétique et de la modélisation. Ces avancées en ingénierie génétique constituent une démonstration impressionnante des technologies et techniques modernes. Ces dernières pourraient être mises au service de la sauvegarde d’espèces en danger critique, pour leur permettre de retrouver une partie de leur diversité génétique perdue. Pour ses porteurs, il s’agit d’une promesse, celle de réparer, en partie, les pertes irréversibles de l’histoire.
Un nouveau moa pourrait-il, un jour, reposer ses empreintes géantes sur la terre de ses ancêtres ?
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