Aux États-Unis, le nouveau décret de l’administration Trump qui gèle les cartes vertes et certains visas de travail temporaires jusqu’à la fin de l’année 2020 provoque effroi et consternation tant dans le camp démocrate que dans le monde de l’entreprise.
Si du côté de la Maison Blanche, ce décret entré en application le 24 juin vise à favoriser l’emploi des Américains - environ 500,000 emplois « sauvés » selon Washington - du côté des entreprises, grandes ou petites, la déception est palpable. Parmi les premiers à réagir, parce que directement concernés en tant que sponsors de visas H1B, le patron de Google, Sundar Pichai, s’est déclaré déçu par ces mesures, précisant que « le succès économique des États-Unis dépend de l’accès des entreprises aux meilleurs talents du monde entier ». Le géant Amazon a pour sa part fait valoir qu’ « empêcher les professionnels qualifiés d’entrer dans le pays et de contribuer à la reprise économique américaine met en péril la compétitivité internationale des États-Unis ». Pour Facebook, « les titulaires de visas hautement qualifiés jouent un rôle essentiel dans la promotion de l’innovation et c’est quelque chose que nous devons encourager et non pas restreindre ». D’autant que tous s’accordent sur un point : aller chercher à l’étranger des profils hautement qualifiés signifie tout simplement qu’ils n’existent pas aux États-Unis.
Selon Sarah Pierce, du Migration Policy Institute (MPI), à Washington, il s’agit bel et bien des mesures les plus sévères que l’administration Trump ait prises contre l’immigration jusqu’à présent. Et même si, d’après la spécialiste, elles devraient probablement s’accompagner d’un certain nombre de dérogations concernant des secteurs stratégiques pour la reprise économique ou pour la recherche médicale, elles signent un changement radical de politique. Les États-Unis semblent être entrés dans une nouvelle ère, plus sévère, moins ouverte et clairement plus auto-centrée. Demetrios Papademetriou, un autre expert des migrations travaillant pour le MPI de Washington, n’hésite pas à diagnostiquer « la fin d’une ère d’immigration facile », ajoutant que les États-Unis ne sont pas le seul pays à songer à de nouvelles règles sur l’accueil des travailleurs étrangers et que la pandémie de coronavirus ne fait qu’accélérer cette évolution. Il prévoit des restrictions supplémentaires dans une dizaine de pays .
Pour répondre aux nombreuses questions de nos lecteurs directement concernés - et consternés - par ce décret, notre édition est partie à la rencontre de Francine Prewitt, avocate spécialiste de l’immigration.
Rachel Brunet : Donald Trump a signé lundi un nouveau décret visant à limiter de façon drastique l’immigration. Est-ce que dans l’histoire du droit à l’immigration américain, une mesure aussi sévère avait déjà été prise auparavant ?
Francine Prewitt : Le nouveau décret présidentiel, bien que drastique, n'est pas la mesure migratoire la plus restrictive dans l'histoire des États-Unis. En 1882, le Chinese Exclusion Act, une loi suspendant pendant 10 ans l'immigration de travailleurs en provenance de Chine, a été adopté par le Congrès. Une loi de 1924 appelée Immigration Act a limité le nombre d'immigrants vers les États-Unis tout en imposant des quotas par nationalité.
Quels sont les visas concernés ? Est-ce que ça concerne aussi les cartes vertes et ceux qui ont gagné à la loterie ?
Le nouveau décret s'applique aux personnes qui sont hors du territoire américain et qui n'ont pas encore obtenu certains visas : le visa H-1B, le visa H-2B, le visa L-1A and L-1B, le visa J-1 interns qui concerne les stagiaires, les enseignants, les counselors de camps, les personnes au pair ainsi que les époux et épouses et enfants de ces personnes.
Le décret étend également le décret présidentiel promulgué en avril dernier qui avait stoppé pendant 60 jours la délivrance de visas immigrants, qui inclu les personnes ayant gagné la loterie américaine. À cet effet, les gagnants de loterie qui n'ont pas encore obtenu de visa immigrant sont également concernés par le nouveau décret. Par contre, les personnes qui ont des cartes vertes ne sont pas concernées.
Est-ce que les demandes de renouvellement et d’extension sont concernées ? Quid si un expatrié est sur le sol américain et doit faire renouveler ou étendre son visa sur la période visée, à savoir entre aujourd’hui et le 31 décembre ?
Le décret s'applique uniquement aux personnes qui sont hors du territoire américain et qui n'ont pas encore obtenu un des visas concernés. Les renouvellements ainsi que les extensions des visas ciblés ne sont pas concernés.
Si Trump est battu en novembre, est-ce que cela signifie que ce décret serait stoppé ou du moins, est-ce que Biden, entre son éléction du 3 novembre et sa prise de fonction en janvier pourrait adoucir cette mesure ?
Le décret ne sera pas automatiquement stoppé si Donald Trump n'est pas réélu en novembre. Cependant, Joe Biden pourra le rescinder après sa prise de fonction en Janvier 2021.
Que dit justement Biden sur la politique migratoire ? Quelles seraient les mesures qu’il pourrait prendre s’il était élu ?
Joe Biden s'est prononcé en faveur du maintien du Deferred Action for childhood Arrival (DACA) et a promis de maintenir le droit de demande d'asile et de mettre fin à la pratique de séparation des familles qui souhaitent demander un asile politique aux frontières.
Par ailleurs, Biden semble être en faveur d'une politique d'immigration qui privilégierait une main d'oeuvre étrangère dont le salaire est aligné sur le marché du travail local plutôt qu'une main d'oeuvre moins chère.
Que conseillez-vous à ceux qui allaient déposer leur dossier dans les semaines à venir ?
Une des provisions du décret donne discrétion aux officiers consulaires pour octroyer à titre exceptionnel un des visas concernés. Je conseillerais à ces personnes de discuter avec leur avocat afin de voir si cela vaut le coup d'essayer tout de même d'obtenir un visa.
Si un prétendant à l’immigration a déposé son dossier avant la signature du décret, est-il aussi concerné ? Par exemple, un jeune qui aurait fait une demande de visa J à la mi-juin ou une entreprise qui aurait fait une demande de visa L pour un de ses salariés à la même période ?
Le décret est entré en vigueur le 24 juin, ce qui veut dire que toute personne qui n'a pas encore obtenu de visa à cette date ne pourra pas, en principe, obtenir de visa durant la période de validité du décret.
Est-ce que cette mesure concerne aussi les demandes de permis de travail pour les époux par exemple d’autres visas ou les renouvellement de permis de travail ?
Le décret s'applique uniquement aux visas mentionnés. Les personnes sous autres visas de travail, par exemple sous visa E2, et leurs conjoints peuvent renouveler leurs visas ou leur permis de travail.
Pour contacter le cabinet d’avocat Prewitt Law
Francine Prewitt