Édition internationale

Luc Hardy, un homme libre et un explorateur des temps modernes

Dans le café parisien où il débarque d’un pas alerte, impossible de le manquer : grand, élancé, le visage buriné par le grand air, et surtout ses yeux d’un bleu polaire, translucides. Difficile d’imaginer plus parfaite figure d’explorateur. Il s’assoit, s’assure de ma commande avec une grande élégance. « Je ne prends jamais le temps de me poser », sourit-il. Aujourd’hui, pourtant, il le fait. Retour sur un parcours extraordinaire que lui-même n’aurait jamais imaginé.

luc hardyluc hardy
Écrit par Stéphanie Mathis
Publié le 29 octobre 2025, mis à jour le 10 novembre 2025

 

Luc se dit « curieux de nature ». Une curiosité « obsessive, presque dérangeante », rit-il. Lire, voyager, observer… « C’est dans le sang, chez les Bretons ». À la question « Que faites-vous ? », il emprunte la formule de Cousteau : « Je m’amuse. » Mais de manière utile, « pas égoïstement », précise-t-il d’emblée.

« Je voulais juste, très jeune, n’avoir ni routine ni autorité au-dessus de moi. » Mission accomplie.

 

Les racines d’une vocation

Pas de mentor, « pas d’épiphanie », juste un terreau fertile : la Bretagne, les bateaux, la mer, les jeux d’enfant où il traversait des mondes miniatures. Son père, militaire, lui donne le goût du voyage ; un professeur de français lui ouvre la porte de l’Île aux trésors et de Jules Verne : la grande aventure par les mots.

Il a transmis cette ouverture à ses filles, sans l’imposer. « Aujourd’hui, elles ont des jobs qui ont du sens », se réjouit-il.

 

« L’aventure, c’est le fun, l’adrénaline. L’exploration, elle, a une portée scientifique. »

 

De l’aventure à l’exploration

Sa première grande aventure ? Un trek dans l’Annapurna, en 1987. Il vient de quitter son job de consultant aux États-Unis. Un ami l’embarque, il accepte et attrape le virus. Suivront le Bhoutan, le Pérou… puis la prise de conscience écologique : la pollution, les changements visibles. En 2003, il monte sa première expédition scientifique en Antarctique. Il distingue clairement les deux registres : « L’aventure, c’est le fun, l’adrénaline. L’exploration, elle, a une portée scientifique. »

 

Au premier plan, Luc Hardy, et derrière, d'autres personnes, dans le froid

 

Depuis, il alterne expéditions et recherches. Il revient du Honduras, où il a rencontré les pêcheurs de homards de la Mosquito Coast, une région dense, humide, dangereuse. Il raconte une panne de moteur en pleine zone de trafiquants. Il rit, puis ajoute, plus grave : « C’est sain d’avoir peur. Ça veut dire qu’on a compris qu’il y a un danger. »

 

Luc Hardy : un explorateur-poète

Luc explore, écrit, produit des documentaires, photographie à l’iPhone : pour la spontanéité, mais aussi pour créer du lien. « Ça ouvre le dialogue avec les gens. J’aime ça. » Son dernier ouvrage, Traveltone : Un voyage spectral autour du monde, préfacé par le Prince Albert II de Monaco, a demandé deux ans de travail. « Plus de l’art que du reportage. » Sa mère, lectrice de Point de Vue, en aurait sans doute été fière.

 

Un optimiste contagieux

Depuis près de trente ans, l’homme agit pour des causes environnementales et sociales.

En 2011, il rapporte que Mikhail Gorbachev lui demande de devenir vice-président et secrétaire général de Green Cross en France, son ONG environnementale ; il accepte. Le dirigeant soviétique préfacera plus tard son livre sur l’Antarctique de Shackleton.

 

Luc Hardy en combinaison de plongée dans un bateau

 

Son moteur ? Une conviction : « Il faut rester optimiste, malgré tout. » Il développe : « Je ne suis pas un optimiste intellectuel, je le suis parce que je dois l’être. » Il s’émerveille des initiatives rencontrées : en Guinée, au Sénégal, en Somalie… Partout, des jeunes – et pas seulement – qui se démènent et agissent.

Ses héros sont les « anti-héros », les invisibles. « Ceux qu’on ne voit pas dans les journaux, mais qui changent la donne. »

 

La liberté pour seule boussole

Luc est un homme libre. Radicalement. Il suit son intuition, sans plan de carrière. « Et si ça ne marche pas, je fais autre chose », dit-il simplement. Sa liberté, il l’adapte à ses limites physiques. Il ne plonge plus à 50 mètres, mais à 15, prend des camps de base un peu moins hauts. Il monte toujours à cheval et joue encore au polo. Le mouvement est son carburant.

 

Luc Hardy fait de la plongée

 

Une autre idée de la réussite

L’exploration n’a pour lui jamais été un métier. Il finance ses projets grâce à des investissements dans la tech depuis près de quarante ans. « J’ai saisi la vague, d’instinct. » L’argent ? Un outil. Pas une fin. Et la réussite ? « C’est être bien dans sa peau et dans sa relation aux autres. » Il pense à ceux qui ont tout et sont malheureux. « Je suis presque gêné face à eux, admet-il. Moi, je recommencerais tout pareil… même si ce serait sans doute dur ! »

 

Le pouvoir d’inspirer

De quoi est-il le plus fier ? D’avoir éveillé quelques esprits, « peut-être », glisse-t-il dans un souffle. Il parle d’une amie, sensibilisée il y a vingt ans par son travail, qui le remercie encore aujourd’hui.

Et de ce discours prononcé lors d’une remise de diplôme à la FASNY, l’école de ses filles. Des élèves l’approchent. Puis un homme de 70 ans : « Si je vous avais entendu à 20 ans, j’aurais eu une autre vie. » Luc a les yeux humides. Toucher, inspirer : voilà sa vraie boussole.

 

« Trop tard pour cette vie-là. J’attendrai la prochaine. »

 

Toujours en partance

Il fourmille de projets. À venir : le Panama, les îles Guna Yala, le Kazakhstan, le Kirghizistan.

Puis le Congo, pour une série documentaire sur l’extraction minière. Il passe 80 % de l’année sur la route. Le reste, entre son « camp de base principal » dans le Connecticut et son pied-à-terre parisien. Aller dans l’espace, il adorerait. « Trop tard pour cette vie-là. J’attendrai la prochaine », lance-t-il, mi-rêveur, mi-rieur.

 

« Je suis toujours émerveillé par une fourmi sur une pétale de fleur. »

 

L’art de voir

Explorateur, mais aussi poète. Pas un hasard s’il aime Proust et sa Recherche. Pour son regard sur les caractères, la mémoire, le style. Sa passion pour le vivant est intacte : « Je suis toujours émerveillé par une fourmi sur une pétale de fleur. » Il est là, tout entier : attentif, joyeux, sincère.

 

Mourir vivant

Luc est un homme accompli. Non pas dans une posture, mais dans un rapport au monde. Il cite une phrase lue à l’entrée d’un monastère : “If you die before you die, then you won’t die when you die.” Et l’éclaire : « Ce n’est pas triste du tout. Au contraire. Ça pousse à vivre. »

 

À 69 ans passés, Luc ne ralentit pas. Il explore, transmet, savoure la vie. « J’espère que ça va durer encore vingt ans. » Il regarde droit devant. Comme au premier matin du monde.

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