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Sur la Toile, Un danseur devient Étoile

Danseur étoileDanseur étoile
Paul Marque (c) Svetlana Loboff
Écrit par JC Agid
Publié le 16 décembre 2020, mis à jour le 16 décembre 2020

Une première sur la scène de l’Opéra Bastille. Pas celle d’une représentation de La Bayadère de Noureev. Ce ballet, dernière grande création du chorégraphe d’origine Russe et directeur de la Danse à Paris dans les années 1980, est inscrit au patrimoine du ballet de l’Opéra de Paris depuis 1992. Cette première pourrait être celle du mode même de la retransmission : payante, en direct, sur internet via la nouvelle plateforme « L’Opéra Chez Soi ». Non, la grande nouveauté ce dimanche 13 décembre 2020 est celle d’une nomination pas comme les autres, ultime et sans public.


 

Danseur étoile

Illustration de Marion Naufal

 

Le ballet est à peine fini et le rideau de l’Opéra Bastille encore levé sur cette salle de 2700 places presque toutes vides. Seule une poignée d’employés de l’Opéra et quelques rares journalistes viennent d’assister à La Bayadère. Les autres spectateurs, anonymes, dispersés à travers le monde, ont regardé le spectacle de chez eux, sur un écran, Covid19 oblige. Le chef d’Orchestre s’empresse alors de rejoindre sur scène les étoiles et le ballet pour saluer dans un silence digital impressionnant ce public invisible.

Le Chef d’Orchestre n’est pas le seul à retrouver sur l’immense plateau de Bastille les Sujets, Premiers Danseurs et Étoiles. Masqué et un micro à la main, le nouveau directeur de l’Opéra Alexander Neef et la directrice de la Danse Aurélie Dupont s’avancent également vers les artistes.

Parmi eux, un jeune danseur de 23 ans, Paul Marque, se tient en retrait, discret, une couronne sur la tête et recouvert de couleur or. Il vient d’endosser le rôle statuesque d’Idole Dorée—une performance exigeante. Il y a quelques jours encore, Paul Marque se préparait à remplacer au pied levé un des danseurs étoiles dans le rôle principal de Solor. La présence de ses patrons à la fin de la représentation ne le surprend pas. « Je pensais qu'Alexander Neef et Aurélie Dupont étaient montés sur scène car il y avait un live, que c'était spécial, qu'ils allaient dire un mot pour le public à la maison », explique-t-il à l’AFP.

Après tout, l’Opéra de Paris, à l’instar de la plupart des théâtres en France, ne cesse de réorganiser sa programmation en fonction des autorisations gouvernementales pour accueillir ou non du public. Il y a encore quelques jours, Alexander Neef pensait ouvrir les portes du Palais Garnier et de Bastille à partir de la mi-décembre, non seulement pour La Bayadère mais aussi Carmen dirigé par la cheffe d’orchestre Keri-Lynn Wilson, La Traviata et toute une série de concerts. La réouverture est à présent reportée, au mieux, au mois de janvier.

Comme Paul Marque, les spectateurs en ligne ont pu un instant penser que le jeune directeur d’origine Allemande, récemment arrivé de Toronto pour succéder à Stéphane Lissner, voulait saluer le lancement—enfin—d’une plateforme numérique de diffusion « à la demande » et dans le monde entier (à l’exception de la Chine) de certains des meilleurs spectacles de l’Opéra de Paris. La représentation de La Bayadère en direct ce Dimanche 13 décembre 2020 inaugurait les retransmissions en direct sur ce site lancé cinq jours plus tôt. Alexander Neef aurait pu à l’issue du ballet énoncer quelques-uns des autres titres disponibles à la location : Le Barbier de Séville, un cycle Beethoven dirigé par Philippe Jordan, Rigoletto, Le Lac des Cygnes, Lady Macbeth, Don Giovanni ou L’Histoire de Manon. Le catalogue inclut également des concerts gratuits, la magie de Bastien et Bastienne de Mozart, des films documentaires et des courts-métrage.

 

Danseur étoile

Paul Marque (c) Svetlana Loboff

 

Les thèmes de communication publique ne manquent pas en ce moment à l’Opéra de Paris. Pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour faire la publicité de la diffusion juste après Noël du Ring de Wagner avec Philippe Jordan à la baguette, consécration des adieux du directeur musical de l’Opéra de Paris attendu en Janvier à l’Opéra de Vienne ? La pandémie de la Covid19 n’aura eu de cesse de bousculer la préparation et la création de ces quatre opéras magistraux. Les Wagnériens pourront toutefois en profiter, par radio et internet interposés, grâce à la programmation de cette tétralogie historique sur France Musique entre le 26 Décembre et le 2 Janvier (disponible en streaming pendant un mois).

Paul Marque se demande donc ce que font là Alexander Neef et Aurélie Dupont, et il attend, comme tout le monde sur scène, le silence comme seul compagnon.

Il attend depuis si longtemps, depuis sa jeune enfance. En 2014, le danseur né à Dax rejoint le corps du ballet de de l’Opéra de Paris après de longues études dans l’école de danse de la même maison. Année après année, il gravit les échelons : Coryphée en 2015, médaillé d’or au concours de danse de Varna l’année suivante, Sujet en 2017 et Premier Danseur en 2018. Paul Marque installe fermement ses mouvements et sa danse sur scène. Le rêve d’enfant fait place à la réalité : de multiples performances dans un répertoire varié—Le Songe d’Une Nuit d’Été de Balanchine, Blake Works I de William Forsythe, Fancy Free de Jérôme Robbins, le Lac des Cygnes, Don Quichotte, Giselle etc.—et cette représentation, un dimanche après-midi de Décembre 2020, le 13. En « live » sur la toile digitale, le Ballet de l’Opéra de Paris résiste et le montre dans le monde entier. Année de l’a-normal mais journée à retenir.

Sur scène, ce nouveau directeur de l’Opéra de Paris. Il y a quelques semaines, le New York Times titrait à propos de l’arrivée d’Alexander Neef à Paris : « Running the Paris Opera Was Never Going to Be Easy. But Come On. »

Le micro en main, il parle, enfin. Il ne s’adresse pas aux internautes mais aux danseuses, aux danseurs en prenant l’orchestre et son chef à témoin. « Mesdames, messieurs. Sur proposition d’Aurélie Dupont, directrice de la danse, j’ai le grand plaisir de vous annoncer la nomination de Monsieur Paul Marque, danseur étoile. »

Les applaudissements fusent, les cris aussi, nombreux, puissants, suffisamment pour oublier un instant cette salle gigantesquement vide. Les mains sur le visage, ému évidemment, surpris certainement, incrédule peut-être d’entrer ainsi dans un club d’une rare sélection—ils sont à présent 15, neuf femmes et cinq hommes à constituer ce corps d’élites du ballet—le nouveau danseur étoile s’avance devant la scène, s’arrête un long instant pour saluer les caméras et les musiciens, puis s’approche du directeur de l’Opéra et lui donne un coup de coude à défaut de lui serrer la main. Il ne peut refuser l’instant suivant l’invitation à une embrassade de l’ancienne Étoile Aurélie Dupont avant de saluer, cette fois-ci, ses pairs.

« Je n’ai pas de mots », confie-t-il à l’Agence France Presse. « Je suis sans voix. Je ne réalise pas, c’est énorme : c’est mon rêve depuis tout petit ».

 

 

Pour le catalogue complet de L’Opéra Chez Soi 

Pour plus d’informations sur les American Friends of the Paris Opera & Ballet 

 

 

 

 

 

JC Agid
Publié le 16 décembre 2020, mis à jour le 16 décembre 2020