A l’aube des célébrations des 250 ans de la naissance des Etats-Unis, de nombreuses figures illustres seront célébrées de part et d’autre de l’Atlantique. Thierry Chaunu, président de L'American Society of Le Souvenir Français nous parle du rôle clé du comte de Rochambeau mais aussi des commémorations des relations historiques entre nos deux pays : « Le 250e anniversaire est l'occasion de dépasser les frictions diplomatiques récentes et, espérons-le, temporaires, en rappelant la profondeur historique du partenariat ».


Aujourd'hui encore, Rochambeau est célébré aux Etats-Unis comme une figure de l'amitié franco-américaine.
Quelle est l'importance du comte de Rochambeau dans l'histoire franco-américaine ?
Le comte de Rochambeau joue un rôle clé dans l'histoire franco-américaine. En tant que commandant du corps expéditionnaire français son rôle a été décisif pour obtenir l’indépendance des Etats-Unis.
Arrivé en Amérique en juillet 1780 avec quelque 5 500 hommes, Rochambeau forme un partenariat impressionnant avec George Washington. Sa contribution la plus célèbre est sa participation à la bataille de Yorktown en octobre 1781, où les forces franco-américaines combinées ont forcé la reddition du général britannique Cornwallis, mettant ainsi fin à la guerre qui durait depuis cinq ans.
Au-delà de l'aspect militaire, Rochambeau incarne l'alliance franco-américaine forgée en 1778. Il a su gérer habilement les relations parfois tendues entre les deux nations alliées, en maintenant une coopération efficace malgré les différences culturelles et stratégiques. Sa capacité à coordonner les opérations avec Washington, notamment lors de la marche sur Yorktown, témoigne de ses talents de stratège et de diplomate.
Après l’amiral d’Estaing, Rochambeau représente l'engagement concret de la France en faveur de l'indépendance américaine, un investissement qui a coûté cher au royaume de France mais qui a jeté les bases d'une relation durable entre les deux nations. Son rôle a également contribué à façonner l'image de la France en tant que championne de la liberté et des droits démocratiques. Aujourd'hui encore, Rochambeau est célébré aux Etats-Unis comme une figure de l'amitié franco-américaine.
Lafayette a incarné l'idéal révolutionnaire, sacrifiant richesse et confort par conviction personnelle pour la cause américaine
Pourquoi est-il souvent peu cité contrairement à Lafayette ?
Cette différence de notoriété peut être attribuée à plusieurs facteurs liés à leur personnalité, à leur rôle et à la manière dont l'histoire a été racontée.
Lafayette n'avait que 19 ans lorsqu'il est arrivé en Amérique, ce qui en fait une figure romantique et héroïque. Son engagement précoce, sa blessure à Brandywine et sa relation presque filiale avec Washington ont créé un récit personnel captivant. Rochambeau, quant à lui, est un général expérimenté de 55 ans en mission officielle, moins romantique mais plus pragmatique.
De plus, Lafayette s'est directement intégré à l'armée continentale américaine, combattant aux côtés des soldats américains et partageant leurs luttes. Rochambeau dirige un corps expéditionnaire français distinct, maintenant une distance diplomatique nécessaire dans son rôle de commandant d'une force alliée.
Lafayette a incarné l'idéal révolutionnaire, sacrifiant richesse et confort par conviction personnelle pour la cause américaine. Il devint par la suite une figure de la Révolution française, renforçant son image de champion de la liberté. Rochambeau représentait davantage la politique étrangère française et les intérêts géostratégiques du royaume.
Enfin, Lafayette a entretenu ses relations avec les Américains tout au long de sa vie, notamment lors de sa visite triomphale aux États-Unis en 1824-1825. Son histoire personnelle se prête mieux aux récits héroïques et à la mythologie nationale américaine. Ironiquement, c'est Rochambeau qui a pris les décisions militaires les plus cruciales, dont le choix stratégique de Yorktown, mais son professionnalisme discret le rend moins visible dans la mémoire collective.
Le “roman national américain” qui s’est développé au 19e siècle a été influencé par des mythes politiques qui mettaient en avant certains aspects de l'indépendance et en minimisaient d'autres. Le soutien militaire français à Yorktown a notamment été minimisé, car il entrait en conflit avec l'exceptionnalisme et l'autosuffisance américains. Cette mémoire sélective a minimisé la contribution significative de la France, créant ainsi un déséquilibre évident : l'appréciation de la France pour le soutien américain lors de la Seconde Guerre mondiale dépasse largement la reconnaissance par les Américains de l'aide française dans l'obtention de l'indépendance.
Se concentrer sur Lafayette permet aux Américains, mutatis mutandis, d'escamoter Rochambeau (et aussi de Grasse), et donc l’apport crucial de l’Armée et de la Marine françaises dans l’obtention de leur indépendance.
Le Souvenir Français aux Etats-Unis, le devoir de ne jamais oublier
Quelles sont les commémorations prévues autour de Rochambeau ?
Plusieurs commémorations ont déjà eu lieu autour de Rochambeau aux États-Unis en 2025, dans le cadre des préparatifs pour “America250", le 250e anniversaire de l'indépendance américaine qui sera célébré en 2026.
Les principales commémorations identifiées sont les suivantes :
- L’anniversaire du comte de Rochambeau a été célébré par l'American Revolution Institute le 1er juillet à Washington DC en présence de l’ambassadeur de France.
- Auparavant a eu lieu le Festival annuel Rochambeau à Yorktown Heights dans l’Etat de NY, site d’un des campements de l’armée française, le 17 et 18 mai.
- Notre Société du Souvenir Français a déposé une gerbe au pied de sa statue à Newport, Rhode Island, le 12 juillet.
- Nous inaugurons une stèle le 24 octobre prochain à la mémoire de 4 soldats de Rochambeau enterrés non loin du futur musée Odell-Rochambeau à Hartsdale, NY, lieu de son Quartier Général en juillet-août 1781.
- Plusieurs autres initiatives locales notamment dans le Connecticut et le New Jersey sont prévues en août.
- La municipalité de Middlebury, dans le Connecticut, va inaugurer un important parc mémorial, avec statue en bronze d’un soldat de Rochambeau, en juillet 2026.
- Notre Société rendra un hommage particulier avec dépôts de gerbes le 19 octobre à Yorktown, Virginie, devant le Monument au Morts français ainsi qu’au Cimetière français sur le champ de bataille.
Cette commémoration pourrait enfin équilibrer la mémoire collective américaine en reconnaissant pleinement le rôle de la France dans l'indépendance
Comment voyez-vous le 250e anniversaire des relations franco-américaines sous le prisme de l'actualité transatlantique
Le 250e anniversaire des relations franco-américaines en 2026 intervient dans un contexte politique compliqué, qui confère à cette commémoration une signification unique.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie avait mis en lumière l'importance des alliances démocratiques, ravivant l'esprit de solidarité qui unissait la France et l'Amérique émergente face à un adversaire commun.
Malgré des bourrasques récentes, on peut espérer que cette guerre renforcera la coopération transatlantique et fera valoir la pertinence des valeurs partagées de liberté et d'autodétermination.
Le 250e anniversaire est l'occasion de dépasser les frictions diplomatiques récentes et, espérons-le, temporaires, en rappelant la profondeur historique du partenariat. Les deux nations sont confrontées à des défis similaires, pour ne citer que la montée en puissance de la Chine, la transition énergétique, la désinformation. Cette convergence de défis devrait donner un nouveau sens à l'alliance historique, en transformant la commémoration en une réflexion sur un avenir commun plutôt qu'en une simple célébration du passé.
Comme mentionné, cette commémoration pourrait enfin équilibrer la mémoire collective américaine en reconnaissant pleinement le rôle de la France dans l'indépendance, créant ainsi une réciprocité mémorielle avec la gratitude française pour le Débarquement de 1944. “Wishful thinking”, peut être, et tâche ardue, tant sont persistantes les méfiances, les incompréhensions des cercles dirigeants envers la France, et l’ignorance et le désintérêt de la masse du public américain pour tout ce qui est étranger.
Ainsi, le bicentenaire de la tournée triomphale de Lafayette, “héros des deux mondes” qui a été célébré continument depuis août 2024 et qui prendra fin en septembre 2025, le 300e anniversaire de Rochambeau cette année, le 250e anniversaire des Etats-unis en 2026 arrivent à point nommé pour revitaliser l'alliance transatlantique autour de valeurs démocratiques communes face à l'autoritarisme contemporain.
Il faudra attendre le 6 février 2028, qui marquera le 250e anniversaire du Traité d’Alliance et d’Amitié entre la France et les Etats-Unis
Comment comptez-vous le célébrer (le 250e anniversaire “America250”) et quels sont vos prochains événements ?
Partout où nous le pourrons, en partenariat étroit avec de multiples associations civiques, mémorielles et patriotiques américaines, nous célébrerons la naissance des Etats-Unis en 1776, même si la France n’était pas encore entré officiellement en guerre aux côtés des “Insurgés” américains. Il faudra attendre le 6 février 2028, qui marquera le 250e anniversaire du Traité d’Alliance et d’Amitié entre la France et les Etats-Unis, par lequel la France a été la première nation à reconnaitre officiellement par Traité l’indépendance des Etats-Unis. (Notez que la plaque qui célèbre ce fait extraordinaire dans l’histoire du monde est bien cachée au coin de la place de la Concorde et la Rue Royale…)
Se succèderont des dates importantes, le siège de Savannah d’octobre 1779 par l’amiral d’Estaing, l’arrivé du Corps expéditionnaire de Rochambeau à Newport le 11 juillet 1780, la victoire de Yorktown le 19 octobre 1781, et plein d’autre faits d’armes entre ces dates. Mais les français sont aussi négligents. Visitez le Musée de l’Armée aux Invalides, la salle de l’Indépendance américaine est petite, vieillotte et tristounette. Et dire que les faits d’arme de l’armée de Rochambeau comptent parmi les plus belles pages de notre histoire militaire! Il y a des centaines de milliers de touristes américains qui visitent ces lieux, et on ne leur montre même pas ce que la France a accompli pour eux.
Idem au Musée de la Marine, la bataille de la Chesapeake avec de Grasse, Latouche-Tréville et La Pérouse mériteraient une salle dédiée à l’Indépendance américaine.
Nous continuons notre chemin : l’année prochaine, notre Société va inaugurer une plaque avec les “Sons of the American Revolution” du chapitre de Virginie, en la mémoire de Lieutenant (Louis) O’hicky d’Arundel, officier d’artillerie Alsacien de vieille famille irlandaise, diplômé de l’école Royale d’Artillerie de Strasbourg, basé à St Domingue, engagé volontaire dans l’Armée Continentale et tué lors de la bataille de Gwynn Island le 19/7/1776, ce qui en fait... le tout premier mort français de la Guerre d’Indépendance, ignoré de la plupart des historiens.
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