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En Nouvelle-Calédonie : le nickel met le feu aux poudres

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© Vale Agency
Écrit par Isya Okoué Métogo
Publié le 17 décembre 2020, mis à jour le 31 janvier 2021

Depuis quelques semaines, la Nouvelle-Calédonie est sous-tension, entre barrages routiers, incendies et manifestations. La cause : le rachat problématique de l’usine de nickel Vale par un consortium calédonien et international, au dépend des indépendantistes de l’île qui souhaitaient qu’un autre consortium déjà présent au nord de l’archipel remporte le marché.

 

L’usine du sud, un gouffre financier

Le nickel néo-calédonien représente un quart des ressources mondiales de nickel et 8% du PIB de l’île. Trois usines sont présentes : Doniambo à Nouméa, Koniambo dans le nord et Vale dans le sud. Il y a près d’un an, Vale avait annoncé la vente du site minier sud, véritable gouffre financier. Depuis 2014, les pertes s’élèvent à près de 2 milliards de dollars. Le groupe brésilien vient d’annoncer mercredi 9 décembre la vente de son usine à un consortium calédonien et international incluant Trafigura, basé en Suisse, et Prony Ressources, détenu à 50% par des investisseurs calédoniens.

 

L’affrontement politisé de deux firmes internationales

Trafigura, connue pour sa spéculation sur les ressources minières et pour ses affaires de corruption notamment au Brésil, avait pour soutien le Ministre des Outre-Mer et les élus non-indépendantistes de la Nouvelle-Calédonie. La firme est, dans cette vente, associée à 50% au groupe d’investisseurs calédoniens Prony Ressources. Le PDG de Vale Antonin Beurrier y détient 6%. Le groupe, nouvellement créé, a pu bénéficié de la double casquette de son membre puisque la société devait avoir le soutien d’une entreprise locale, en l’occurrence Vale NC. Trafigura, de son côté, met très peu d’argent dans la vente : elle touchera les aides de Vale pour le projet Lucy à hauteur de 50 milliards de francs, une aide de l’état de 50 milliards de francs et un crédit bancaire de 15 milliards. Ce qui signifie qu’il ne lui reste que 5 milliards à verser.

L’instance Coutumière Autochtone de Négociation (ICAN) et les partis indépendantistes réunis sous la bannière du Front de Libération National Kanak Socialiste (FLNKS) s’opposent fermement à la vente. Pour eux, les ressources de nickels représentent un enjeu clé pour le processus d’accession à l’indépendance dans lequel le pays est engagé depuis 30 ans. Ils souhaitent qu’un autre consortium déjà présent sur le site nord de l’île remporte le marché afin de développer un nationalisme minier. Et pour cause : le consortium avec Korea Zinc proposait un partenariat public à hauteur de 56% du capital, incarné dans un premier temps par la société calédonienne Sofinor, avant d’être transmis aux trois provinces du territoire. Le marché comprenait aussi la prise en charge financière du bassin de traitement des déchets de l’usine, Lucy. Un sujet primordial puisque le site représente un risque environnemental énorme pour le pays.

 

La montée des hostilités

Alors que Vale a annoncé vouloir quitter le territoire avant fin décembre, Korea Zinc s’est finalement retiré de la vente le 7 décembre en laissant champ libre à Trafigura pour remporter le marché. Pour les défenseurs de l’appel de Korea Zinc, les pertes sont immenses et cette décision n’a fait qu’intensifier les mobilisations dénonçant les conditions de vente à Trafigura.

Depuis le 7 décembre, des barrages routiers se sont multipliés sur l’île afin de manifester contre une vente qui profiterait peu au pays. Les indépendantistes dénoncent les difficultés supplémentaires de Korea Zinc à se placer sur le marché et le manque de considération de leurs revendications, alors qu’ils tentent depuis plusieurs mois de se faire entendre par des manifestations pacifiques. Si 3 000 emplois sont concernés, les revendications touchent aussi les dégradations environnementales créées par l’usine et le manque de clarté sur les réelles conditions de la vente à Trafigura. Très vite, les tensions ont décuplées entre les deux camps. Des barrages se sont fortifiés sur les principaux axes routiers et des contre-barrages, menés par les défenseurs du projet Trafigura, à majorité loyalistes, se sont dressés en réponse. De nombreux cassages ont eu lieu à Nouméa et dans les communes voisines, avec notamment l’incendie d’une station-service au Mont-Dore. A la suite de l’invitation du militant loyaliste Harold Martin à se défendre contre les blocages, le Haut-Commissaire de Nouvelle-Calédonie a interdit l’accès au port et le transport d’armes à feu et d’armes blanches afin de limiter les violences. Le site industriel de l’usine du sud a également été l’objet de violentes intrusions jeudi 10 décembre et un bâtiment administratif a été incendié. Entièrement évacuée, l’usine est désormais sous la protection de la gendarmerie.

 

L’ouverture du dialogue avec le Ministre des Outre-mer

En plein processus d’indépendance depuis 30 ans, la vente de Vale prend une tournure politique et divise le pays entre indépendantistes et loyalistes. Beaucoup dénoncent la souveraineté de Vale sur le territoire et l’inaction de l’Etat dans le conflit, qui a appelé à un retour à la paix et à la fin des affrontements. Le Ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu a appelé au dialogue entre les forces politiques du pays, refusé dans un premier temps par le FLNKS. Suite à la prise d’assaut du site industriel, le parti a finalement accepté et a annoncé réduire sa mobilisation sur le terrain.

 

Une situation qui peine à se désengorger

Beaucoup de citoyens sont inquiets de la tournure que prend les événements, alors que le spectre des événements violent qu’a connu la Nouvelle-Calédonie dans les années 80 est encore bien présent. Cette polarisation du conflit est également pour certains le reflet de l’incapacité des politiques à poser les bonnes questions. La situation pourrait permettre de repenser la valorisation des mines et des exploitations de nickel, le fonctionnement des multinationales sur le sol calédonien, ou encore la question de l’environnement. Beaucoup d’éléments du dossier restent flous et sont occultés, les intérêts de chacun ne sont pas clairement explicités et certaines voix peinent à se faire entendre.

Si la crise est loin d’être réglée, certains sites miniers ont été rouverts à la suite d’une décision du FLNKS afin de ne pas cesser l’activité. Des discussions ont été enclenchées entre certains syndicats de travailleurs et le collectif indépendantiste Usine du Sud = usine Pays.

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